Zyad Limam, Directeur d’Afrique Magazine était de passage à Djibouti le 14 septembre dernier, où il a participé à la cérémonie de lancement du Fonds Souverain de Djibouti (FSD), laquelle avait eu lieu à la Présidence de la République. Son séjour étant très court, nous avons réalisé cette interview par téléphone depuis Paris où il réside. Il nous parle du développement spectaculaire de Djibouti ces dernières années, des tenants et aboutissants du FSD, mais de l’Afrique en général et de ses grands défis à la lumière de la crise du coronavirus que le continent a bien amorti.

– Entretien –

M. Zyad Limam, pouvez-vous vous  présenter d’abord à nos lecteurs ?

Je  suis le Directeur du mensuel Afrique Magazine. C’est un magazine indépendant que je contrôle et dirige depuis 2006. Nous appartenions avant au groupe Jeune Afrique que nous avons quitté. Nous avons développé une structure autour du magazine. Avec un site internet

(www.afriquemagazine.com), les activités d’édition et de communication. Un vrai petit groupe de presse à taille humaine.

Qu’est ce qui occupe les pages du magazine ?

Nous avons une approche multi secteur, multidisciplinaire. C’est tout d’abord un magazine, avec un rapport à l’image  important, un rapport à la mise en scène et à la mise en page  très important. Nous essayons de refléter l’image de l’Afrique contemporaine. Qu’elle soit politique, sociétale culturelle ou économique. Nous traitons aussi les grandes affaires du moment. On essaie d’avoir ce mixte qui donne le  ton et qui fait le pont entre l’Afrique et le reste du monde.

Le 14 septembre dernier, vous avez participez à la cérémonie de lancement du  Fonds Souverain de Djibouti, Comment avez-vous  vécu ce moment très important ?

C’est très intéressant parce que c’est un outil novateur.  Une approche différente du développement. Il s’agit de mutualiser en quelque sorte les ressources du pays  pour agir sur le plan économique, pour investir, co-investir , être des partenaires  d’investisseurs djiboutiens ou étrangers sur des grands projets.  Mais aussi sur des projets plus petits, avec l’objectif de soutenir le secteur privé. La structure du fonds permet également d’apporter un effort de modernisation au secteur public qui sera associé au fonds. D’habitude les fonds concernent  les pays qui ont la chance d’avoir des rentes, qu’elles soient pétrolières,  gazières ou minières. Et là, on applique l’approche du fonds à un pays qui n’a pas  de rente et qui n’a pas de richesses souterraines. En fait vous allez mutualiser vos richesses et vos capitaux dans un outil qui vous permettra de mieux négocier et de mieux participer à des projets d’investissement.

Peut-on  dire que Djibouti  est passée à une nouvelle étape de son développement ?

Je pense que Djibouti est en train d’initier une nouvelle étape de son développement. Les 20 dernières années, on a eu l’étape qui consistait à investir dans les infrastructures, à créer un cadre stable sur le plan financier et légal, l’ouverture sur le monde extérieur. D’où la création d’un hub commercial, logistique et digital dans la corne de l’Afrique. Entre l’Afrique et le reste du monde. La mise en place de structures portuaires. Tout ça a été très important. Maintenant ce qui compte, c’est l’accélération. C’est pour ça que le fonds est important, parce qu’il sera un accélérateur.

En particulier par la création d’entreprise du secteur privé. Il est très important que Djibouti développe son secteur privé  qu’il soit autochtone ou étranger. Il faut un secteur industriel en amont et en aval des ports. On peut imaginer les industries qui s’installent à Djibouti pour servir le marché éthiopien ou le marché régional. Le secteur privé, c’est aussi  celui qui crée de l’emploi,  c’est celui qui permet à des jeunes cadres djiboutiens de se projeter dans une carrière. Ce qui permet de financer l’Etat via les taxes et les impôts. Il y a tout une logique d’un cercle vertueux.

Vous qui êtes un observateur averti, comment voyez-vous l’évolution de notre pays ces derrières années ?

C’est clair, il y a une émergence, on ne peut pas le discuter. Djibouti est placé sur la carte. Djibouti est maintenant un acteur du commerce mondial. C’est aussi, et on l’oublie souvent, une plateforme digitale via les câbles qui permettent de la connecter à internet  etc… Il y a une société politique qui se  met en place. On est sur une dynamique.  Et puis il y a eu l’effet covid aussi  qui a été à la fois ralentisseur, mais cela  a montré que le pays avait des ressources pour lutter, pour s’organiser, pour limiter la casse. Les chiffres que nous avons vus durant notre séjour la semaine dernière étaient  plutôt encourageants sachant que le covid peut révéler des mauvaises surprises.

D’autres pays africains ont mis en place un fonds pareil. La réussite a-t-elle été au rendez-vous ?

C’est variable. Disons que la clé de la réussite d’un fonds demeure la gouvernance. Il faut que le fonds soit doté des structures de gouvernance identifiées, transparentes,  avec des structures d’audit extérieur. C’est très important pour la crédibilité du fonds vis-à-vis de la société civile et la société économique djiboutienne mais aussi de l’extérieur.  Raison pour laquelle durant le lancement on a beaucoup insisté sur les questions de bonne gouvernance. Après il faut des idées, du management et générer des  projets. Comme vous n’êtes pas  juste en train de placer les revenus de pétrodollar que vous n’avez pas, l’imagination et la créativité  sont clés. Dans quels secteurs on peut investir maintenant ? La pêche, l’agriculture ou l’eau ? Le tourisme ? Le développement durable ? L’énergie ? La capacité à générer des projets  rentables sur quelques années, rapidement et qui feront de dégager des marges fera le  succès du fonds.

Une question d’actualité : l’Afrique face au Covid 19, le continent s’en sort plutôt bien…

Il ya plusieurs sortes d’explications. Peut-être que les africains ont été plus  exposés à  toute sorte de virus. Peut- être qu’ils soient  immunisés par le biais  du paludisme. Peut-être qu’ils sont plus jeunes. Peut-être qu’il y a moins de maladies, ce que les médecins appellent les comorbidités . Mais il ya eu aussi  des mesures qui ont été prises  très rapidement et qui  ont permis de lutter efficacement au départ : l’isolement des grandes villes,  les semi-confinements, la rupture des liaisons aériennes, la mise en place des tests. Vous à Djibouti, vous avez une politique de test assez active. Tout ça a montré que l’Afrique  était plus résiliente que ce qu’on croyait, plus réactive que ce qu’on croyait et plus organisée  que ce qu’on croyait. Il ya à la fois un effet réaction-organisation très fort  et il y a un mystère sanitaire que j’espère durable. Si vous comparez par exemple l’Afrique à l’Amérique latine, c’est stupéfiant, les dégâts sont très importants. Il y a quelque chose qui nous protège  relativement et j’espère que cela va durer.

Etant  un panafricaniste convaincu, quel message lancez-vous à la population de notre continent et à ses dirigeants ?

Je ne suis pas devin. Même si j’au un peu d’expérience, je ne suis pas bien placé pour donner des leçons. Pour moi, il ya deux choses qui sont devenus extrêmement importantes, c’est d’une part la bonne gouvernance. C’est à dire la démocratie, mais au delà de la démocratie électorale : l’Etat de droit, la justice, la transparence dans les activités économiques, les bonnes décisions de développement, l’égalité des chances  etc..

Sans bonne gouvernance, il n’y a pas d’Afrique moderne et contemporaine. La deuxième chose, c’est l’intégration. Je pense que c’est très important de penser au-delà des frontières  de chaque pays. Chaque pays est trop « petit» pour fonctionner tout seul. Et on va bien là où il  existe des processus d’intégration très actifs, régionaux, monétaire, économique etc, on  crée des marchés plus grands, des opportunités plus grandes, on crée de l’énergie. C’est le cas de l’Afrique de l’Ouest avec l’UMEOA et de la CEDAO . Mais si on regarde bien la situation chez vous, cette espèce de connexion qu’il y a entre Djibouti et l’Ethiopie ou peut-être demain avec une Somalie en paix et réconciliée. Cela rapporte beaucoup en termes de possibilité d’entreprise, en termes de possibilité de développement.  En termes d’espoir pour la jeunesse. Développement, intégration et bonne gouvernance sont donc les clés du développement. Ca fait un sacré programme !

Vous venez d’évoquer  la jeunesse, comment voyez-vous la jeunesse africaine ?

C’est un réel défi Kenedid.  Grosso modo, il est possible qu’on soit un milliard et demi dans trente ou trente cinq ans. Il y aura beaucoup de gens jeunes qu’il faut éduquer, former,  et trouver des emplois pérennes à l’arrivée. La jeunesse, c’est une force, une promesse d’avenir,  mais pour que celle-ci se réalise  il faut investir massivement dans le tryptique éducation, formation, emploi. Et on voit bien que quand ça ne marche pas, la tentation de la violence, la tentation de l’extrémisme, la tentation du  repli identitaire est très forte. Il faut absolument que la jeunesse rentre dans le monde formel, dans l’économie formelle, dans l’éducation formelle,  dans l’espoir, pour l’éloigner des tentations de la destruction.

Interview réalisée par Kenedid Ibrahim Houssein