Rendant à Almis, au nom de sa famille, de la famille du président de la République, de ses amis, de ses collègues et de l’ensemble de nos compatriotes, les honneurs qui lui sont dû, je ferai taire ma douleur et la leur. Sa grande mémoire ne sera célébrée ni par des pleurs, ni par des larmes et encore moins par des lamentations ; mais, par des louanges profonds et sincères. Dans sa jeunesse, ses amis intimes le surnommaient “le grand”. Non pas pour sa taille! Mais, pour sa bonté, sa générosité, sa simplicité, sa sensibilité et son affection. Comme le Président de la République l’a si bien mentionné dans son hommage posthume, Almis aimait son prochain, sans tenir compte de son statut, ni de son rang social. Sa popularité était sans commune mesure et l’annonce de son décès à Paris, dimanche 5 Mai 2019, fut un grand choc pour nous tous. Le pays venait de perdre l’un de ses plus illustres fils et c’est peu dire. Sa dépouille nous est arrivée mercredi. Et, c’est escorté par son peuple, qu’il fut conduit vers sa dernière demeure. Non sans émotion mais avec tous les honneurs. Venu de la terre, il est définitivement retourné à la terre et notre grand Almis repose désormais en paix. C’était écrit, c’était son heure. Qu’Allah lui accorde toute sa miséricorde et qu’Il l’accueille en Son Doux Paradis (Aamiin).

Né le 31 Août 1950 à Djibouti, Almis était le 4ème enfant d’une noble famille composée de 3 garçons et de 2 filles ; se plaçant dans la hiérarchie familiale derrière Khadra Mahamoud Haïd, notre bien aimée Première Dame. Durant son adolescence, il évolua au sein d’un cocon familial doux, très rassurant et très protecteur. C’était un garçon sans histoire, réservé et poli. À part le baby foot, la musique fut son seul hobby.

Sa carrière

À la fin de son cycle secondaire, Almis avait fait un bref séjour d’une année dans la Marine française et fut cantonné à la base navale de Toulon. Mais, l’uniforme ne lui convenait pas et il obtînt rapidement sa libération. De retour à Djibouti, il intégra la compagnie de chemin de fer (CFE), réussit avec succès sa formation de conducteur de train et se passionna pour son nouveau métier.

En 1977, il décroche une bourse d’études et entra à l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile à Nantes (pour la formation théorique) et à  Paris (pour l’application technique). Studieux et discipliné, il réussit ses examens et obtînt son diplôme avec brio. De retour au pays, il intègre la Direction de l’Aviation Civile et de la Météorologie au mois d’Août 1980, y occupe le poste de Chef de Service avant d’être nommé Directeur Général en 2002.

Présent depuis les premiers balbutiements  de cette institution jusqu’à sa maturité, il fut la pierre angulaire du développement du transport aérien en République de Djibouti où il œuvra sans relâche à la mise en place de toutes les règles relatives au développement de l’aviation civile. Sérieux, travailleur et patient, il a bâti pierre par pierre l’aviation civile jusqu’à sa maturité avant d’entamer une profonde réforme qui donnera naissance à une autorité autonome de l’aviation civile, aujourd’hui totalement indépendante.

Il a également initié et signé de nombreux accords bilatéraux, avec le Qatar, la Turquie, l’Éthiopie, l’Égypte, le Kenya, la Chine pour n’en citer que quelques-uns, qui ont permis d’accueillir à Djibouti de grandes compagnies aériennes internationales permettant à ses concitoyens de bénéficier de larges choix de transporteurs et des prix raisonnables, pour voyager à travers le monde. Le Directeur Général qu’il était, fut tout au long de sa carrière d’un naturel courtois et l’homme, tellement humble.

Il était surtout très serein et respectueux de ses semblables. Cette anecdote définit la nature de cet homme qui vient de nous quitter. Son directeur ayant prit quelques années sabbatiques, Almis assura longtemps l’intérim de la Direction de l’Aviation Civile. Tous ses amis très proches le pressaient, le harcelaient même quotidiennement, pour le pousser à  s’emparer du poste. Mais Almis résistait toujours et jurait avec insistance qu’il ne volerait jamais la place de quelqu’un. C’est ainsi, qu’après quatre années d’absence environ, son Directeur Général revînt au pays et reprît tout naturellement ses fonctions. Mieux, il fut nommé, cumulativement à ses fonctions, Conseiller du Ministre du Transport. Et ce, sans que le brave Almis ne bronche un seul instant. Voilà l’homme qu’il était ! Un homme sage, très sage et d’une honnêteté incomparable. Il devient Directeur Général sans faire mal à qui que ce soit et le plus naturellement du monde.

Sa passion

Parallèlement à cette brillante carrière, il restera de lui, ce qui devînt  son jardin secret…la musique. Une musique qui fut sa passion depuis son plus jeune âge à sa récente disparition. Une passion qui tira sa source du Rock’Roll d’Elvis dans un premier temps et de la Pop mélancolique et douce des Beatles ensuite, avant de subir un violent coup de foudre pour la Soul Music et d’être définitivement emballé par les rythmes envoutants du R&B.

Almis adorait non seulement écouter les chansons qu’il aimait mais, il passait son temps à les chanter, à faire du karaoké pour mieux travailler sa voix, maîtriser les différentes tonalités et la justesse musicale. Il rêvait de devenir chanteur. Soutenu et aidé par un père lui-même mélomane, il concrétisa sa passion en créant avec son frère, le regretté Djama, et une poignée d’amis, le célèbre groupe “Feelsan Band” qui tirait toute son inspiration et son feeling de la soul music.

Et, à force d’abnégation et de volonté, poussée par un amour inouï pour la musique, le groupe progressa rapidement. D’autant que la méthode imposée par Almis, aussi surprenante et insolite soit-elle, était drôlement efficace. Les membres du groupe, tous autodidactes, devaient d’abord évoluer individuellement. Chacun travaillant sa partition d’oreille et en solo, chez lui, avec pour seul repère un enregistrement sur cassette des morceaux qu’Almis choisissait et préparait à l’avance. Imaginez le boucan que le regretté Omar Farah, le batteur du groupe, faisait chez lui pour maîtriser cet instrument de percussion. Et moi, avec ma guitare basse à faire vibrer les tôles ondulées de tout le quartier. C’était incroyable ! 

Le véritable travail de groupe commence en 1970 avec la location, à la Cité du Stade, d’un deux pièces qui servait de lieu de répétition. L’effort paya autant que la “méthode Almis” s’avérait efficace. Très rapidement, le groupe se confectionne un riche répertoire presque entièrement composé de tubes afro-américains, devenus mythiques et planétaires, interprétés par les inoubliables James Brown, Wilson Pickett, Otis Reading, Etta James, Tyrone Davis, Clearence Carter, Aretha Franklin etc…et un peu plus loin Tom Jones avec son célébrissime “She is Lady”.

Almis avait des capacités vocales naturelles hors du commun et grâce à sa voix, les “Feelsan Band” sortirent de leur coquille et le groupe devînt incontournable et très sollicité. Malgré sa courte existence, il marqua son temps et fut un exemple pour toute une génération.

Cette musique qu’il a toujours su aimer et chérir au plus profond de son âme ne le quitta jamais. Grand collectionneur, il amassait les vinyles, les cassettes audio, les VHS ainsi que les CD et les DVD actuels. On l’appelait l’archiviste. Il possédait tout et n’hésitait pas à partager son amour pour la musique à qui croisait son chemin. A chaque rencontre, il nous replongeait vers cette modeste gloire musicale qui était la nôtre. Et chaque fois, des gouttes de larmes perlaient sur nos joues. Des gouttes de déception soutenues par un profond sentiment de gâchis. “Qu’avons nous fait de cet énorme talent” disait-il, d’un ton nourri de regret.

Par ailleurs, loin de s’enfermer dans cette bulle où dominait la musique occidentale, Almis s’est  ouvert très tôt à la culture locale et appréciait les talentueux artistes qui s’exprimaient à travers la chanson et le théâtre sur les scènes du pays.

À une époque où le matériel de musique était plus rarissime, Almis donnait toujours son accord pour prêter les instruments aux troupes théâtrales qui en avaient besoin et apporter ainsi un modeste soutien à la culture.

Demandez par exemple, à Abdi Qays combien le soutien de Feelsan fut d’un grand secours. Et même Ali Abdi Farah, autre grande figure nationale, à l’époque était président de l’Union de la Jeunesse. Beaucoup d’autres, aujourd’hui disparus, auraient pu témoigner. Almis a toujours aimé accueillir, côtoyer et soutenir les artistes. Célibataire, il était ainsi ; marié, il ne changera pas. D’où qu’ils viennent, les artistes étaient les bienvenus et son adresse était incontournable. Les artistes lui rendaient la monnaie de la pièce. Ils l’aimaient et l’appréciaient également.

Jeune, il rêvait devenir une star de la chanson mais le destin en décida autrement. Mais il continuera de rêver, de rêver et de s’évader pour aller très loin, emporté par les mêmes mélodies qui ont forgé notre enfance. Longtemps, il rêvait occuper un poste de responsabilité qui lui permettrait de soutenir et de développer l’espace culturel du pays et de faire revivre la musique, la vrai musique. Celle jouée par des musiciens. Il avait horreur des scintés et des boîtes à rythme qui désertifie notre espace musical. Mais pour lui, demander ou solliciter, était la pire des choses. Il était unique lorsqu’il était jeune. Il resta unique tout au long de sa vie.

Aujourd’hui, le maréchal des braves nous a quittés. La République de Djibouti lui a rendu un vibrant hommage. Et l’émotion du Président Ismaïl Omar Guelleh était visible à l’œil nu. Almis  a laissé derrière lui sa passion et son amour pour la musique qu’aucun parmi ceux qui l’ont côtoyé, ne pourra facilement oublier.

Il nous a laissé un sens du patriotisme inégalé et surtout, une énorme modestie.

Sûr, qu’il nous manque déjà ! Sûr, qu’il a laissé un énorme fossé difficile à combler ! Sûr, qu’on se souviendra de lui longtemps ! Sûr, que je n’arrive plus à retenir ces larmes bouillantes qui jaillissent soudain de mes yeux.

Adieu l’ami !

Adieu l’artiste !

A.A.-Mahé