Cette série d’articles se propose de rappeler quelques éléments de la presse francophone avant l’Indépendance en 1977 et de suggérer l’importance de disposer à Djibouti même de cette documentation indispensable à la mémoire collective.

1899-1903 Djibouti, journal franco-éthiopien.

En France à la fin du XIX° et au début du XX° siècle, comme il n’existe ni radio ni télévision, l’information passe par les journaux qui sont fort nombreux et qui ont des tirages impressionnants : Le Petit Journal et Le Petit Parisien, dans les années 1890, tirent chacun à plus d’un million d’exemplaires par jour !

A l’extérieur, durant la même période, la presse francophone se développe de manière significative. Pour se limiter à l’espace qui nous intéresse, il faut se rappeler qu’en Égypte et dans l’empire ottoman (turc), les journaux en français ne manquent pas. Il en va de même pour les colonies auxquelles on accède en passant par Djibouti : Madagascar, les comptoirs des Indes, l’Indochine.

• En Égypte, la première presse francophone date de Bonaparte qui avait apporté une imprimerie avec lui. En 1798, il y avait déjà deux journaux français Le Courrier de l’Égypte(116 numéros) et La Décade égyptienne. Plus tard, la période du percement du canal de Suez entraîne une profusion de journaux en français, mais aussi en arabe et dans d’autres langues européennes (anglais, italien, allemand…).Jean-Jacques Luthi dans son livre Lire la presse d’expression française en Égypte 1798-2008 (L’Harmattan, 2021) recense plus de 70 périodiques en français entre 1859 et 1882 et plus de 700 entre 1788 et 2008 ! On se rappelle qu’Arthur Rimbaud a publié un article sur la situation en Éthiopie en août 1887 dans le Bosphore égyptien, journal qui avait été créé en 1881.

•Il en va de même dans l’ensemble de l’empire ottoman durant le XIX° et le début XX°, les Turcs occupant une partie du Sud de l’Europe, la Palestine, l’Arabie, Harar… Le premier journal en français remonte à 1795. Les publications francophones se comptent en plusieurs centaines jusqu’au début du XX° siècle.

•Dans les comptoirs français des Indes, entre 1879 et 1903, apparaît au moins une dizaine de journaux à la durée plus ou moins longue : une presse favorable au gouvernement (Le petit Bengali), une presse d’opposition soit française soit hindoue (L’Union hindoue) et déjà une presse nationaliste en langue tamoule exclusivement (L’Hindou).

• A Madagascar, entre 1892 et 1909, on recense une presse du territoire et de la capitale (Le Madagascar, L’Indépendant de Madagascar, Le petit courrier de Tananarive…), mais aussi des régions (Le Réveil de Majunga, La cravache antsiranaise).

• En Indochine, les premiers journaux en français datent de 1888 Le Courrier de Saïgon, Saïgon républicain. Une presse des Indochinois eux-mêmes soit en français, soit en bilingue ou uniquement en vietnamien verra le jour à partir des années 1920.

• Plus généralement, il existe aussi une presse coloniale : la Revue maritime et coloniale (1861-1914) du ministère de la Marine, Bulletin de la Société des études coloniales et maritimes(1876-1895),Revue coloniale (1895-1911) du ministère des Colonies, La Quinzaine coloniale (1901-1913), etc. C’est donc dans ce mouvement général de la presse francophone qu’en avril 1899 le premierjournal hebdomadaire en français de la Côte française des Somalis voit le jour : Djibouti, journal franco-éthiopien.

Cette publication est dirigée par Justin Alavaill :âgé de 52 ans, il arrive à Djibouti avec son épouse (qui meurt le 8 février 1899), et son fils Augustin. Il a déjà une longue carrière derrière lui. Originaire du Sud-Est de la France, il a soutenu la Commune de Paris, il a connu la prison pour ses idées politiques ; il est socialiste, franc-maçon et anticlérical. Journaliste, il a fondé avec son frère  Le Républicain des Pyrénées Orientales, puis un journal anticlérical, La Farandole ; par la suite, il a été rédacteur en chef du journal Le National à Paris. Co-fondateur de la fédération socialiste de sa région, il s’est présenté en vain aux élections législatives de 1895.

De même que le canal de Suez eut une presse spécifique de soutien, de même la Compagnie impériale des chemins de fer éthiopiens (CIE)eut la sienne : Djibouti, journal franco-éthiopien. Ce journal, qui démarre le 4 février 1899, comportait quatre pages, grand format. Il paraissait chaque samedi. Le bureau du journal était situé au Plateau du Serpent. Si Justin Alavaill dirigeait le journal, son fils, Augustin Alavaill, était l’imprimeur, le gérantet, à l’occasion, il faisait desreportages : il a rédigé des articles sur Djibouti pour un autre journal Le Monde Illustré. Il était également photographe – ce qui explique qu’il fut aussi éditeur de cartes postales.

Djbouti, journal franco-éthopienétait essentiellement destiné à faire connaître le point de vue de la Compagnie tant surl’avancement des travaux que sur les problèmes économiques, politiques et financiers de la Colonie, mais aussi sur les rapports avec l’administration locale – c’est ainsi que le gouverneur Martineau(1899-1900) fut la cible de critiques parce qu’il n’adhérait nullement aux intérêts de la Compagnie ferroviaire. Néanmoins, on peut y lire des petites informations sur Djibouti, concernantuniquement la communauté européenne.Les habitants du pays sont surtout mentionnés lorsqu’ils marquent leur hostilité au train. Ils ne peuvent, bien sûr, être lecteurs : la petite école primaire n’avait qu’un nombre infime d’élèves, souvent des enfants européens des employés à la construction du train, mais très peu de jeunes Djiboutiens.

Justin Alavaill, malade, quitte Djibouti et meurt à Marseille le 22 avril 1903. Le journal est interrompu du 2 mars au 31 mai 1903 puis AugustinAlavaill reprend le journal avant de l’abandonner le 10 octobre 1903.

Envoyé par bateau, ce journal était suivi en France : les informations qu’il donnait étaient reproduites dans nombre de journaux. Il semble aussi que Ménelik s’en faisait traduire le contenu.Notons qu’à Djibouti Justin Alavaill a laissé de côté ses idées socialistes et anticléricales, qui le caractérisaient en France.

Note : Sur le site www.imagesetmemoires.com, on peut consulter, dans le Bulletin n°50 de la revue I&M, l’article de Philippe Oberlé sur les premières cartes postales de Djibouti faites par Augustin Alavaill. Les douze premières cartes y sont reproduites. On lira aussi dans le n°12 (2018) de Pount (p 73 à 99), l’article du même auteur « De Djibouti à Diré-Daoua : la naissance du chemin de fer vue par la presse de l’époque (1898-1903) », qui s’appuie principalement sur la lecture de Djibouti journal franco-éthiopien. C’était d’ailleurs déjà le cas pour Rosanna Van Gelder de Pineda dans Le chemin de fer de Djibouti à Assis Abeba (L’Harmattan, 1995).

1900-1977 Le Journal Officiel de la Côte Française des Somalis

Pendant toute la première période de la colonisation, c’est à dire depuis le moment où Lagarde est nommé à la tête de la Colonie jusqu’en 1900, il n’existe pas de Journal Officiel. Tous les actes officiels sont consignés à la main dans des registres et ne peuvent faire l’objet d’une réelle diffusion auprès d’un large public – la tâche des chercheurs en est d’ailleurs singulièrement compliquée.

Un arrêté du 8 février 1900 institue le Journal officiel. Et le 10 février 1900, paraît le premier numéro du Journal officiel de la Côte Française des Somalis et Dépendances, tiré sur une presse à copier, c’est à dire non imprimé. Ce n’est que peu après que le Journal Officiel sera imprimé et sortira à raison d’un numéro par quinzaine, mais le rythme variera. Il y aura d’ailleurs une longue interruption du 1er octobre 1903 jusqu’au 1er août 1904 en raison de la fermeture de l’imprimerie, mais hormis cette exception, il paraîtra très régulièrement, même pendant la seconde guerre mondiale.

Cette publication n’a qu’une vocation juridique et sa lecture est, comme on le sait rebutante et ingrate, mais parce qu’elle contient un grand nombre d’informations sur les Djiboutiens et la vie administrative elle constitue un document important et utile.

On y trouve les noms des Djiboutiens qui ont servi dans l’administration pour les emplois les plus divers ainsi que toutes les questions liées à la propriété foncière. Une partie de la mémoire collective y est consignée et mérite d’être étudiée : on y lit le nom du personnel de l’administration : depuis les jardiniers et les pilotes de chaloupe du gouverneur jusqu’aux gardes et soldats, jusqu’au personnel de la santé, de l’enseignement, de la justice, etc. Il est ainsi possible de reconstituer une partie de l’histoire des Djiboutiens grâce à ce type de document.

1905-1911 Le Semeur d’Éthiopie

Au début du XX° siècle, à Harar, le Père Marie-Bernard, de la congrégation des Lazaristes, qui s’occupait de la léproserie, devient le directeur de l’imprimerie et du journal de la Mission catholique. Cette publication mensuelle s’appelait d’abord Bulletin du Léprosarium de Harar avant de devenir Le Semeur d’Éthiopie (Le Semeur est un titre très fréquemment utilisé, particulièrement dans les publications religieuses).

L’imprimerie se trouve d’abord à Harar de 1905 à 1908, puis est transférée en décembre 1908 à Dire Dawa oùle journal continuera de paraître jusqu’en mai 1911. Si l’objectif de ce journal est religieux, il contient aussi beaucoup d’informations sur les événements locaux et des observations sur les pratiques sociales des populations. Des textes en amharique seront aussi édités par cette imprimerie.

Note : Richard Pankhurst, dans un article des Annales d’Éthiopie(2003, vol XIX, p231-256), a pu reconstituer les principaux événements de 1899 à 1911 à partir des informations produites dans Djibouti, journal franco-éthiopienet dans Le Semeur d’Ethiopie–ce sont, bien sûr, des ‘événements’ vus du point de vue européen.