M. Aidan O’Hara, Ambassadeur de l’Union européenne à Djibouti et auprès de l’IGAD :
Pouvez-vous nous parler du rôle de l’Union européenne à Djibouti et en particulier auprès des institutions de bonne gouvernance, comme l’Assemblée nationale ?
Le rôle de l’Union européenne à Djibouti comme dans le reste du monde est clairement défini par l’article 21 du Traité de Lisbonne, qui stipule entre autres :
L’action de l’Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde: la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. Dans la même perspective, la Stratégie globale de l’Union européenne avec l’Afrique notamment dans son partenariat numéro 4 préconise aussi un partenariat pour la gouvernance.
Et justement la Vision 2035 de Djibouti prévoit parmi ses 5 priorités la bonne gouvernance : des Institutions républicaines représentatives, fortes et efficaces qui respectent la loi et la font appliquer. Et tout cela sous le dénominateur commun de l’Agenda 2030 et en particulier l’Objectif de Développement Durable 16 qui veut promouvoir des institutions efficaces.
Il convient de garder à l’esprit que l’Union européenne travaille toujours sur la base du partenariat. Nous ne travaillons avec des pays que de manière libre et souveraine et dans le but de réaliser des projets dans des domaines d’intérêt mutuel.
Je suis convaincu que le soutien aux institutions de bonne gouvernance et donc à l’Assemblée nationale répond clairement à cette volonté conjointe de Djibouti et de l’Union européenne de progresser dans ce domaine.
Pourquoi est-ce important que l’Union européenne collabore avec l’Assemblée nationale ?
Parce que très honnêtement, le parlementarisme et la démocratie sont les deux faces d’une même pièce. En collaborant avec l’Assemblée nationale, nous pouvons contribuer à un meilleur fonctionnement du cadre interinstitutionnel djiboutien. Le contrôle des dépenses publiques et la législation seront également améliorés.
L’adoption d’une législation complète et conforme aux obligations souscrites par l’Etat de Djibouti en vertu des instruments internationaux et régionaux est une des responsabilités du Parlement. Une législation forte contribue à envoyer un message clair à l’ensemble de la population et la mise en place d’un cadre législatif moderne et actualisé n’est pas seulement un droit mais un impératif pour le développement durable d’un pays. C’est une priorité qui incombe à tous.
Les parlements incarnent l’institution qui représente le mieux les valeurs de la démocratie et des droits humains qui font partie de l’ADN de l’Union européenne. C’est dans ce contexte qu’il faut placer notre projet.
Certaines grandes puissances affirment que le progrès économique est une condition préalable au progrès politique et social. Mais nous pensons que vous ne pouvez pas avoir l’un sans l’autre. Ils vont de pair. Si nous écoutons les puissances antidémocratiques, le danger est que le progrès économique devienne une condition de substitution au progrès politique et social plutôt qu’une condition préalable. La démocratie parlementaire permet aux Européens et aux Africains de jouir de la dignité humaine à laquelle nous aspirons tous. Il est essentiel de souligner l’expérience et le savoir-faire de l’Union interparlementaire que le degré de confiance, l’engagement du parlement et l’attachement de son Président à faire de ce projet une belle réussite.
Un mot plus général sur l’action de l’Union européenne à Djibouti et auprès de l’IGAD :
L’Union européenne est un partenaire pérenne de Djibouti.
Nous venons de finaliser notre programme pour les sept prochaines années avec nos partenaires djiboutiens. Je peux vous dire que nous nous concentrerons sur trois priorités : continuer à améliorer l’accès à l´eau, renforcer la gouvernance et les institutions et améliorer la formation et l’insertion professionnelle durable des jeunes.
En ce qui concerne l’IGAD, nous faisons de l’intégration régionale. Nous soutenons, par exemple, la décision du Conseil des ministres de l’IGAD concernant le protocole sur la libre circulation des personnes (et la transhumance). J’espère qu’il sera rapidement ratifié par tous les États membres. Enfin, je ne peux conclure sans évoquer l’opération Atalante qui joue un rôle essentiel dans la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne. Elle soutient le gouvernement fédéral de la Somalie dans l’effort combiné pour la paix et la stabilité en Somalie et dans la Corne de l’Afrique et le développement et l’amélioration de la sécurité maritime dans la région. Djibouti accueille la base logistique de l’Opération Atalante depuis ses débuts.
M. Martin Chungong, Secrétaire général de l’Union Interparlementaire (UIP)
Pouvez-vous décrire le rôle de l’UIP et ses missions de renforcement des capacités ?
L’UIP est l’organisation mondiale des parlements nationaux. Elle a plusieurs missions, y compris la promotion de la démocratie. Ardent défenseur de la démocratie, elle mène des actions destinées à renforcer les moyens des parlements et leur permettre d’être mieux à même de répondre aux attentes des populations de leurs pays. Elle aide ainsi les parlements à se renforcer, à s’ouvrir aux jeunes et aux femmes, à cultiver la diversité et à se conformer aux normes de parlements démocratiques.
Deux fois par an, l’UIP rassemble plus de 1 500 délégués parlementaires et partenaires à l’occasion d’une Assemblée mondiale, qui apporte une dimension parlementaire à la gouvernance mondiale, notamment aux travaux de l’ONU et à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. De plus en plus, l’UIP encourage une action parlementaire dans le cadre des efforts déployés au niveau mondial pour endiguer les effets néfastes du dérèglement climatique.
L’UIP encourage les parlements à prendre en main leur propre développement. Pour ce faire, l’UIP se base sur des outils tels que les « Principes communs en matière d’assistance aux parlements ». Ces Principes fixent une ligne de conduite à respecter pour la planification et la mise en œuvre de programmes visant à renforcer les parlements. Le premier principe énonce que : « le Parlement lui-même est le mieux placé pour exprimer ses besoins, pour définir des objectifs de politique générale et pour décider de la démarche stratégique à suivre en ce qui concerne les activités particulières.». Les Principes communs ont été entérinés par 165 organismes, dont le Parlement panafricain et le Parlement européen par exemple. L’Assemblée nationale de Djibouti a adhéré aux Principes communs en avril 2015.
L’idée qui sous-tend l’ensemble du travail de renforcement des capacités de l’UIP est que des Parlements plus forts sont des acteurs centraux pour la démocratie et le respect des droits humains. Les projets PRAN I et PRAN II s’inscrivent pleinement dans cette approche.
Pouvez-vous nous parler des résultats des projet PRAN I et PRAN II et des prochaines activités ?
Grâce à notre étroite collaboration avec l’Assemblée nationale et l’Union européenne, les projets PRAN I et PRAN II ont conduit à des résultats concrets pour l’Assemblée nationale de Djibouti. En premier lieu, ils ont accompagné l’Assemblée nationale dans la création de structures permanentes pour l’Assemblée nationale, comme la commission parlementaire sur les droits humains ou le caucus des femmes parlementaires. D’un point de vue de l’administration, le projet a fourni des conseils aux haut-responsables de l’administration pour la mise en place d’une unité de gestion chargée de coordonner l’action entre les différentes directions de l’Assemblée nationale. Le projet a également visé à accroitre les connaissances sur les droits humains des différents parlementaires, peu importe leurs couleurs politiques. Ainsi,70% des députés ont estimé avoir acquis de nouvelles connaissances sur les droits humains et plus de 75% se sont déclarés « désormais prêts à s’engager plus sur les droits humains ».
A l’avenir, le projet PRAN II va lancer une campagne de communication sur les droits humains. Il va aussi accompagner l’Assemblée nationale dans sa volonté de rapprochement avec d’autres institutions de bonne gouvernance de Djibouti, via la signature de Protocoles d’Entente. Bien sûr, les ateliers de formation vont se poursuivre de même que notre travail pour le renforcement du caucus des femmes parlementaires.
Un mot sur la dernière Assemblée de l’UIP ?
La 143ème Assemblée de l’UIP s’est tenue à Madrid du 26 au 30 novembre 2021 à l’invitation du Parlement espagnol. Ce fut la première Assemblée en présentiel depuis le déclenchement de la pandémie de Covid-19. Elle a réuni plusieurs centaines de parlementaires issus de 117 pays. Son thème central était consacré à « Surmonter les divisions et renforcer la cohésion pour relever les défis actuels de la démocratie ». A cette occasion, le plan stratégique 2022-2026 de l’UIP a été adopté et les parlementaires du monde entier ont adopté une résolution émanant d’un point d’urgence visant à favoriser un accès équitable aux vaccins, en particulier dans les pays en développement.
Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier et féliciter le Président de l’Assemblée nationale, M. Mohamed Ali Houmed ainsi que l’ensemble des parlementaires membres de la délégation djiboutienne de l’UIP pour leur assiduité, leur travail et leur engagement au sein de la communauté parlementaire internationale. C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je m’entretiens avec le Président Mohamed Ali Houmed qui est un grand défenseur de la cause du parlementarisme en Afrique et dans le monde.