Au nord-est de Djibouti, dans la ville côtière d’Obock, une usine de recyclage unique dans le pays transforme chaque jour les déchets plastiques en pavés autobloquants. Plus qu’un projet écologique, la “Fabrik”, comme l’appellent les obockois, est devenue un moteur social et économique, offrant un revenu à des dizaines d’habitants vulnérables et redonnant espoir à toute une communauté. Reportage.

À l’extrême nord-est de Djibouti, capitale de la république éponyme, se  dresse une magnifique ville bordée de multiples plages de sable fin : Obock, principale ville d’une région où la mer rencontre le désert. Ici, les levers de soleil embrasent l’horizon, les vents balaient une poussière fine et dorée, tandis que les pêcheurs ramènent chaque matin leurs prises au marché. Ville historique, qui fut un temps la capitale du pays, Obock et sa région offrent une beauté inégalée. Elles abritent notamment la mangrove de Godoria, véritable oasis où cohabitent de nombreuses espèces animales et végétales.

Mais derrière cette image de carte postale se cache une toute autre réalité, celle d’une région qui peine à supporter une pression migratoire importante et une pollution plastique croissante. En effet, des milliers de sacs et de bouteilles en plastique (abandonnés quotidiennement par les milliers de migrants qui transitent dans cette ville) poussés par le vent, finissaient souvent accrochés aux buissons épineux ou flottant à la surface de la mer.

Pour faire face à ce mal silencieux, qui menace la faune marine, la santé publique et qui ternit notamment l’image de la ville, le Conseil régional d’Obock, la préfecture et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), décident d’agir. Et des discussions, jaillit de l’OIM l’idée de mettre en place une petite unité de transformation des déchets plastiques en pavés autobloquants. Le Premier Ministre, Son Excellence, M. Abdoulkader Kamil Mohamed en visite officielle dans les régions de l’intérieur en février 2022, lance les travaux de construction. L’initiative se concrétise dans le cadre du programme “Solutions pérennes pour les populations hôtes, les réfugiés et les migrants les plus vulnérables sur le territoire djiboutien” financé par le Fonds Fiduciaire de l’Union européenne et mise en œuvre par l’Agence djiboutienne de développement social (ADDS), une institution nationale sous la tutelle du ministère des affaires sociales et des solidarités. A moins de cinq kilomètres du centre-ville d’Obock, non loin du camp Markazī des réfugiés yéménites, une silhouette insolite s’élève du sol aride : La Fabrik, comme l’ont baptisé les Obockois, transforme les déchets plastiques en  pavés autobloquants. Première du genre à Djibouti et troisième sur le continent africain, la structure a pour mission de protéger l’environnement et créer des emplois en donnant une nouvelle valeur à ce qui hier encore, était considéré comme un fléau environnemental.

Un espoir environnemental  

Opérationnelle depuis 2022, la ‘‘Fabrik’’ est devenue au fil du temps, un moteur de développement social et économique, offrant un revenu à des dizaines de familles vulnérables et redonne espoir à tout un écosystème terrestre et maritime, mis à rude épreuve par l’essor fulgurant des déchets plastiques. 30 collecteurs et 5 techniciens s’activent quotidiennement pour faire fonctionner la ‘‘Fabrik’’. Et ils commencent tôt leur travail.

Il est 6 h 30 quand la ville commence à s’animer. Dans la lumière dorée du matin, une trentaine d’hommes et de femmes se rassemblent près de la place centrale. C’est l’équipe des collecteurs.

Hassan Dardar, la quarantaine, lance le signal. Le groupe se disperse dans les rues, allant de maison en maison, fouillant les terrains vagues, longeant les plages. Bouteilles écrasées, bidons d’huile usés, sacs en plastique accrochés à un arbuste, morceaux de seaux cassés, … rien ne leur échappe.

Le soleil monte vite, la chaleur devient pesante. Mais l’équipe continue. À midi, les collecteurs convergent vers la “Fabrik”. Les sacs sont pesés, les données notées dans un registre. Chaque kilo compte, non seulement pour la production, mais aussi pour le revenu de ceux qui les apportent.

À l’intérieur de l’usine, l’air est saturé d’une odeur mêlant plastique chauffé et sable humide. Le bruit des broyeurs couvre presque les voix. Les copeaux de plastique sont mélangés à du sable fin, chauffés à haute température, puis versés dans des moules métalliques. En quelques minutes, un pavé autobloquant prend forme, solide et prêt à être utilisé, juste, quelques minutes après refroidissement à l’air libre.

Au cœur de la ‘‘Fabrick’’, Kadidja Ali Mohamed, une jeune obockoise de 27 ans s’affaire aux côtés de quatre collègues pour faire tourner cette petite unité de transformation. Chaque jour, du dimanche au jeudi, ils accueillent une trentaine de collecteurs chargés de ramasser les déchets en plastique dans les rues, les terrains vagues ou les abords de la mer. 16 hommes et 14 femmes tous issus des familles vulnérables du quartier  ‘‘Fantahero’’. Ils participent à un programme de collecte de déchets plastique intitulé « Cash for Work » ou « argent contre travail » en français, mise en place par l’OIM. Khadija Ali Mohamed, travaille à  La ‘‘Fabrik’’ depuis près de trois ans. Elle est l’unique femme d’une équipe de cinq techniciens chargés de la production de pavés autobloquants. Après le lycée, elle a décroché son premier emploi dans cette unité. Elle manie les moules et vérifie la qualité des pavés avec assurance, dans ce métier qui, jusqu’à présent n’était réservé qu’aux hommes. «Je fais partie des cinq employés ici et je suis la seule femme » confie-t-elle.

Une gouvernance locale renforcée

En septembre 2024, la gestion de l’usine a été transférée au Conseil régional d’Obock. L’OIM conserve un rôle d’appui technique, mais la responsabilité quotidienne revient désormais à la communauté. Selon le président du conseil régional, Mohamed Houmed Ismaïl, la production est passée de 50 pavés à 160 pavés par jour actuellement soit à peu près dans deux mètres carrés.

La présence de déchets plastiques sur les plages a diminué de près de 40 % dans certaines zones d’Obock, selon une évaluation de l’OIM. De plus, l’argent reste dans l’économie locale, au lieu de partir à l’étranger.

L’usine emploie directement 35 personnes, mais le projet bénéficie à plus de 100 familles grâce aux revenus indirects (collecte, transport, vente).

Si la production atteint 300 pavés par jour, la “Fabrik” pourrait générer un chiffre d’affaires annuel suffisant pour couvrir entièrement ses frais et financer de nouvelles machines. Cela en ferait un modèle économiquement autonome.

En ce qui concerne les perspectives d’avenir à court et à moyen terme, « C’est d’abord diversifier les produits que nous faisons en colorant le produit pavé donc autobloquant qui est ici, mais également, nous allons construire des pavés routiers qui sont faits à base de tous les produits recyclés » a déclaré Mohamed Houmed Ismaïl, président du conseil à Obock

Pour le préfet, Moussa Aden Miganeh, cette région « C’est un exemple de développement durable : une initiative locale, gérée par des habitants, qui protège l’environnement et crée des emplois. »

Les ambitions sont claires : augmenter la production, diversifier les produits, former plus de techniciens et installer de nouvelles petites unités dans d’autres villes.

À terme, Obock pourrait devenir un centre national de recyclage plastique.

En tout cas, dans un pays où la gestion des déchets reste un défi majeur, l’expérience de la “Fabrik” pourrait bien servir de modèle.

À Obock, chaque transformation de déchets en plastique devient une ressource pour cette ville qui commence à reprendre son avenir en main.