Elle est partie paisiblement entourée par sa famille et ses amis. Marie-Paule Martinet, avocate Franco-Djiboutienne, inscrite au barreau de Djibouti depuis 1984 est décédée le 11 octobre dernier dans sa ville natale de Lyon. Elle repose désormais en paix dans le petit cimetière de Tomino, son village corse qu’elle aimait tant qui domine la mer méditerranée, face à l’ile d’Elbe et à la côte italienne. Rattrapée par la récidive de sa maladie il y a 5 ans, elle aura luttée comme une lionne jusqu’au bout, rassurant sa famille et ses amis. Retour sur la vie et l’œuvre de cette femme au grand cœur qui laisse une trace indélébile dans notre pays. Portrait posthume.

Elle aimait à dire qu’elle était la première femme Djiboutienne avocate. Comme pour affirmer son attachement et l’amour indéfectible qu’elle portait pour Djibouti et sa population avec qui elle vivait en parfaite symbiose. Marie-Paule met pour la première fois les pieds sur le sol Djiboutien en décembre 1975 dans le sillage de son mari, le célèbre avocat Me Alain Martinet. Deux ans avant l’indépendance, Feu Hassan Gouled fait appel à lui pour lui confier en effet la délicate mission de défendre et faire libérer de prison un certain nombre de militants de la LPAI, parti indépendantiste qu’il présidait. En 1981, Me Alain Martinet ouvre un second cabinet à Djibouti. Trois ans plus tard, en 1984, il ferme son cabinet de Paris et décide de s’installer définitivement avec femme et enfants à Djibouti.

À partir de cette date, Marie Paule aura un véritable coup de foudre pour le pays. Toutes ses actions, notamment son engagement démontreront que Djibouti était son pays. C’est son mari qui en parle le mieux  «Elle aimait passionnément ce pays, sa population, ses paysages, notamment la mer où elle nageait inlassablement le long des récifs coralliens. Sans parler de la pèche sportive où elle excellait particulièrement ». Jalouse de son indépendance, de déplacement notamment, Marie-Paule bravant la frilosité des consignes de sécurité des autorités, Me Alain Martinet relate que son épouse aimait particulièrement « déambuler seule et faire son shopping dans les boutiques des souvenirs, d’épices et de tissus sur la place Mahmoud Harbi ou rue des mouches, les bras recouverts de bracelets en or. Rien ne pouvait lui arriver… Tous les commerçants du souk la connaissait….Elle était Madame l’ancien…et donc elle se savait protégée… »

Humble, Marie-Paule l’était jusqu’au bout des ongles. Et ce, malgré un statut de brillante intellectuelle. Elle est à 22 ans diplômée de sciences Po, diplômée d’études supérieurs de droit privé et de droit public, lauréate du concours général de droit civil et membre du barreau de Paris. Elle est par ailleurs issue d’une longue lignée d’inventeurs célèbres de la région lyonnaise, fille de Pierre Stagnara, chirurgien célèbre et surtout petite fille du Dr Emond Locard, fondateur du premier laboratoire de police scientifique au monde.

Discrète, travailleuse de l’ombre, elle détestait se mettre sur le devant de la scène, laissant à son mari ce rôle de représentation et de plaidoirie pour défendre les dossiers qu’elle a ficelé en amont en argumentaire de droit avec son mari. En effet, la présidente de la cour d’appel, Mme Nima Ali Warsama,  met en relief ce trait de caractère « bien qu’elle n’était pas présente dans les salles d’audiences du palais de justice, sa plume se lisait beaucoup à travers ses conclusions, ses écrits étaient très instructifs pour les praticiens de droit ».

De l’avis de tous ceux qui l’ont côtoyé, Marie-Paule avait le droit, la justice et la liberté chevillés au corps. Elle démontrera l’étendue de son talent en matière de droit en 2016 et laissera une œuvre désormais gravée dans le marbre de la justice Djiboutienne. En effet, cette année là, aux côtés de son mari et du professeur de droit niçois Yves Strickler, elle est choisie au terme d’un appel d’offre international lancé par le gouvernement djiboutien pour la rédaction du code civil et du code de procédure civile. Deux textes fondamentaux en vigueur depuis le 9 avril 2018. De ces deux années de collaboration, le Pr Yves Stickler dira dans un poignant message qu’il a été subjugué profondément par ses qualités humaines et professionnelles. Bienveillante et lumineuse sont aussi les traits de la personnalité de cette femme qu’il gardera d’elle «… j’étais émerveillé par le fait que cette compétence technique était accompagnée d’une personnalité généreuse, ouverte aux autres, avec le souci constant de viser à l’effectivité du droit et aux équilibres qu’il est sensé construire et assurer….. cette présence aux autres était aussi la présence donnée à sa famille qu’elle entourait d’une bienveillance qui n’est qu’un trait de la lumière qu’elle projetait sur tous ceux qui l’approchaient ». Son mari va dans le même sens en confirmant les propos de son collègue en disant que « l’intelligence de Marie-Paule n’avait d’égale que sa discrétion et sa bienveillance. »

Parfaite maitresse de maison qui savait recevoir avec gentillesse et élégance ses amis, Marie-Paule était une mère de famille comblée, fière de l’éducation et du parcours de ses enfants qu’elle couvait d’un amour infini. Deux de ses 4 enfants vont suivre le parcours de leurs parents. Julien et Beatrice sont aujourd’hui deux avocats reconnus par la profession à Paris. Julien est à la tète de son propre cabinet d’avocats. Peut être, c’est lui qui est le plus djiboutien de ses enfants, dit de sa mère. « Déterminée, fière, sensible, secrète, toujours positive et toujours réconfortante », Beatrice qualifie sa mère comme une femme « Libre, généreuse, heureuse et irrévérente ».

Toutefois, Marie-Paule trainera avec elle une blessure secrète. La maladie de sa fille Laure, au destin brisé l’aura énormément affectée, comme à son habitude sans se plaindre, toute en discrétion. Il n’est pas faux de dire que le choc émotionnel lié à un accident de cette dernière aura peut être réveillé sa maladie qu’elle a vaincue une première fois en 1997 avant d’avoir raison d’elle et l’emportée finalement 27 ans après.

Deux mois après son décès, le 14 décembre dernier, son mari Me Alain Martinet, entouré de son fils Julien, sa petite fille Cassandre, ses nombreux amis franco-Djiboutiens, ses amis et collègues du corps judiciaire, rendra un dernier hommage à sa femme dans leur résidence de Haramous. Cérémonie pleine d’émotion où la vie et l’œuvre de Marie-Paule ont été unanimement saluées à leurs justes valeurs. Me Martinet, dans son discours d’introduction, submergée par l’émotion d’un homme qui a perdu celle avec qui il a partagé plus de  50 ans de vie commune, a retracé les points de repères de la vie de son épouse. Avec le sourire et l’humour, comme pour affirmer l’amour fusionnel qui le liait à Marie-Paule reconnaitra « Parmi tous ses mérites et non des moindres, celui de m’avoir inlassablement supporté au cours de ces presque 55 années de vie commune ».

Ensuite, les représentants du corps judiciaire Djiboutien vont se succéder tour à tour sur le pupitre pour raconter une histoire, un événement ou une anecdote sur Marie-Paule. Le procureur général M. Djama Souleiman, l’ancien procureur de la république et actuel secrétaire général du ministère de la justice M. Maki Omar Abdoulkader, le bâtonnier de l’ordre des avocats Me Moctar Omar Abdillahi, les avocates Fatouma Mahamoud et Hasna Barkat seront unanimes pour dire leur fierté et la chance qu’ils ont eu de rencontrer une femme exceptionnelle et qui d’une façon ou d’une autre était très importante dans leurs carrières et dans leurs vies tout simplement.

Au ministère de la justice de prendre l’initiative de garder la mémoire de Marie-Paule vivace et baptiser une salle d’audience ou une rue de Djibouti ville à son nom. Une belle manière de lui rendre son amour pour le pays et sa contribution à la justice Djiboutienne.

Quant à moi, je retiendrais ce sourire qui ne la quittait jamais à chaque fois que je la rencontrais. Ce sourire propre à une personne qui vous veut du bien. En me gratifiant de cette appréciation « mon journaliste préféré… »

Pour terminer ce portrait de Marie-Paule, je laisse le mot de la fin au Pr Yves Strickler qui résume très bien sa personnalité lumineuse « Dans une vie, il y a des rencontres qui marquent plus que d’autres. Des êtres qui vous éclairent et vous permettent d’avancer sur le chemin du mieux, tant sur le plan professionnel que sur le plan humain ». Tout est dit.

Repose en paix Marie-Paule. Nous ne t’oublierons jamais. Tu resteras gravée à jamais dans nos mémoires.

Saleh Ismail Wabar, journaliste/producteur