L’image de la femme djiboutienne a bien évolué au fil des années. A la femme au foyer, qui passait sa journée dans la cuisine pour satisfaire l’appétit gargantuesque de son mari, nous sommes passés à la femme moderne, raffinée, qui prend soin d’elle sans pour autant délaisser son foyer. A une différence prêt, dorénavant, plus le temps de cuisiner, soit on commande du tout cuit, soit on mange dans les nombreux restaurants qui ont pignon sur rue dans la capitale. Et les maris ? Ils passent à la caisse pour payer,  au plus grand bonheur de leurs femmes.

Il fut un temps où nos mères ne sortaient de la cuisine qu’à l’appel de la prière de midi. Leurs vies étaient rythmées à la seconde. Elles se levaient aux aurores pour préparer le petit-déjeuner, le servir ensuite, préparer les enfants et faire manger tout le monde. Après le départ des enfants et du mari, direction le marché, pour acheter des légumes frais et de la viande. Retour ensuite en cuisine. Ce train de vie, ne les fatiguait nullement. Elles se sentaient utiles et en étaient fières. Cette image peu flattantes de nos mères est désormais aux oubliettes. Les femmes travaillent, elles contribuent aux finances de leurs foyers et elles ont également un rôle important à jouer dans la société.

Alors cuisiner toute la matinée, ne fait plus partie de leurs prérogatives et tout comme les hommes, elles ont un travail prenant, en plus de leurs charges familiales.

Ce tableau familial a bien un côté positif, les femmes peuvent choisir de cuisiner ou pas ! Car pourquoi se prendre la tête et avoir chaud dans la cuisine alors que des dizaines de restaurants vous offrent des repas de qualité, en fonction de votre bourse ?

Et un phénomène de plus en plus récurrent, pleins de jeunes couples sont attablés tous les midis dans les différents restaurants arabes ou autres du centre-ville. Comment alors s’explique cette nouvelle tendance ? A  mi- mot, entre murmures et commérages, les serveuses avouent à qui veut l’entendre que la proportion des couples qui viennent manger va crescendo. Et ceci s’explique, toujours selon elles, que les jeunes femme d’aujourd’hui ne savent pas cuisiner ou qu’elles n’ont pas le temps de cuisiner. Ils ont ainsi trouvé une solution de facilité en venant manger tous les jours pendant leurs pauses déjeuners dans les différents restos du coin.

Raho, 31 ans

Pour dire vrai, je n’ai jamais aimé cuisiné. Même quand  j’étais étudiante, je contribuais aux charges avec mes autres colocataires, mais je préférais faire le ménage, que de cuisiner. Je n’ai jamais compris pourquoi, les femmes sont obligées de cuisiner ! Et pourquoi pas les hommes ? Les djiboutiens qui passent le plus clair de leurs temps à khatter peuvent bien cuisiner pour leurs femmes et leurs enfants, non ? Qui leur a interdit de faire à manger à leurs épouses ? En Europe, ce cliché n’existe pas. Et quand j’ai connu mon mari, je lui ai bien dit que j’avais horreur de la cuisine. Au début, il s’en amusait, mais avec le temps, je vois de plus en plus que le rire du début à laisser place à une certaine lassitude. Pendant le week-end, nous allons manger chez nos familles, et parfois je vois le regard de ma belle-mère et de ses filles. Je sens qu’elles disent que je ne suis qu’une bonne à rien, mais dans la mesure où mon mari ne se plaint pas, je n’ai que fait faire de leurs moqueries. Et, il faut le dire, je me régale à chaque fois que je mange chez elles….

Nasteho, 28 ans

Les restaurants arabes ont sauvé mon couple. 7 ans que je suis mariée, et que j’essaye d’apprendre à cuisiner, mais je n’y arrive toujours pas. J’ai dû regarder plus de 500 vidéos de cuisine sur tous les réseaux sociaux, mais voilà, une fois c’est cramé, une fois, il y a trop de sel, trop d’huile, pas assez d’épices…. Bref, j’étais perdue. Et mon mari appartient à la vieille école, où les femmes devaient forcément faire à manger et servir pour ensuite regarder manger son homme avec des yeux de merlan frits. J’étais au bord du gouffre. Maintenant, nous allons manger tous les jours ensemble pendant notre pause déjeuner, et je trouve que tout va beaucoup mieux entre nous. Je n’ai plus à stresser à l’idée de le voir repartir au travail, le ventre vide. Il est heureux ainsi et moi aussi, mais jusqu’à quand ? Il faudra bien que j’apprenne un jour, mais pour l’instant, je n’y pense pas trop.

Rachida,  25 ans

Depuis mon mariage, l’année dernière, j’ai pris une femme de ménage qui ne sort pratiquement jamais de la cuisine. Et le jour où elle n’est pas là, j’invite mon mari à aller manger. Je n’aime pas cuisiner, c’est une réalité. Je n’aime pas les oignons qui me font pleurer à chaque fois et avoir les mains qui sentent mauvais durant des jours. L’odeur de friture me donne le tournis et surtout que les odeurs restent sur les cheveux. J’ai un très bon emploi et je n’ai pas hésité à investir dans une femme qui sait faire la cuisine. Et pour l’instant, ce train de vie nous convient. Mon mari aime les bons petits plats faits maison, et des fois, sans lui dire, je commande à manger dans les restaurants arabes et je le lui sers. Il ne se rend pas compte de la supercherie. Lui, il veut manger et il mange. L’essentiel est là. Parfois je me surprends à me demander que serait ma vie de couple sans les restaurants et sans ma femme de ménage. Car ma mère m’a appris très vite que tout passe par la nourriture chez un homme. Un homme comblé, me disait-elle, c’est un homme qui a le ventre plein. Mais je parie que certaines femmes, tout comme moi, ont horreur de cuisiner.  Ma politique de vie est simple, la vie est belle et il faut en profiter, mais pas dans la cuisine, pour en ressortir toute trempée de sueur, et sentir les odeurs de brûlé toute la journée. Mon bonheur est déjà tout trouvé et je le reconnais, il se trouve dans ces petits restaurants qui pullulent partout en ville.

N. Kadassiya