Issu du village de Ardo sur les hauteurs du mont Goda dans la région de Tadjourah,  Aboubakar Mohamed Daoud, Abou comme l’appelle ses ami, est l’un des visages emblématiques du tourisme local à Djibouti. Humble, toujours souriant, ce guide infatigable mène depuis près de seize ans des visiteurs à la découverte des joyaux du territoire. À travers ses randonnées, ses récits vivants et son engagement pour la valorisation du patrimoine, il incarne la nouvelle génération de djiboutiens qui misent sur le tourisme comme levier de développement. Rencontre avec un homme qui a transformé une orientation subie, en une vocation profonde et une mission nationale.

Né le 5 septembre 1988 à Ardo, Aboubaker Mohamed Daoud, est un des visages phares du tourisme djiboutien. Pourtant, son histoire professionnelle commence par hasard. Après son baccalauréat, il atterrit par hasard dans la filière tourisme à l’université de Djibouti. Mais ce qui devait être une orientation par défaut s’est transformé, peu à peu, en vocation. « C’est au fil des années que je suis tombé amoureux du secteur, de son contact avec la nature, de la richesse humaine et culturelle qu’il implique » confie-t-il. Son amour pour la nature le pousse à embrasser ce métier. « Chaque sortie est unique, chaque groupe a ses attentes, ses exigences. Mon rôle, c’est de faire le lien entre un territoire et ceux qui viennent le découvrir » ajoute Abou.

Diplômé en 2008 d’une licence en tourisme, Aboubaker débute sa carrière comme beaucoup, par des stages, des sorties pédagogiques, quelques accompagnements de groupes étrangers. Très vite, son aisance relationnelle, sa capacité d’adaptation et sa connaissance du terrain font la différence. Aujourd’hui, il cumule plus de 16 années d’expérience.

Son quotidien est celui d’un passionné de la transmission. « Mon travail, c’est d’accompagner des touristes sur les sites naturels de la République de Djibouti, leur faire découvrir ce qu’ils ne trouveront dans aucun guide de voyage » souligne Aboubaker. Pour ce faire, il ne compte ni ses heures ni ses efforts. Il prend des photos, griffonne des croquis, note des itinéraires. Chaque geste d’Aboubaker est précis. Il montre, il raconte, il répond aux questions. « Parfois je dessine le point de vue exact. Ça m’aide à retrouver facilement le parcours » précise-t-il.

Ce qui l’a le plus attiré dans ce métier, c’est sa dimension humaine et environnementale. « Chaque sortie est différente. Chaque groupe de touristes apporte une ambiance, des attentes, un regard nouveau » indique Aboubaker.

 Selon lui le guide devient un passeur d’histoire, un protecteur de la nature et un médiateur culturel. Il s’adapte à la météo, au niveau des visiteurs, à leurs langues et à leurs centres d’intérêt. Il faut parfois organiser la logistique complète, prévoir des hébergements, des repas, assurer la sécurité et même… improviser.

« Dans ce métier, il faut toujours avoir un plan B. Une panne de voiture, un guide de dromadaires en retard, une route fermée… tout peut arriver. Mais c’est notre réactivité qui fait notre réputation » nous dit-il, sourire aux lèvres.

Outre ses activités de guide touristique, Aboubaker Mohamed Daoud est secrétaire généralde l’association du village touristique de Dougoum, un projet communautaire axé sur l’écotourisme et la valorisation des savoir-faire artisanaux, notamment dans la production de fromage. Et il ne compte pas en rester là. Aboubaker envisage en effet créer sa propre agence de voyages, un tour-opérateur local capable de concevoir des circuits sur mesure, respectueux de l’environnement, alliant aventure, culture et rencontres humaines.

Une journée avec Aboubaker au Lac Assal…

Il est à peine 5h30 quand Aboubakar Mohamed Daoud boucle une dernière fois son sac à dos et ajuste ses lunettes de soleil. Devant lui, un petit groupe de touristes venus découvrir l’un des joyaux les plus spectaculaires de la géographie djiboutienne : le Lac Assal, point le plus bas du continent africain. Une expédition qu’il connaît par cœur, mais qu’il vit à chaque fois avec la même passion.

Départ de Djibouti-ville à l’aube. À bord d’un véhicule tout terrain impeccablement vérifié – freins, pneus, phares, tout y passe – le convoi quitte la capitale, direction l’ouest. La lumière rasante du matin effleure les collines rocailleuses. Après une heure de route, le paysage se déchire soudainement : c’est le canyon de Dimbiya, surnommé à juste titre le “Grand Canyon de Djibouti”. Une halte s’impose pour admirer cette faille spectaculaire, sculptée par le temps et les forces telluriques. Aboubakar commente le panorama avec aisance, évoquant l’histoire géologique du lieu et les légendes locales.

Puis, à l’embranchement discret entre les montagnes arides, le convoi quitte la route goudronnée pour s’engager sur la “bretelle d’accès” au Lac Assal. En quelques minutes, le décor devient lunaire. À l’approche du site, l’air devient plus sec, plus dense. La chaleur se fait oppressante. Et soudain, le choc visuel: une vaste dépression blanche, aveuglante, scintille au loin. Le Lac Assal s’étale sous les yeux émerveillés des visiteurs. « Nous sommes ici à 153 mètres sous le niveau de la mer, » annonce Aboubakar, « et devant vous, l’un des lacs les plus salés de la planète, avec plus de 300 grammes de sel par litre d’eau. Rien ne peut y vivre, ni poissons, ni algues. C’est un monde minéral, pur, figé. » Il explique aux visiteurs les mécanismes d’évaporation extrême, les sources thermales souterraines, et l’exploitation artisanale du sel, qui perdure depuis des siècles, portée à dos d’homme ou en camionnettes de fortune.

L’expérience est saisissante. Le sol craque sous les pas, recouvert de croûtes cristallines. Certains visiteurs, bien équipés de chaussures en plastique, s’aventurent dans l’eau. La flottabilité y est déroutante, presque comique.

La visite se poursuit jusqu’au volcan Ardoukoba. Ce volcan, né d’une éruption en 1978, entre le Ghoubbet et le lac, est accessible après une courte approche en 4×4.  « Nous marchons sur les entrailles vivantes de la Terre », lance-t-il.

Mais pour aujourd’hui, le déjeuner est prévu au bord du Ghoubbet el Kharab. L’endroit est magique : une anse sauvage, des falaises sombres, l’île du Diable à l’horizon et la fosse aux requins en contrebas. Sous un abri en dur, à l’ombre, les voyageurs dégustent poissons grillés, salades fraîches, fruits et galettes traditionnelles. Un pique-nique simple mais savoureux, bercé par le ressac discret et le vent chaud du golfe.

Le retour se fait lentement. Le soleil décline derrière les montagnes dénudées, teintant le désert de nuances cuivrées. Dans le 4×4, le silence règne. Pas un mot : juste la fatigue, l’émerveillement, et la sensation rare d’avoir approché un lieu d’une beauté primitive.« Ce que je cherche, confie Aboubakar, c’est à faire vivre une expérience complète. Il faut que chaque étape laisse une trace. » Et le Lac Assal, lui, en laisse toujours une. Indélébile.

Un ambassadeur infatigable

À travers ses activités, Aboubakar Mohamed Daoud incarne un modèle de professionnalisme et de passion. Dans un pays où le tourisme reste encore en phase de structuration, son engagement est précieux. Il milite pour une reconnaissance accrue du métier de guide, la valorisation des sites, l’implication des communautés locales et l’éducation touristique des jeunes générations.

Sa vision est claire : faire du tourisme un levier de développement durable. Il rêve de circuits écoresponsables, de partenariats avec les écoles, d’ateliers pour enfants dans les parcs nationaux, de campagnes de sensibilisation à la richesse du patrimoine djiboutien. « Ce pays a tout : désert, mer, montagne, faune, histoire, culture. Il faut juste y croire, le structurer, le protéger, le raconter », déclare-t-il.

À 36 ans, Aboubakar n’a rien perdu de sa ferveur. Sa silhouette élancée, son sac toujours prêt, ses carnets remplis de notes et de dessins, son regard tourné vers les horizons à venir… Tout en lui, témoigne d’une vocation solide. Il est le guide, mais aussi l’ambassadeur de la beauté des sites touristiques de son pays. Un éclaireur, dans tous les sens du terme.

Zouhour/Asma