
Le Xeer est un mode de gouvernance qui a fait ses preuves durant des siècles et surmonté des contextes politiques difficiles (colonisation et division du territoire en plusieurs entités). Il doit donc posséder un socle de gouvernance solide. Comment définir ce mode de gouvernance par rapport aux régimes politiques classiques ?
Les premiers chercheurs qui ont étudié ce régime du Xeer ont été émerveillés devant cette organisation originale. Pour le qualifier ils ont associé deux notions : démocratie (mode de gouvernance) et pastoralisme (mode de vie).
Un chercheur britannique, I.M. Lewis, après avoir scruté le fonctionnement des sociétés du Xeer, sort une publication (première édition en 1961) au titre révélateur : A Pastoral Democracy avec le sous-titre Study of Pastoralism and PoliticsAmong the Northern Somali of the Horn of Africa.
A son tour, Ali Moussa Iyé n’a pas pu s’empêcher de se retrouver devant la même réalité. Son ouvrage, dans sa première édition, est intitulé : Le Verdict de l’arbre avec le sous-titre Le Xeer Issa étude d’une démocratie pastorale. Dans l’édition de 2014 le sous-titre évolue et devient Le Xeer Issa : essai sur une démocratie endogène africaine.
Chez les deux auteurs, à presque trente ans d’intervalle, c’est la même découverte. Les pasteurs, c’est-à-dire, des hommes qui vivent en mode nomade (peu ou pas de sédentarisme) avec leur cheptel comme ressource principal (peu ou pas d’agriculture) ont un mode de gouvernance qui ressemble à celui d’un Etat démocratique (le pouvoir appartient au peuple). Pour préciser leur pensée, qui cherche à appréhender une réalité endogène avec des concepts exogènes, nous voudrions explorer le type de régime politique du Xeer à travers les éléments suivants :
La façon dont le pouvoir est exercé : république vs monarchie
La forme de gouvernance : démocratie vs dictature
La forme d’organisation administrative : centralisation vs décentralisation
République ou monarchie ?
Le régime politique du Xeer est-il une république ou une monarchie ?
Le terme de république provient de l’expression « res publica, elle-même issue de respopulica, c’est-à-dire la « chose du peuple ». (Larousse)
C’est un pouvoir émanant du peuple qui le délègue à une autorité (exécutif, législatif) temporairement élu (mais avec le variable de la durée et du nombre de mandats) avec des règles de fonctionnement établies.
Il peut y avoir une république démocratique comme il peut exister une république non démocratique et les exemples sont observables dans le monde.
Par contre, la monarchie provient du : « latinmonarchia, du grec monarkhia », régime politique dans lequel le détenteur du pouvoir l’exerce en vertu d’un droit propre : droit divin, hérédité » et le royaume, regnumsignifie « propriété du roi ». (Larousse)
Le peuple n’a pas droit au chapitre de la gouvernance, lorsqu’elle est absolue (non démocratique). Alors que lorsqu’elle est constitutionnelle, c’est comme une république (démocratique) avec,à sa tête, un monarque aux pouvoirs limités.
Dans l’Etat du Xeer, il y a une bivalence (entre monarchie et république), difficile à clarifier avec les concepts classiques.
Il y a un Ougas, un monarque. Son mode d’accession au pouvoir n’est pas héréditaire, ni par une élection à la manière classique. Il est sélectionné par un collège de Xeerbekti représentatif de tous les Issas (sorte de comité ad hoc). Le futur Ougasest sélectionné, après un long processus d’observation discret, sur un certain nombre de jeunes hommes parmi les membres d’un sous-clan issa (Reer Hassan du Wardiiq), avec des critères précis (moralité, signes astrologiques favorables, etc.). On parle de capture (Qabasho) comme on le fait avec le gibier. Il est l’élu d’Allah, par sa destinée, et, par le consensus des Xeerbekti. Il y a des rituels suivis (observations astronomiques, et du’a adressée à Allah). Le profil désiré par les Issas est proclamé dans la prière récitée : on ne demande pas un fort, un riche, (un dictateur) mais un simple, humble et au service du Xeer (démocrate).
Ce roi, est donc élu par le peuple. Il est choisi pour un mandat à vie tant qu’il respecte le contrat de sa fonction. Mais, s’il y a des défaillances et des déviations, il peut être détrôné comme il peut démissionner par lui-même et perdre son poste.Et c’est arrivé plusieurs fois dans l’histoire.
C’est en ce sens-là, une forme de république. L’Ougas, lui-même est res publica (une chose publique). Il fait partie des trois choses que les Issas ont en partage. On parle alors d’un monarque en république.
Démocratie ou absolutisme ?
Comme on l’a vu dans les précédents articles, le fonctionnement de l’Etat du Xeer est démocratique puisque les centres de décisions émanent du peuple (Ougas, Gandé, Guddi). Ils ne détiennent leur légitimité que du peuple qui leur délègue ce rôle. Toute citoyen peut potentiellement intégrer les centres de décision (avec les restrictions concernant l’Ougas réservé à un sous-clan). Les discussions et les contestations, sont toujours ouvertes, même avec et envers l’Ougas.
Cette forme de démocratie a des aspects directs, puisque, par exemple, le Guddi s’empare d’une affaire et le traite, sans attendre l’aval d’une autre autorité : une partie du peuple décide (par le consensus) pour l’ensemble (cf. les signataires du Traité avec la France). Et le Guddi n’a pas d’existence permanente. Il se constitue dès qu’il y a une affaire à traiter et avec des membres disponibles à ce moment-là. Mais il y a aussi l’aspect représentatif puisque le Gandé est constitué sur ce principe, de même que le Guddi(y compris les conseillers de l’Ougas). Ce sont des représentants légitimés selon des critères (HabarDoobireed, dotés des meilleurs attributs moraux) qui décident pour la communauté. Celle-ci ne les conteste que s’il y a des vices de forme ou s’il y a matière à faire appel. Et signe d’une bonne santé démocratique, le droit de faire appel ne peut pas être refusé, ni limité. C’est un droit fondamental inscrit dans la liberté.
Aucun absolutisme n’est possible dans ce système. Le Xeer s’impose à tous, dans l’égalité et le consensus. Tout individu est libre mais doit accepter le consensus (préserver le groupe).
Forme administrative centralisée décentralisée ?
Le territoire issa est certes unifié sous la bannière du Xeer et de l’Ougas. Mais il existe une sorte de décentralisation selon les Gallin (régions). Il y en a 12. Chacune a un nom. Il existe aussi 12 oueds ou Dixavec leurs désignations. Un Issa peut s’installer où il veut, la terre est en partage sans privilèges ni exclusivité. Ciisesadexbaa u dhax’ah : dhulka, martidaiyoUgaaska (les Issas partage la terre, l’hospitalité et l’Ougas). Donc un Issa peut donner son adresse à tout moment. Et c’est dans le territoire où il habite qu’il va exercer ses droits. Il a les mêmes droits partout.
Ce régime du Xeer allie donc le meilleur de la monarchie et de la république. C’est une gouvernance à laquelle chacun participe (ou renonce) librement, et à laquelle tout le monde se soumet par consensus. Le Xeer qui est au-dessus de tous garantit l’égalité et la solidarité et maintient la confiance dans le système.
KADAR ALI DIRANEH