
Dans notre série sur l’Etat du Xeer, par lequel nous entendons que le Xeer est un Etat spécial. En effet, il n’est à nul autre pareil, tel qu’on entend aujourd’hui la notion d’Etat (conception d’inspiration occidentale).
Quel est le régime politique du Xeer ?
Pour déterminer le type de régime, on se pose les trois questions suivantes :
Comment est exercé le pouvoir politique ?
Qui exerce le pouvoir politique ?
Dans quel but est exercé le pouvoir politique ?
Comment est exercé le pouvoir politique ?
Le consensus est à la base de l’exercice du pouvoir Issa. L’Etat du Xeer possède des règles claires à suivre pour exercer le pouvoir politique à différents niveaux.
Il n’y a pas de concentration de l’autorité entre les mains d’un seul ou d’un groupe mais on gouverne par le consensus à travers :
• La représentativité (ma loodhannaa ?) dans les instances de décision (Conseillers de l’Ougas, Guddi, Gandé)
• Le respect des principes du Xeer (ninnanincaara ma dheera)
• La possibilité de contester (geedbaan ka leehay), en cas de non satisfaction, en suivant les règles et les procédures du Xeer
Sur l’ensemble du territoire, tous les Guddi ont la même légitimité, les mêmes prérogatives, et sont égaux (aucun Guddi ne détruit le travail effectué par un autre Guddi : GuddiGuddi ma dilo). Comment cela est-il possible ? C’est que c’est le Xeer qui gouverne tout le monde et non le désir de chacun (d’un groupe ou d’un seul). Tant que les 3 points du consensus sont respectés tout va bien.
Qui exerce le pouvoir politique ?
Le pouvoir est exercé à des niveaux différents : l’Ougas, le Guddi, le Gandé. D’une autre manière, on pourrait dire que ce sont les Xeerbeekti du Guddi, sages expérimentés et respectés qui détiennent la plus grande part dans la conduite des affaires de leurs membres. En effet, les discussions et la gestion des affaires politiques du groupe se font au niveau des régions (même si l’information remonte toujours à l’Ougas), donc de manière décentralisée.
Les affairessont d’abord, et souvent, locales. On forme donc le Guddi représentatif qui les traite. Si par la suite, il y a nécessité d’un appel, on passe à un autre niveau. Un autre Guddi indépendant du premier est formé, toujours sur le principe de la représentativité. A la suite, si nécessaire on remonte jusqu’à l’Ougas qui va écouter avec le Guddi, formé auprès de lui, et représentant tous les sous-groupes issas. L’Ougas préside mais ne tranche pas (Ugaas u gudoonshaaya ma gooyo). Il va donner sa bénédiction à la décision prise par consensus par le Guddi.
Prenons l’exemple du tronçon de la ligne de chemin de fer qui devait traverser le territoire issa. Les Français ont commencé les travaux après l’accord du roi de l’Abyssinie pour atteindre Addis Abeba. Mais ils ont négligé les autorités issas dont la terre devait être traversée. Il y a eu contestation verbale, puis devant le refus des Français, la violence. Les travaux ont dû être suspendues. Ce fut l’impasse que raconte Wabéri dans la nouvelle Conte de fer du Pays sans ombre.
Les Français ont essayé de contourner les autorités issas, en nommant un Ougas à leur service, surnommé par les Issas « ougasfaransiis » ou « ougasxadid » (pour dire qu’il n’est pas le leur) et qui n’eut aucune autorité sur eux. Par la force des choses, il a fallu négocier. Un Guddi est formé selon les règles, la nouvelle ayant été partagée partout. Que demande les Blancs? « Juste un couloir dans votre territoire : de quoi poser deux rails en fer ». C’est vrai que c’est insignifiant mais c’est une question de souveraineté. Après âpres négociations, les Issas donnent l’autorisation de la construction de la voie ferrée ayant obtenu, en échange, la promesse de la gratuité du transport de leurs biens et de leurs personnes. Bien sûr,il y aura, comme toujours, la bénédiction de l’Ougas.
Dans quel but est exercé le pouvoir politique?
Evidemment l’autorité est au service de tous, et pour le bien de tous, sans exception. Il n’y a ni privilèges, ni exclusion. L’égalité est la base des relations et comme la notion est intégrée par chaque individu et chaque groupe, on ne peut y transiger. Tous les individus qui composent les différentes instances (Guddi, Gandé) et l’Ougas concourent à la réalisation et le maintien de la cohésion, de la paix, de la solidarité, de la préservation des biens et de l’environnement nourricier. C’est l’application du Xeer qui est la condition de réalisation de ce bien être social. Enfin, aucune rémunération ou contre partie n’est reçu pour ce service publique. Toute tentative de dons ou d’autres formes de propositions seraient perçus comme de la corruption et cela détruira la réputation de celui qui les proposerait.
Sur la base de ces éléments, il nous reste à répondre, prochainement, à la question de la forme de gouvernement de l’Etat du Xeer.
KADAR ALI DIRANEH