
Reportage au cœur d’un secteur en plein essor, où de jeunes entrepreneurs comme Abokor Moktar Mohamed misent sur l’audace et la persévérance pour bâtir un nouveau visage du tourisme djiboutien.
Parmi les secteurs économiques appelés à jouer un rôle moteur dans le développement de Djibouti, le tourisme occupe aujourd’hui une place de choix. Depuis l’élaboration du schéma directeur du pays, les autorités djiboutiennes ont fait le pari de la diversification économique et misé sur l’essor des services liés au tourisme. Et dans ce vaste chantier, les agences de voyages représentent désormais un maillon essentiel, autant pour la création d’emplois que pour l’enrichissement de l’offre touristique.

C’est dans ce contexte de renouveau que s’inscrit l’expérience d’Abokor Moktar Mohamed, un jeune Djiboutien qui a décidé de franchir le pas en créant sa propre agence de voyage : Golf Travel Agency. Portrait d’un entrepreneur déterminé, mais aussi d’un secteur en pleine construction.
En ce dimanche ensoleillé, les locaux de Golf Travel Agency, situés au centre ville , respirent la fraîcheur d’un projet encore jeune mais déjà solide. Derrière un comptoir bien agencé, entre affiches de destinations exotiques et brochures aériennes, Abokor Moktar nous accueille avec un large sourire. La passion pour son métier se lit dans ses yeux, et l’assurance de celui qui sait où il va se traduit dans son discours.
« Avant de me lancer, j’ai pris le temps de comprendre les réalités du secteur », explique-t-il d’une voix calme. Et pour cause : le jeune homme n’est pas un novice. Pendant quatorze années, il a roulé sa bosse dans les couloirs des plus grandes compagnies aériennes opérant à Djibouti (Ethiopian Airlines, Qatar Airways) et dans une agence de voyage locale. Ce parcours, il le décrit comme une école de rigueur, de contact humain et de compréhension du marché. « C’est cette expérience cumulée qui m’a donné les clés pour monter ma propre structure. »
Une décision réfléchie, loin des aventures précipitées de certains jeunes qui s’embarquent sans préparation dans l’univers complexe du voyage. Car, comme le rappelle Aboubokor, « dans ce métier, rien ne s’improvise. Il faut connaître le produit, comprendre les attentes des clients, et surtout tenir bon sur le long terme».
Un secteur en mutation
Si l’expérience de ce jeune entrepreneur peut inspirer, elle s’inscrit dans une dynamique plus large voulue par les pouvoirs publics. En effet, la création de l’Agence Nationale du Tourisme, remplaçante de l’ancien Office National du Tourisme, marque une étape stratégique dans la volonté de structurer ce secteur. L’objectif est clair : transformer Djibouti en une destination attractive, capable d’attirer à la fois les visiteurs internationaux et les voyageurs régionaux.
Dans cette logique, le rôle des agences de voyages devient crucial. Elles agissent comme des courroies de transmission entre les touristes et les différents prestataires (compagnies aériennes, hôtels, opérateurs touristiques), tout en assumant un rôle de conseil et de logistique. « Un client qui entre dans une agence doit ressortir avec une solution clé en main, qu’il s’agisse d’un billet d’avion ou d’un circuit touristique complet », souligne Abokor.
Le gouvernement a ainsi assoupli certaines procédures administratives pour encourager l’émergence d’acteurs locaux. À titre d’exemple, le système de patente a été révisé. Désormais, deux types de licences existent : la patente billet, réservée aux agences qui se concentrent sur la billetterie, et une patente tourisme, plus complète, destinée aux structures proposant des prestations étendues (hébergement, circuits, guides, etc.). Golf Travel Agency opère actuellement avec une patente billet, mais Abokor envisage déjà de faire évoluer son offre à terme.
Une jeunesse qui se prend en main
Le plus remarquable dans cette évolution, c’est sans doute l’énergie de la jeunesse djiboutienne. De plus en plus de jeunes diplômés ou professionnels expérimentés voient dans les agences de voyages un tremplin vers l’indépendance économique et l’innovation. Certains y voient une manière de répondre aux besoins croissants des clients locaux, souvent déçus par les services standards ; d’autres rêvent de promouvoir les beautés naturelles et culturelles de Djibouti auprès d’un public étranger encore peu familier avec la destination.
Mais les défis restent nombreux : concurrence féroce, marges réduites, coûts de fonctionnement élevés, et surtout, une clientèle parfois méfiante vis-à-vis des nouvelles structures. Pour y faire face, la qualité de service et la transparence sont les meilleures armes. « Ici, nous faisons de la satisfaction client notre priorité », insiste Abokor. « Chaque demande est traitée avec sérieux, et nous veillons à proposer les meilleures options, tant sur le plan du coût que de la fiabilité. »
À moyen et long terme, le potentiel est réel. Le positionnement géographique stratégique de Djibouti, à la croisée de l’Afrique de l’Est, du Golfe et de l’Asie, en fait un hub naturel pour les liaisons aériennes et maritimes. L’ambition de devenir une plateforme régionale du tourisme d’affaires ou de loisirs est donc loin d’être irréaliste, pour peu que les infrastructures suivent et que la formation continue des acteurs du secteur soit renforcée.
« Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est le tout début d’une nouvelle ère », affirme Abokor. « Mais si chacun joue son rôle – les autorités en facilitant l’environnement des affaires, et les professionnels en élevant leur niveau de prestation – alors nous pourrons hisser Djibouti parmi les destinations qui comptent. »
D’ailleurs, certains signaux sont déjà encourageants : la multiplication des vols directs depuis les grandes capitales, la modernisation des infrastructures hôtelières, ou encore les investissements privés dans les circuits de découverte (plongée, désert, patrimoine culturel). Autant de jalons qui dessinent un avenir prometteur.
Une aventure humaine avant tout
Au-delà des chiffres et des perspectives économiques, le parcours d’Abokor Moktar Mohamed est avant tout une aventure humaine. Celle d’un jeune homme qui a cru en ses compétences, qui a capitalisé sur son expérience, et qui a décidé de prendre son destin en main. Il n’est ni le premier, ni le dernier à tenter l’aventure entrepreneuriale, mais il incarne une génération qui veut agir et construire. « J’encourage tous ceux qui ont une idée solide à se lancer, mais en gardant les pieds sur terre », conclut-il. « Ce n’est pas un métier facile, mais c’est un métier de passion. Et avec du sérieux, de la patience et du professionnalisme, on peut y réussir. »
Le secteur des agences de voyages à Djibouti est en train de sortir de l’ombre. Porté par la volonté politique, mais surtout par la vitalité de jeunes entrepreneurs comme Abokor Moktar, il commence à prendre une place légitime dans le tissu économique national. Si les défis sont encore nombreux, les opportunités sont réelles. Ce reportage en est la preuve : à Djibouti, les voyages ne sont plus seulement une destination, mais un projet d’avenir.
Sadik Ahmed