Colorée, généreuse, épicée : la gastronomie djiboutienne est une symphonie de traditions et de modernité, de terres nomades et de brassages culturels. À travers ses marchés, ses plats emblématiques et ses rituels ancestraux, le pays dévoile un terroir culinaire unique. Plongée au cœur d’un univers gustatif où le cabri farci côtoie les crêpes mille trous, et où le Xeedho, mets sacré des mariages, incarne un art de transmission de génération en génération.

À l’image de sa géographie, située au confluent de la mer Rouge et de l’océan Indien, entre Afrique et péninsule Arabique, la gastronomie djiboutienne s’est forgée au fil des siècles dans une rencontre entre les cultures. Ici, les plats sont à la fois un héritage des peuples autochtones – Afars, Somalis – et le fruit des échanges avec les marchands arabes, perses, indiens et européens.

Cette cuisine, inventive, audacieuse, chaleureuse, est un miroir fidèle du peuple djiboutien. Les plats y sont colorés, généreux, souvent épicés, et toujours imprégnés de cette convivialité propre aux sociétés nomades et maritimes. Goûter à un plat djiboutien, c’est embarquer pour un voyage aux confins des saveurs et des traditions.

L’âme de la cuisine djiboutienne réside dans son usage subtil et créatif des épices. Au marché de Riad et au centre de Djibouti-ville, les sachets d’épices colorés attirent les regards et réveillent l’odorat. Cumin, coriandre, curcuma, cardamome, cannelle, clou de girofle, poivre noir : tout un éventail d’arômes puissants s’offre au visiteur, témoins vivants d’un savoir-faire populaire transmis de génération en génération.

Leurs mélanges accompagnent aussi bien les viandes – cabri, bœuf, mouton, que les poissons, ou encore les légumes mijotés dans des sauces aux couleurs éclatantes.

Dans chaque foyer, l’acte de cuisiner est profondément lié à la mémoire et à la transmission. La main de la mère ou de la grand-mère n’ajoute pas seulement des épices, elle perpétue un lien immatériel.

Xeedho, le joyau culinaire des mariages somaliens

Parmi les plats les plus emblématiques et les plus mystérieux de Djibouti, le Xeedho occupe une place à part. Véritable œuvre d’art culinaire et artisanale, il est traditionnellement préparé lors des mariages dans les communautés somaliennes. Offert par la belle-mère au gendre, ce mets très spécial symbolise la mariée et constitue un rite de passage marquant dans la vie d’un couple.

Le Xeedho est composé de viande de chameau ou de bœuf, cuite à l’étouffée, enrobée de beurre, puis enfermée dans une coque faite de bois sculpté et décoré, enveloppée d’une pate de datte colorée avec des popcorns. La tradition veut que ce mets reste intact dans la chambre nuptiale pendant sept jours, période durant laquelle les jeunes mariés ne sortent pas. Le Xeedho leur sert alors de repas quotidien, supposé renforcer le jeune marié en vitamines et en vigueur.

L’ouverture du Xeedho constitue un moment fort et solennel de la cérémonie de mariage. Ce n’est pas le marié lui-même, mais l’un de ses proches masculins qui est chargé de tenter d’ouvrir le précieux contenant, souvent fermé par un enchevêtrement complexe de nœuds et de cordes tressées.

La tâche, loin d’être simple, relève de l’épreuve symbolique. Elle est suivie avec ferveur par tous les invités, qui rient, encouragent et commentent chaque tentative. Une femme de la famille de la mariée, surnommée “la garde”, surveille l’opération avec un bâton souple. Si l’homme commet une erreur, en touchant un mauvais nœud ou en plaçant ses mains au mauvais endroit, elle le corrige par un coup symbolique. L’ouverture réussie est accueillie par des applaudissements, des chants, et une immense joie collective.

Cette mise en scène, alliant humour, tension et respect de la tradition, rappelle à tous l’importance de la patience, de la connaissance et de l’endurance. C’est un spectacle à part entière, mais aussi un moment d’initiation, de reconnaissance et d’unité. 

Les plats du quotidien, piliers du patrimoine culinaire

Si le Xeedho incarne l’apparat des grandes cérémonies, d’autres mets, plus simples en apparence, sont les piliers du quotidien djiboutien. Leur variété, leur équilibre et leur richesse aromatique séduisent les visiteurs en quête d’authenticité. Le Iskudhexkaris est l’un des plats les plus populaires. Ce plat unique, composé de riz cuit avec de la viande (souvent du bœuf ou du poulet), des légumes et des épices, rappelle les pilafs de l’Asie centrale ou les biryanis indiens, mais dans une version plus rustique et locale. Il est souvent servi avec une sauce piquante au piment vert, très prisée à Djibouti.

Autre incontournable, la soupe Fahfah, généreuse et parfumée, est élaborée à base de viande (chameau, chèvre, mouton ou poulet), de légumes variés, et agrémentée de coriandre fraîche.

À chaque coin de rue, dans les ruelles des quartiers populaires, dans les souks, surtout pendant le Ramadan à partir de 16h, les samboussas s’affichent fièrement sur les plateaux en aluminium des vendeuses ambulantes. Ces petits triangles frits sont garnis d’une farce épicée : viande hachée de bœuf ou de mouton, oignons, ail, coriandre, parfois pois cassés ou poisson. Les samboussas représentent à eux seuls la fusion entre les influences du monde arabe (sambusa) et de l’Inde (samosa), adaptées aux goûts et aux produits locaux. Ils se dégustent à toute heure, en en-cas. Leur croustillant doré, leur parfum enveloppant et leur simplicité d’exécution en font un symbole de la gastronomie populaire et accessible.

Dans les foyers djiboutiens, aucun repas ne serait complet sans une base de galette. Le lahoh, parfois appelé laxoox, est une crêpe moelleuse et spongieuse, réalisée à base de farine fermentée. Elle se consomme au petit-déjeuner, souvent accompagnée de miel, de beurre ou de confiture.

Plus nourrissante encore, l’injera – importée de l’Éthiopie voisine – est une large galette faite de farine de teff, céréale sans gluten, riche en fer.

Manger l’injera, c’est entrer dans une cérémonie du goût et du partage, où les mains se frôlent, se tendent parfois pour nourrir l’autre, un geste d’affection simple, mais profond.

Au-delà des recettes, la gastronomie djiboutienne se vit dans les marchés locaux. Les femmes y tiennent un rôle central : elles vendent les épices, préparent les sauces, confectionnent les samboussas à l’aube. Ce sont elles qui transmettent les savoirs, adaptent les traditions, innovent tout en respectant les bases.

La gastronomie djiboutienne n’est pas seulement un art culinaire. Elle est le langage d’un peuple et notamment le reflet de son histoire. À travers ses plats, ce petit pays de la Corne de l’Afrique nous rappelle que l’identité d’un peuple ne se lit pas uniquement dans ses livres ou ses monuments, mais aussi dans ses assiettes, dans ses gestes, dans ses souks et dans sa culture.