Entretien avec Ahmed Ali, conseiller pédagogique en histoire-géographie sur l’intégration de l’histoire djiboutienne dans les manuels scolaires

À l’occasion de la célébration de la fête nationale, la question de la mémoire, de l’identité et de la transmission de l’histoire de Djibouti revient au cœur des préoccupations. L’École, en tant qu’institution centrale de formation citoyenne, joue un rôle essentiel dans ce processus. Pour mieux comprendre comment l’histoire nationale a été intégrée dans les programmes scolaires et dans les manuels, nous avons rencontré un acteur-clé du système éducatif : ancien enseignant, coordinateur de la commission de conception de manuels au CRIPEN, et aujourd’hui conseiller pédagogique en histoire-géographie depuis plus de dix ans. Il revient pour nous sur ce tournant éducatif et sur les défis relevés pour faire vivre l’histoire djiboutienne en classe.

Pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis Ahmed Ali Ainan, conseiller pédagogique en Histoire-Géographie, en charge de la formation et de l’accompagnement professionnel des enseignants. J’assure également la coordination avec l’inspecteur de l’élaboration des programmes d’enseignement ainsi que la conception des manuels scolaires.

Comment l’histoire nationale a-t-elle été intégrée dans les manuels scolaires djiboutiens ?

La conception des manuels scolaires nationaux s’inscrit dans le cadre de la réforme du système éducatif initiée au début des années 2000. Il existait certes des initiatives antérieures, souvent élaborées en collaboration avec d’autres pays, mais c’est véritablement à partir de cette période que le processus de nationalisation des contenus éducatifs a pris forme.

La loi d’orientation du système éducatif a posé les bases institutionnelles, en précisant les finalités et les objectifs de l’éducation. Dans cette dynamique, le CRIPEN s’est transformé en une véritable maison d’édition nationale, en charge de mettre en œuvre la politique du livre scolaire.

Entre 2004 et 2010, une première édition des manuels a vu le jour, avec pour ambition de proposer aux élèves des ouvrages adaptés au contexte culturel et historique djiboutien. Dès lors, l’histoire et la géographie du pays ont été intégrées dans les programmes à tous les niveaux d’enseignement : de l’école de base au secondaire.

Une seconde édition, parue en 2015, a permis de renforcer ces premiers efforts, d’affiner les contenus et de consolider les acquis en matière de contextualisation des apprentissages.

Pourquoi est-il si important d’enseigner l’histoire de notre pays ?

L’histoire nationale, tout comme la géographie du territoire, constitue un socle de connaissances indispensable pour former des citoyens conscients, ancrés dans leur réalité, et ouverts sur le monde. L’École est la seule institution capable de garantir à l’ensemble des élèves, sans distinction, un socle commun de références culturelles et historiques.

L’enseignement de notre histoire vise à développer chez les jeunes une fierté d’appartenance à la culture arabo-musulmane et africaine, tout en les préparant à être des acteurs engagés dans un monde globalisé. C’est une démarche profondément identitaire, mais qui n’est pas repliée sur elle-même : elle vise à émanciper l’individu en l’ancrant dans un héritage collectif, dans un espace qu’il comprend, qu’il reconnaît et auquel il contribue. L’enjeu est de taille : il s’agit de former des générations capables de comprendre les dynamiques locales autant que mondiales, de participer activement à la vie nationale et de s’ouvrir aux défis du futur.

Toutes les périodes de l’histoire de Djibouti sont-elles abordées dans les manuels ?

C’est une question complexe. Il faut garder à l’esprit que l’histoire est une discipline structurée selon des règles scientifiques précises. Son découpage temporel en quatre grandes périodes – Antiquité, Moyen Âge, époque moderne et époque contemporaine – sert de cadre à l’enseignement.

À travers ces périodes, les manuels abordent des thématiques contextualisées, comme l’histoire du pays de Pount (antiquité), la figure du résistant Ahmad Gourey (période médiévale) ou encore la lutte pour l’indépendance (période contemporaine). L’objectif est de proposer des récits enracinés dans notre histoire, sans négliger les exigences de la méthode historique.

Comment les élèves réagissent-ils à l’enseignement de l’histoire nationale ?

Avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme. Ces thématiques résonnent profondément en eux. Ils se sentent concernés, impliqués, et les échanges pendant les cours sont souvent très riches. Cette dynamique dépasse même le cadre de la salle de classe : les discussions se poursuivent à la maison, avec les parents, ce qui montre que l’enseignement de l’histoire nationale contribue aussi à renforcer les liens intergénérationnels autour de la mémoire collective.

Quels sont les principaux défis rencontrés dans la conception des manuels scolaires ?

Ils sont nombreux et ont évolué avec le temps. Lors de la première édition, les obstacles technologiques étaient particulièrement lourds. Trouver des illustrations pertinentes pour accompagner les textes et susciter l’intérêt des élèves était un vrai défi. À l’époque, nous travaillions encore avec des disquettes Floppy, bien avant l’avènement généralisé des clés USB ou d’Internet haut débit.

Depuis, la démocratisation des outils numériques a permis d’améliorer cet aspect, mais d’autres obstacles persistent, notamment le manque de travaux de recherche universitaire sur l’histoire de Djibouti.

La rareté de ces sources limite la richesse documentaire des manuels.

L’absence d’archives nationales a également été un handicap majeur pendant longtemps, surtout pour l’obtention de photographies historiques. Aujourd’hui, leur création représente un progrès majeur. Nous espérons qu’elles viendront nourrir les prochaines éditions des manuels et enrichir l’enseignement de l’histoire.

Il faut néanmoins saluer les compétences acquises localement en matière d’édition scolaire. Ce savoir-faire est le fruit d’un long processus, et il s’inscrit pleinement dans une démarche de décolonisation du système éducatif. C’est une avancée décisive pour l’autonomie intellectuelle de notre pays.

Un mot de conclusion ?

Je souhaite un joyeux et heureux anniversaire d’indépendance à toute la famille de l’Éducation nationale et à l’ensemble des citoyens djiboutiens. Cette date est un moment fort de notre histoire collective. Elle doit nous rappeler que l’École a un rôle fondamental à jouer pour transmettre les valeurs de notre République, construire une mémoire commune et préparer l’avenir.

Propos recueillis par Rachid Bayleh