Comme chaque année, l’approche de la fin du mois béni de Ramadan représente un moment décisif de la vie du croyant musulman. Celui-ci se trouve à la croisée de l’introspection la plus intime et de la quête spirituelle la plus ardente. Car ce ne sont pas dix jours ordinaires qui s’ouvrent à lui : ce sont les dix derniers jours, autrement dit les plus précieux et les plus intenses. Dix jours où chaque instant devient une porte ouverte vers l’infini, chaque prière une offrande brûlante, chaque soupir une invocation silencieuse adressée au Très-Haut.

Dans le calendrier sacré de l’Islam, ces jours ne signifient pas de simples clôtures d’un mois de jeûne. Ils en sont le sommet, la quintessence. Le Prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) s’y consacrait corps et âme, redoublant d’efforts et délaissant le sommeil. Il s’isolait dans la mosquée pour s’adonner à l’adoration pure, dite I‘tikâf. Il réveillait sa famille, mobilisait les siens, comme pour signifier que cette dernière décade ne devait rien laisser au hasard et au relâchement.

Pourquoi cet élan ultime ? Parce que c’est au cœur de ces nuits que se trouve la fameuse Nuit du Destin, Laylat al-Qadr. Une nuit meilleure que mille mois, où le décret divin s’écrit, où la miséricorde se déverse à flots, où l’homme peut réécrire, par sa sincérité et ses larmes, le livre de sa propre destinée. Une nuit où le Ciel frôle la Terre, où l’invisible devient palpable, où la lumière pénètre les cœurs les plus obscurs.

À l’heure où le monde bruisse de bruits, d’agitation, de superficialité, ces dix derniers jours rappellent une vérité aussi ancienne que salvatrice : le salut ne réside pas dans l’accumulation, mais dans la purification. Il n’est pas dans la distraction, mais dans la concentration de l’âme vers Celui qui donne sens à toute chose : Allah. C’est un appel à l’humilité et à la patience. Une école de résistance intérieure contre la tentation, l’oubli, la dispersion.

Dans un contexte global marqué par les conflits, les injustices et les dérives matérialistes, ces dix jours sont aussi un temps de réconciliation avec soi-même, avec les autres et, bien sûr, avec Dieu. Ils sont un plaidoyer silencieux pour un monde meilleur, commencé d’abord par une réforme individuelle. La paix ne jaillira jamais des discours si elle ne prend pas racine dans les cœurs.

Loin d’être une tradition rituelle comme une autre, les dix derniers jours du Ramadan sont une révolution intime. Ils sont ce moment où le musulman, conscient de sa finitude, s’agenouille non par faiblesse mais par grandeur, non par soumission aveugle mais par amour lucide. Dix jours pour se rapprocher de l’Absolu, pour pleurer sur ses fautes, pour demander pardon, pour espérer.

Que chacun, dans le silence de ces nuits bénies, retrouve le goût du vrai et le sens du sacré. Car c’est peut-être dans une de ces nuits que Dieu changera notre destin.