Dans la cacophonie régionale qui secoue la Corne de l’Afrique, rares sont les dirigeants qui parviennent à imposer une ligne stable, lisible et respectée. Visiblement, le président Ismaïl Omar Guelleh est de ceux-là. En poste depuis 1999 – une longévité au pouvoir que certains lui reprochent – il n’en reste pas moins la figure centrale d’un équilibre géopolitique que beaucoup, dans l’ombre, envient à la République de Djibouti.

À moins d’un an de la présidentielle de 2026, sa récente interview dans Jeune Afrique révèle la vision d’un chef d’État confronté à un environnement géopolitique d’une extrême volatilité. Alors que le Yémen voisin brûle, que l’Éthiopie revendique bruyamment un accès à la mer, que les Émirats se démènent avec leur «diplomatie de sacs d’argent », que les grandes puissances s’épient pour sécuriser leurs bases, Djibouti demeure un îlot stable à l’avenir nettement prévisible. Et cela n’a rien d’un hasard.

A la question de savoir s’il sera encore de la partie l’année prochaine, le chef de l’État se garde de donner une réponse directe : « Je ne veux pas embarquer le pays dans une aventure irresponsable », réplique-t-il simplement. Mais les observateurs les plus aguerris ne manqueront pas de relever que, derrière la prudence de ses mots, se dessine la probabilité d’un nouvel engagement. Pourquoi pas?

Quand la conjoncture commande la prudence, l’expérience devient un actif stratégique. Qui d’autre, dans la classe politique djiboutienne, peut aujourd’hui prétendre à la même autorité régionale, à la même connaissance des équilibres des forces en présence, à la même capacité à résister aux influences extérieures?

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de justifier indéfiniment la longévité au pouvoir. Mais de reconnaître, avec lucidité, que Djibouti n’est pas un État comme les autres. Sa singularité réside dans son poids géopolitique sans commune mesure avec sa taille : carrefour maritime essentiel, verrou de la mer Rouge, tête de pont logistique, hub numérique, base avancée pour les grandes puissances militaires…

Dans ce contexte, la question n’est pas tant de savoir si un autre mandat est souhaitable en soi, mais s’il est aujourd’hui l’option la plus indiquée pour préserver ce qui a été bâti. La démocratie ne s’évalue pas seulement à l’aune des ruptures, mais aussi de la responsabilité dans les continuités. Elle ne se réduit pas à l’alternance mécanique. Elle peut aussi s’exprimer dans le choix, librement consenti, d’une continuité raisonnée. Si donc Ismaïl Omar Guelleh se présente à nouveau, c’est parce qu’il incarne, pour l’heure, une forme de garantie. Une digue et un cap.