Toujours à la poursuite de notre passé lointain, nous avions commencé à discuter de l’hypothèse d’une langue originelle, ancêtre de toutes les langues humaines parlées de nos jours. Si le linguiste américain Merrit Ruhlen estime que cette langue était jadis parlée en Afrique de l’Est, de plus en plus de chercheurs et linguistes somalophones (Osman Abdinour Hashi, Rachid Ibrahim Mohamed, Abdi Good Abees) sont convaincus que cette hypothétique langue originelle serait proche du somali moderne, une langue qui aurait retenu en son sein les racines les plus profondes de l’arbre des familles linguistiques humaines. La surprenante découverte des racines couchitiques kamito-somali nous permet de fusionner les deux hypothèses susmentionnées et se rendre compte à quel point l’humanité gravite autour d’un même épicentre linguistique et génétique. En guise d’exemples concrets de la théorie du monogénisme linguistique, nous allons effectuer plusieurs tours du monde de racines kamito-somali qui se retrouvent dispersés tout autour de la planète. Tout d’abord, il faut savoir que le terme « proto » désigne une reconstruction d’une langue à l’origine d’une famille de langues. Pour notre premier tour du monde, nous allons prendre la racine kamito-somali M.N à partir de laquelle se composent des mots de trois différentes catégories.

Pour la première catégorie, nous avons MAN (rester, demeurer, être permanent) et MANTA (lieu, demeure, habitation) du kamitien (langue de Kamit), puis MIN et MINAN (maison, habitation, utérus) du somali. De la même branche Couchitique, on obtient MANAA (maison, chez-soi) de l’oromo, MIN-A (maison) du burji. De la même famille linguistique Afro-Asiatique, on obtient ‘MN (être constant, solide) du proto-sémitique, MIN (être constant, être fort) du gofa de la branche omotique ou MINA (maison) du pero de la branche Tchadique. Vers le sous-continent Indien, on a la famille Dravidienne avec MAN (rester dans un lieu) du proto-dravidien ou MAṈṈU (être permanent, demeurer) du tamoul. Puis, on a la famille Indo-Européenne avec MEN (rester) du proto-indo-européen, MONÉÉ (demeure, résidence) du grec ancien, MANSIOO (demeure, résidence, habitation) du latin, MAISON et MANOIR du français, MANSION de l’anglais, MAANÁYATI (rester, demeurer) du proto-iranien ou MONDAN (rester) du tadjik.

En Sibérie, on a la famille Toungouse avec MÄÄNÄÄ (vivre de façon sédentaire) de l’evenki. En Océanie, il y a la branche des langues Papoues de la famille Indo-Pacifique avec MINA (demeurer) du gendeka ou MANA (habiter) du waruna. Le voyage se termine avec la famille des langues Amérindiennes et MAAN (rester) du tsinshian, MA- (habiter) du nootka ou MANXA (à l’interieur) de l’aymara. Pour la deuxième catégorie, on commence avec MAANO (ferme, permanent, stable), MAANTA (nature, sorte, manière) et MAAN (signe hiéroglyphique M.N qui a la forme du jeu de table « Sinit ») du kamitien, puis MAAN (esprit, intelligence) du somali. De la même famille Afro-Asiatique, on obtient avec la branche Sémitique MAN (penser, comprendre, compter) du proto-afro-asiatique, MANUU (compter) de l’akkadien ou MƏNAA (compter) de l’araméen. On a aussi MAN (savoir) de l’angas de la branche Tchadique.

En Afrique, on a la famille Nilo-Saharienne avec MA (comprendre) du songhaï, la famille Niger-Congo avec MÀNI (savoir) du proto-bantou, MA (savoir) de l’igbo ou MƐN (comprendre) du maninké, puis la famille Kordofanienne avec AIMAN (penser) du tumale. Au-delà du continent africain, avec la vaste famille Indo-Européenne, on a MEN (penser) du proto-indo-européen, MÁNYATAY (penser, considérer) du proto-indo-iranien, MÁNAS (esprit) du (sanskrit), MÉNOS (esprit) du grec ancien, MEN-S (esprit) du latin, MENTAL du français, MENDJE (esprit) de l’albanien, MUNDIZ (pensée, souvenir) du proto-germanique, MIND (esprit) de l’anglais, MINNE (mémoire) du suédois, MINTIS (esprit) du proto-balto-slave ou MNIT’ (penser, imaginer) du russe. Plus loin, on a la famille Ouralienne avec MEELI (esprit) du proto-finnois et de l’estonien ou MIEL’ (esprit) du lude. En Asie, on a la famille Sino-Tibétaine avec NAM (penser, méditer) du cantonais, NYAMS (esprit) du tibétain ou MON (esprit) du karbi. Avec la famille Coréanique, on a MA-EUM (esprit) du coréen. On a également la famille Austro-Asiatique avec CAMNAM (mémoire) du khmer. Vers les îles de l’est de l’océan Indien et du Pacifique, il y a la famille Austronésienne avec NƏMNƏM (penser) du proto-austronésien, MANA’O (pensée, idée) de l’hawaïen ou MANA’U (penser) du rapanui. Dernière destination du trajet, il y a les Amériques et la famille Amérindienne avec MEENA (penser) du lake miwok, MANI (souhaiter) du timucua, MOMENE (penser) de l’otomi ou AMNÕNMÕN (penser) de l’apinage.

Enfin, pour la dernière catégorie, nous allons débuter avec MAN (tel ou tel homme, untel) et MANTA (telle ou telle femme) du kamitien, puis MUUN (mâle) et NIN (homme) du somali. De la même branche Couchitique, on obtient MN (homme) du proto-couchitique, NUM (homme) de l’afar ou AMENI (femme) de l’iraqw. De la même famille Afro-Asiatique, on obtient avec la branche Berbère IMAN du kabyle et du zwawa, puis MUNI (femme) du mousgoum ou MAANO (homme) du bata avec la branche Tchadique.

Du côté de la famille Nilo-Saharienne, on a ME’EN (personne) du soudanique oriental ou MƐNNU (personne) du maba. Toujours en Afrique, on a la famille Niger-Congo avec MƱNTƱ (personne, humain) du proto-bantou, MANA (homme) du kinyarwanda, MUNA (homme) du chichewa ou UMÚNTU (personne, humain) du zulu. Hors d’Afrique, avec la grande famille Indo-Européenne, on obtient MANU

(-S) (homme) du proto-indo-européen, MÁNU (homme, personne) du sanskrit, MAANUS (humain, homme) de l’hindou, MAANIS (homme) du népalais, MANN (humain, personne, homme) du proto-germanique, MANN (homme, mari) de l’allemand, WOMAN (femme) de l’anglais, MAND (homme, mari) du danois ou MANGYÁS (homme, mari) du proto-balto-slave.

En Asie, on peut citer la famille Japonais-Ryukyuen avec (WO-)MINA (femme) de l’ancien japonais, la famille Austro-Asiatique avec MƆNUH (humain, homme, personne) du khmer, la famille Hmong-Mien avec HMƏN (personne) du proto-hmong-mien, la famille Taï-Kadaï avec MA NUT (humain, personne) du lao, la famille Austronésienne avec MANUSIA (humain) du malais et de l’indonésien ou MANCO (homme) de la langue isolée Nahali. En Océanie, il y a la branche des langues Papoues de la famille Indo-Pacifique avec MUNAN (homme) du bilakura ou AMINIKA (femme) de l’osum. On termine avec la grande famille Amérindienne et RE-MANAO (personne) du manao, MÄN (personne) du kayapó, ÖMUNA (homme) du coto, MANA (homme) du kallawaya ou YAMANA (personne) du yagan.

Abi Paul Laclé