(Par :David Baché|Julien Boileau. © RFI)
L’ambassadeur djiboutien Mohamed Idriss Farah, président du Conseil paix et sécurité de l’Union africaine, co-dirige la délégation de l’UA à Ndjamena.
Au Tchad, la délégation de l’Union africaine poursuit ses consultations sur le processus de transition. Cela fait à présent quatre jours que les émissaires de l’UA sont à Ndjamena pour rencontrer les nouvelles autorités en place. La délégation est conduite par deux hommes : le Nigérian Bankole Adeoye et l’ambassadeur djiboutien Mohamed Idriss Farah, président du CPS. Ce dernier répond aux questions de nos envoyés spéciaux à Ndjamena, (Julien Boileau et David Baché, dans un entretien enregistré avant l’annonce de la composition du nouveau gouvernement).
RFI : Pour le moment, comment se passent vos travaux, est-ce que les consultations avancent bien. Combien de personnes avez-vous pu rencontrer ?
Mohamed Idriss Farah : On est pratiquement à mi-parcours de la mission. Nous avons rencontré les principaux acteurs politiques : le Conseil militaire de transition, le général Mahamat. Nous avons également rencontré le Premier ministre nouvellement nommé, ainsi que le président du Parlement, le président de la Cour suprême, les leaders religieux, les ambassadeurs africains basés ici. Donc, il nous reste maintenant à nous entretenir avec l’opposition dans son ensemble, la société civile et bien entendu, le corps diplomatique installé au Tchad.
Est-ce que vous avez réussi à avoir d’ores et déjà des assurances sur les conditions, sur les modalités de la transition qui est en cours ?
D’abord, c’est une première mission, pour que l’Union africaine et le Conseil de paix et sécurité envoient une mission de haut niveau pour enquêter, sur ce qui s’est passé en réalité… la mort du président [Idriss Déby], comment le décès du président a été constaté. Il y a tellement de rumeurs sur les réseaux sociaux notamment qu’on a voulu savoir exactement quels étaient les problèmes.
Et sur ce sujet ?
Nous poursuivons. Nous examinons, nous écoutons tout le monde. Au moment où je vous parle, je ne peux pas dire « voilà la situation ». Mais ce qui est important, c’est également de démontrer la solidarité de l’Union africaine pour venir ici et essayer d’examiner tous les aspects de manière à véritablement prendre la décision qui s’impose. Maintenant, le tout est de savoir : est-ce que le remède va permettre de soigner ou de tuer ? C’est la raison pour laquelle nous sommes ici pour avoir une lecture beaucoup plus large.
On va revenir à cette question du « remède ». Avant cela, l’un des objectifs de cette mission, c’est d’avoir des assurances sur les conditions de cette transition, sur sa durée, sur la répartition des postes entre civils et militaires dans le futur Conseil national de transition. Est-ce que le CMT vous a donné des assurances sur ce sujet ?
Pour la répartition des postes, il reviendra aux Tchadiens de décider bien entendu. Mais sur les assurances du Conseil militaire de transition, on les a reçues et on les a encouragés. Mais par eux-mêmes, ils nous ont démontré leur disponibilité à vraiment permettre qu’il y ait une inclusivité pour ce changement qui est nécessaire et qui débouchera par la mise en place d’un Conseil national de transition qui fera office de Parlement. Puis, ils ont leur charte. On va essayer d’accompagner tout ce processus et nous allons aussi examiner la possibilité, comme on l’a fait au Soudan, peut-être d’envoyer un envoyé spécial qui permettra de les aider.
Vous parliez de la question du « remède ». Pour traduire vos propos, il s’agit d’éventuelles sanctions puisque l’ordre constitutionnel n’a pas été respecté. Où en êtes-vous de cette réflexion au sein de votre mission ?
Nous examinons tous les aspects. Bien entendu, avant même de venir ici, le Conseil avait une session le 22 avril dernier qui a parlé justement de tous ces aspects anticonstitutionnels. Il faut que nous voyons quels sont les aspects positifs ou quel est l’impact qu’une sanction pourrait avoir. Il n’y a pas que le Tchad.
Il y a l’ensemble. Nous savons le rôle joué par le Tchad dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme violent. C’est dans cet esprit que je disais tout à l’heure qu’il faut que nous examinions quel sera le remède.
On sait que les pays de l’Union africaine sont assez divisés sur cette question du remède, des sanctions à prendre ou pas contre le Tchad. Est-ce que depuis le début des travaux, il y a une forme d’harmonisation des positions qui se met en place ou est-ce qu’il y a toujours ces contradictions?
Il y a toujours des contradictions de toute façon quand vous êtes un groupe, et surtout avec 15 pays membres du Conseil, c’est la raison qui nous amène ici. Là, on est à mi-étape. Dans les jours qui viennent, on aura des précisions, mais il est bien évident que les enjeux maintenant sont plus ou moins connus par l’ensemble des membres de cette délégation de haut niveau.
Vous vous posez donc la question de ces sanctions. En quoi, elles pourraient être nuisibles ? Vous avez parlé de la lutte contre le terrorisme. Mais concrètement, en quoi cela pourrait poser problème de sanctionner le Tchad ?
Tout d’abord, le Tchad est engagé sur plusieurs fronts. C’est un pays qui a toujours connu la guerre les trente dernières années, les conflits, les rebelles succédant à des rebelles.
Et actuellement, il y a aussi le front sahélien, le Mali, le Niger…
Bien sûr, le G5 Sahel. Puis il y a aussi Boko Haram dans la zone du lac Tchad. Donc, il était important pour nous de savoir quelles sont les perspectives de la nouvelle équipe.
Parce que des sanctions contre le Tchad pourraient remettre en cause cette présence militaire, c’est cela que vous dites?
C’est possible. Je ne dis pas que cela va être automatique, mais c’est possible. Nous avons l’habitude de sanctionner les pays qui sortent du cadre constitutionnel, mais justement la différence de cette mission, c’est par rapport à tous ces enjeux-là d’essayer de comprendre.
Ne pas seulement parler aux autorités de transition, mais également de parler à tous les acteurs. Et c’est cela qui permettra très certainement au Conseil de prendre la décision, la meilleure pour ce pays.