En marge de sa participation aux travaux de la “Future Minerals Summit”, le Forum sur les minéraux du futur, organisé à Ryad, en Arabie Saoudite, le 12 Janvier 2022 dernier, le Ministre de l’Energie, chargé des Ressources Naturelles, M. Yonis Ali Guedi, a accordé une importante interview en langue arabe au quotidien panarabe Asharq Al Awsat  ( الشرق الاوسط) ou le quotidien Le Moyen-Orient.Durant cette interview, le Ministre de l’Energie, chargé des Ressources Naturelles, M.Yonis Ali Guedi a rappelé l’objectif de sa visite en Arabie Saoudite “la République de Djibouti souhaite bénéficier de l’expérience et de l’expertise saoudienne dans le domaine énergétique et minier”. À cette occasion, il a exprimé sa ferme volonté et sa détermination à œuvrer inlassablement à la consolidation de la coopération multidimensionnelle déjà fructueuse entre nos deux pays et l’orienter davantage dans le domaine énergétique et minier. Et ce, a-t-il indiqué, “dans l’intérêt et pour le bien-être de nos deux peuples frères et amis”. Il a saisi également cette occasion pour lancer un appel aux investisseurs saoudiens à venir investir dans l’immense potentiel de notre pays aussi bien dans les énergies renouvelables que dans le secteur minier. “Le Ministère de l’Energie, chargé des Ressources Naturelles est disposé à accueillir et à travailler avec les investisseurs saoudiens pour promouvoir et développer les énergies propres renouvelables et les ressources minières de notre pays. Nous avons pour cela, un code minier et un environnement propices aux affaires” a-t-il enfin conclu. Nous vous reproduisons, ici, l’intégralité de l’interview accordée par le Ministre traduite en version française.

Vous avez participé à la conférence minière, où émerge l’importance de la coopération saoudo-djiboutienne dans les énergies propres et son impact sur la compétitivité et à la stabilité du marché mondial, que pouvez-vous nous dire ?

Avant de répondre à votre question, permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellence et la qualité des relations bilatérales djibouto-saoudienne. En effet, le République de Djibouti et le Royaume d’Arabie Saoudite entretiennent des liens historiques fraternels et amicaux seculiers et une relation de coopération multiforme. Ces liens étroits déjà privilégiés se sont davantage renforcés et raffermis ces dernières années sous l’impulsion du Président de la République de Djibouti, Son Excellence Monsieur Ismail Omar Guelleh et du Roi du Royaume d’Arabie Saoudite et gardien des deux lieux saints Salman Bin Abdoulaziz Al Saoud. Outre la pratique de la religion musulmane en partage et l’appartenance à la Ligue Arabe, nos deux pays ont une convergence de vue sur toutes les questions arabes, régionales et internationales. De plus, les peuples djiboutien et saoudien sont deux peuples frères et amis qui partagent la même tradition, la même culture et un socle de valeurs communes.

Pour revenir à votre question, il faut savoir que, face aux défis climatiques (réchauffement climatique) et du risque d’épuisement des énergies fossiles, il s’avère nécessaire pour tout pays de promouvoir et de développer les énergies propres. Il s’agit des énergies du futur. Tout pays souhaitant assurer sa compétitivité vis à vis du reste du monde se doit d’investir dans les énergies renouvelables propres. La disponibilité et l’accessibilité d’une énergie propre permettra sans nul doute la création de plus de richesses d’où par conséquent l’atteinte d’un développement économique et social durable et inclusif. Pour cela, la coopération entre les États notamment entre Djibouti et le Royaume frère d’Arabie Saoudite est indispensable.

Pour ce qui est du marché mondial d’énergie, la production d’énergie renouvelable viendra en complément des énergies fossiles largement dominantes à l’heure actuelle. Je pense qu’il n’y aura plus de risque de crise ni de volatilité des cours du pétrole du fait de la production et de la disponibilité des énergies renouvelables au niveau local. Je suis convaincu qu’il y aura un impact bénéfique des énergies propres non seulement sur le marché mondial d’énergie mais aussi sur le développement des pays.

Avez-vous un plan de coopération avec l’Arabie Saoudite dans le domaine de l’exploitation minière et des technologies pour la protection de l’environnement et le développement communautaire?

Comme je l’ai mentionné tantôt, la coopération entre la République de Djibouti et le Royaume d’Arabie Saoudite est multiforme. Nombreux sont les projets de développement socioéconomique, notamment en matière d’infrastructures d’envergure, financés dans notre pays, par le Fonds Saoudien pour le Développement (FSD). Cette coopération s’étendant dans des nombreux domaines, nous souhaitons désormais la renforcer dans le domaine minier. En effet, il faut savoir que, de par sa position géographique et géologique, notre pays dispose de substantielles potentialités en ressources minières. Pour tirer profit de ce potentiel énorme, nous souhaitons mobiliser les financements nécessaires pour démarrer l’exploration dans le cadre d’un partenariat stratégique structuré en PPP (Partenariat Public Privé). Par le biais de ce partenariat gagnant-gagnant et avec l’appui des pays frères et amis, notamment l’Arabie Saoudite, nous comptons accéder et maîtriser les techniques, les méthodes ainsi que les technologies de production de ces ressources naturelles. À cet effet, nous comptons organiser prochainement à Djibouti, un Salon International des Mines afin de susciter l’intérêt des investisseurs nationaux et internationaux et les investisseurs saoudiens seront conviés à y prendre part. Nous souhaitons bénéficier de l’expérience et de l’expertise saoudienne dans ce domaine. Il faut noter que l’Arabie Saoudite est un partenaire incontournable de Djibouti en matière de développement économique et social. Notre ambition est claire, c’est de parvenir à exploiter notre potentiel minier encore inexploité et ce, pour le bien-être de notre population. Enfin, il faut savoir que l’exploration puis l’exploitation des ressources minières se feront dans le cadre de la préservation de l’environnement naturel. Notre gouvernement, sous le leadership du Président de la République M. Ismail Omar Guelleh, s’attèle  constamment à concilier le nécessaire développement économique et la protection de l’environnement naturel.

Quel est votre plan pour développer le secteur pétrolier et énergétique à Djibouti en 2022?

Comme vous le savez, la République de Djibouti dispose d’une position stratégique à la croisée du continent africain et de la péninsule arabique. Le détroit de Bab El-Mandeb est le 4ème point de passage maritime mondial dans le transport d’hydrocarbures. C’est tout naturellement que notre pays se doit de disposer d’un plan de développement du secteur pétrolier. Il faut d’abord savoir que Djibouti est un pays importateur de pétrole. Notre secteur de l’énergie est basé en grande partie sur l’utilisation des énergies fossiles (les hydrocarbures). Sous l’impulsion du Chef de l’Etat Djiboutien, M. Ismail Omar Guelleh, le gouvernement a engagé la construction d’un parc industriel à Damerjog. Ce dernier comprend un futur port pétrolier. Les travaux de construction de ce port pétrolier ont déjà été lancés. Il comprendra deux quais, le premier sera destiné à accueillir les navires de capacité allant de 2000 à 30 000 Tonnes de Pétrole Lourd ; le second accueillera les navires de capacité allant de 5000 à 100 000 Tonnes de Pétrole Lourd. Il s’agira d’un complexe économique doté d’une jetée pétrolière offshore de 3km, d’un stand d’ingénierie, des raffineries et d’une zone de stockage des hydrocarbures. Ce port pétrolier de Damerjog aura une capacité de traitement annuel de plus de 13 millions de tonnes et une capacité de stockage de plus de 800 000 mètres cubes.

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Dans sa phase 1, le premier terminal de stockage de pétrole raffiné et brut aura une capacité de plus de 150 000 mètres cubes. Puis, il y aura une extension avec le développement de 4 autres terminaux de stockage pour une capacité totale de plus de 750 000 mètres cubes, servant non seulement le transit des produits mais aussi le commerce dans la région et le soutage aux navires. En ce qui nous concerne, nous, en tant que Ministère de l’énergie, chargé des ressources naturelles, nous avons déjà lancé un plan de formation du personnel qui sera amené à travailler dans ce futur port pétrolier et ce, avec l’appui technique de nos amis tunisiens.

Par ailleurs, ce futur port pétrolier sera également le point d’atterrissage d’un gazoduc long de plus de 767 km en provenance de l’Ethiopie (exportation du gaz éthiopien découvert en région somali oblige). Nous souhaitons donc faire de notre pays un hub de transbordement énergétique en Afrique de l’Est.

Ensuite, sur le plan énergétique, étant donné que notre pays regorge d’un potentiel immense en énergies renouvelables (éoliennes, solaires et géothermiques), nous voulons tirer profit de ces ressources propres et inépuisables. S’inscrivant dans le droit fil de la Vision 2035 du Président de la République M. Ismail Omar Guelleh, le département de l’énergie que j’ai la charge de diriger, a entrepris un programme ambitieux de promotion et de développement des énergies renouvelables. Bientôt, dans le courant du premier trimestre de l’année 2022, nous inaugurerons le premier parc éolien de 60 mégawatts de Goubet. D’autres projets d’envergure seront concrétisés incessamment notamment la mise en service de la centrale solaire de 30 mégawatts de Grand Bara sans oublier la production dans un proche avenir de l’énergie géothermique. Notre ambition est d’accroître notre puissance électrique et d’atteindre un taux d’electrification de 100% à l’horizon 2035. Outre l’accès à une énergie propre decarbonée, abondante, accessible et disponible à moindre coût, notre ambition est aussi d’assurer par ricochet notre Indépendance énergétique.

Nous avons opté dans un premier temps pour le mix énergétique puis progressivement nous amorcerons notre transition énergétique grâce à la montée en puissance des énergies renouvelables.

Quelle est l’étendue de l’impact de la propagation du virus omicron sur le secteur énergétique et pétrolier et quelles sont les pertes subies par le secteur et l’économie djiboutienne en général en conséquence ?

Si nous revenons un peu en arrière, dès l’apparition du covid 19, fin 2019-début 2020 et après sa fulgurante propagation dans le monde entier, la République de Djibouti, à l’instar des autres pays, n’a pas été épargnée par cette pandémie. Le gouvernement,  sous le haut patronage du Président de la République M.Ismail Omar Guelleh, a décidé, dans sa politique de riposte, d’instaurer le confinement de toute la population pendant 2 mois consécutifs et a mis en place des mesures barrières (distanciation sociale, port du masque obligatoire, lavage des mains, etc.). A cause du confinement, les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants etaient contraints de rester chez eux. Ces mesures ont donc entraîné un ralentissement de l’activité économique sur toute l’étendue du territoire national. Toute l’économie était au arrêt. Tous les secteurs d’activité ont été impactés avec une baisse considérable de l’activité. Les secteurs les plus impactés sont la restauration, l’hôtellerie, le transport (taxi, bus), le tourisme, le port, l’aéroport, le commerce, etc. Il s’en est suivi une contraction du Produit intérieur brut (PIB) et une hausse de la précarité. Même les finances publiques ont été impactés par une baisse considérable des recettes de l’Etat (à cause du ralentissement économique) et une hausse des dépenses publiques (maintien des salaires, aides financières allouées aux travailleurs indépendants, la mise en place d’un budget de riposte covid 19, etc.) d’où par conséquent un déficit budgétaire. De plus, il y a eu une baisse importante de l’aide publique au développement en provenance des pays amis.

En ce qui concerne le secteur énergétique et pétrolier, il n’a pas été épargné non plus du fait de l’interdépendance des activités économiques. Les opérateurs économiques n’exerçant pas leurs activités, il a été constaté une baisse de la consommation de carburant et donc un ralentissement de l’activité des stations de service (baisse du chiffre d’affaires, baisse des bénéfices, mise au chômage technique). Au niveau national, il y a donc eu une baisse de la consommation de carburant. Toutefois, confinement oblige, il a été enregistré une hausse considérable de la consommation domestique d’électricité des ménages djiboutiens. Par ailleurs, nous avons accusé un retard pris dans la livraison du premier parc éolien de l’histoire de notre pays. Aussi, il y a eu un report du lancement d’autres projets d’envergure dans le domaine des énergies renouvelables.

Face à cette situation inédite,  l’Etat Djiboutien n’a ménagé aucun effort afin de protéger la population contre les risques liés au coronavirus. Il a maintenu le salaire pour tout les fonctionnaires pendant les 2 mois de confinement. L’Etat a également mis en place un plan de distribution des denrées alimentaires aux familles impactés par cette pandémie (et par le manque d’activité inhérent). De plus, un élan de solidarité nationale a été initié par la collecte des moyens financiers en vue d’organiser la riposte contre le virus et surtout apporter toute l’assistance nécessaire aux populations touchées directement ou indirectement.  L’Etat ne s’est pas arrêté là. Il est venu aussi au secours du secteur de l’énergie. Le Président de la République M. Ismail Omar Guelleh a décidé d’accorder une baisse des tarifs d’électricité pour les ménages djiboutiens à faible revenus. LeChef de l’Etat a ordonné le gel du paiement des factures d’électricité pour plusieurs mois tout en allouant une subvention de 30 000 Fdj pour tous les ménages djiboutiens afin de les aider à faire face à la facture d’électricité et de les soulager d’une telle dépense.  Pour ce qui est de l’impact de la propagation du variant omicron sur l’économie et sur le secteur énergétique et pétrolier, il faut noter que l’économie djiboutienne n’a pas été impactée à ces jours par le variant omicron du fait de son apparition récente. C’est plutôt le conflit qui prévaut en Éthiopie, depuis novembre 2020, notamment dans la région du Tigré qui impacte négativement notre économie avec une forte baisse des activités portuaires. Il s’en est suivi par conséquent un ralentissement des activités économiques et la baisse du PIB (Produit Intérieur Brut) dans notre pays. En effet, l’Ethiopie, pays enclavé, utilise le port de Djibouti, comme porte d’entrée et de sortie pour ses importations et ses exportations de par le monde. L’effort de guerre engagé dans ce pays depuis plus d’un an se répercute donc dans notre économie par la baisse des flux commerciaux.

Il faut savoir que Djibouti et l’Ethiopie font, depuis plus de deux décennies, office de modèle d’intégration économique et commercial en Afrique. Les économies djiboutienne et éthiopienne sont étroitement interdépendantes du fait de leur processus de complémentarité économique ainsi que du partenariat stratégique multiforme que les deux nations entretiennent dans un nombre important de domaines névralgiques tels que le transport, la logistique, le commerce, l’énergie entre autres. Un problème économique touchant l’un, impacterait par voie de conséquence l’autre.

Toutefois, ces derniers mois, depuis que la guerre civile sévissant en Éthiopie connaît une accalmie, nous assistons à une reprise des activités économiques notamment portuaires dans notre pays.

Quelles sont vos attentes concernant le volume de production, la compétitivité et l’équilibre des marchés mondiaux de l’énergie en 2022 ?

Je voudrais tout d’abord vous rappeler que sans énergie, aucun développement n’est possible. L’énergie constitue donc un vecteur essentiel, un catalyseur et un accélérateur du développement socioéconomique durable et inclusif. L’accès à une énergie abondante et à moindre coût est indispensable non seulement pour les ménages mais aussi pour le secteur privé (afin de parvenir à l’essor industriel). L’électricité étant produite par des centrales thermiques fonctionnant à partir du pétrole, il est donc indispensable que les pays producteurs et exportateurs de pétrole accroissent leur volume de production pour qu’il y ait une baisse du cours du pétrole.

Dans le contexte actuel mondial de pandémie du covid 19, une baisse considérable du prix du baril de pétrole constituerait une bouffée d’oxygène pour les économies des pays en développement comme le nôtre. Il y va de la compétitivité de nos économies. Nous espérons donc qu’en cette nouvelle 2022, on assistera à l’équilibre entre l’offre et la demande énergétique sur les marchés mondiaux d’énergie. Un tel équilibre, je l’espère, satisfera non seulement les pays producteurs de pétrole mais aussi les pays importateurs.