Après avoir représenté l’Union Européenne à Djibouti durant ces trois dernières années,  l’Ambassadeur de l’UE à Djibouti et auprès de l’IGAD M. Adam Kulach quitte son poste. Diplomate de carrière et polyglotte, il parle couramment l’arabe et le russe, il a notamment représenté son pays la Pologne dans plusieurs pays du monde avant d’être appelé à l’Union Européenne où il a été aussi ambassadeur en Arabie Saoudite. Durant son mandat à Djibouti il a revitalisé les relations entre l’UE et notre pays en mettant en place de nombreux projets axés sur l’eau, la résilience, la migration des populations, l’intégration régionale de Djibouti mais aussi la promotion de l’égalité des genres. Pour ce qui est du futur de la coopération entre Djibouti et l’UE, il a déclaré : «  Nous allons assurer la continuité dans les différents secteurs dans lesquels nous nous sommes engagés, comme le renforcement du capital humain. A l’avenir nous allons sûrement porter plus d’attention aux questions liées au changement climatique, la protection de l’environnement, mais aussi à l’économie bleue. Cela va engendrer la création d’emplois, la diversification de l’économie, ainsi que  le développement du tourisme et du numérique », a-t-il déclaré en substance. Interview.

« L’avenir appartient à Djibouti »

Monsieur l’ambassadeur, vous voilà au terme de votre mission à Djibouti qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant vos trois années passées à Djibouti en tant qu’ambassadeur de l’Union Européenne.

Djibouti est un pays spécial entouré par des zones de conflit. C’est un pays connecteur. Un patchwork de populations d’origine diverse. Un mixage unique national. Une certaine fierté de l’identité nationale djiboutienne. Je peux dire que Djibouti est un peu comme les “Etats-Unis de la Corne”. En miniature bien sûr.Vous êtes un pays qui s’est développé grâce à sa position stratégique.  Vous possédez un port naturel qui est là depuis plus de cent ans  et qui sert de débouché unique pour l’Ethiopie qui est un pays enclavé. Les djiboutiens sont connus pour leur hospitalité. Vous êtes un peuple accueillant et ouvert aux autres comme en témoigne la présence de nombreux réfugiés qui ont fui les guerres dans la région. J’ai beaucoup apprécié cette chaleur humaine.

La République de Djibouti et l’UE entretiennent une relation basée sur la coopération dans  divers domaines. Comment a-t-elle évolué ces dernières années.

Nous faisons partie des bailleurs de fonds qui investissent à Djibouti  même si je n’aime pas  le terme de « bailleurs de fonds ». Je préfère plutôt partenaire. A travers nos années de coopération, nous avons octroyé à Djibouti des projets valorisés à plusieurs centaines de millions d’Euro. Pour être plus précis, quelque deux cent millions d’euros ont été engagés ces dernières années. Avec Djibouti, un des projets clés est l’usine de dessalement de l’eau de mer. Je suis très fier que ce projet ait pu avancer et dimanche prochain nous organiserons une activité pour constater l’état d’avancement de ce chantier sur place. Ce qui coïncidera à un jour avant mon départ de Djibouti. Cette usine sera une source d’eau indépendante qui va largement contribuer à la recherche de solutions viables aux problèmes d’eau qui se posent à Djibouti. C’est un investissement stratégique qui a pour objectif de diversifier les sources d’eau.  Rappelons que ce projet coûte également plus de 70 millions d’euros avec quelques millions de contribution nationale. C’est un consortium de deux compagnies française et espagnole qui exécute ce projet. Si tout va bien, l’eau coulera durant l’année prochaine. Vous savez, l’eau c’est la vie raison pour laquelle elle constitue une de nos priorités. Nous intervenons aussi à la station d’épuration de Douda. Nous avons construit plusieurs forages et d’autres infrastructures dans ce secteur.  Le développement du capital humain demeure  aussi pour nous une autre priorité. Nous avons investi dans la résilience des populations. Vingt-sept millions d’euros ont été octroyés dans ce domaine y compris la lutte contre la malnutrition. Nous soutenons également le développement du genre à travers un appui aux projets du ministère  de la femme et de la famille. Les derniers projets en phase de finalisation portent sur le domaine de la Justice et l’appui au secteur privé  et cela va clôturer le 11e FED. Ensuite, l’accord de Cotonou qui sert de base de coopération avec les pays ACP sera remplacé bientôt par un nouvel accord. Nous sommes actuellement en pourparlers avec nos partenaires sur son contenu.Comment voyez-vous le développement socio-économique de Djibouti ?

D’abord, il faut constater que beaucoup de choses ont changé. Quand je suis venu à Djibouti, il y avait seulement un port qu’on appelle maintenant “le vieux port” de Djibouti et son terminal à conteneur. Au bout de 3 ans, on a un port polyvalent. On est en train de planifier un nouveau terminal à conteneur. Une zone franche internationale a été construite afin de créer une plateforme de développement pour le futur. Les premières entreprises s’installent dans cet espace. Le point fort de Djibouti est qu’elle est un point stratégique important pour la région et peut servir de lieu d’exportation pour ce vaste marché. Djibouti est aussi un havre pour les organisations internationales qui interviennent soit au Yémen ou les autres zones de conflit. Le pays possède un grand potentiel dans le domaine numérique comme les câbles sous-marins principaux qui passent par Djibouti.C’est pour cette raison que le Kenya a signé récemment un accord avec Djibouti pour se connecter avec un de ses câbles. La ligne ferroviaire moderne reliant Djibouti à Addis Abeba est aussi devenue une réalité. Ce train a transformé les possibilités économiques et les conteneurs peuvent désormais être transportés via la locomotive. Djibouti est un pays qui a besoin de plus d’infrastructures, il faut construire des autoroutes modernes, moderniser et construire un nouvel aéroport parce qu’un hub international doit être facilement connecté au monde. Autre réalisation : celui de la construction d’un chantier naval dans le vieux port de Djibouti exécuté par une société hollandaise. Autre atout, le secteur privé devient de plus en plus dynamique. Les deux éditons de la foire Internationale  de Djibouti ont été une réussite. Le Président de la Chambre de Commerce de Djibouti a été élu récemment à la tête de la chambre panafricaine. Et tout cela donne à Djibouti une visibilité d’un pays dynamique qui cherche à se développer.

L’Union européenne soutient aussi l’intégration régionale de la République de Djibouti. Comment avez-vous œuvré pour le renforcement de cette intégration ?

Ceci est, avant tout, l’affaire des pays de la région. Nous sommes là pour soutenir cette intégration. Nous sommes en faveur d’une région forte qui parle d’une seule voix. L’Union européenne finance plusieurs projets au niveau de l’IGAD qui est un organisme œuvrant pour cette intégration, par exemple au travers de la facilitation de la libre circulation des personnes. Actuellement, avec l’Ethiopie, Djibouti et les autres pays de la région, nous préparons une grande conférence sur l’intégration  économique  de la région laquelle sera soutenue par de nombreux partenaires. Elle demeure une vision ambitieuse visant à booster l’économie de la région. Ce doit être une vision holistique et inclusive. A mon avis, les gens doivent savoir l’essence de l’intégration qui débouche sur l’amélioration des conditions de vie. Autres domaines dans lequel Djibouti a beaucoup investi est celui de l’enseignement supérieur. Pas seulement dans le nouveau campus de l’Université de Djibouti et la faculté d’ingénieurs, mais le pays  vise à devenir un hub panafricain pour la formation des cadres dans certains secteurs tel que la logistique et les transports. Cette intégration exige aussi la normalisation des relations entre les pays de la région. Nous attendons avec impatience la normalisation des relations entre Djibouti et l’Erythrée. Jusque là, Djibouti a bien prouvé son attachement à la paix et aux bonnes relations avec tous ses voisins.

L’UE et Djibouti tiennent régulièrement un dialogue politique, quels sont les tenants et aboutissants de ces rencontres?

Le dialogue est toujours l’occasion de discuter des questions d’intérêt commun. Nous ne nous intéressons pas seulement  à ce qui se passe à Djibouti mais aussi dans la région. J’ai l’habitude de dire que pour savoir la température en Ethiopie et ailleurs dans la région, le thermomètre le plus précis se trouve à Djibouti. A Djibouti, nous avons une très belle perspective pour observer la région. Durant ce dialogue politique, nous nous attardons beaucoup sur les questions régionales. Nous abordons aussi le développement national mais aussi des questions économiques parfois difficiles avec nos partenaires djiboutiens, ouvertement et en toute sincérité. Nous échangeons nos  points de vue sur les développements politiques du jour. Chaque année, nous abordons différents thèmes. Comme par exemple les élections parlementaires ou locales. Nous  avons constaté et sommes réjouis de l’augmentation du quota des femmes au parlement qui a, récemment, été porté à 25%.

Une partie du dialogue est consacré au stade du développement des projets et autres projets, comme celui du Fonds Fiduciaire, du Fonds Européen de Développement. Toutes les questions sont discutées en présence du ministre des affaires étrangères qui est par ailleurs le porte-parole du gouvernement et en présence de certains de ses collègues comme le ministre des finances et de l’économie et celui de l’intérieur qui font des présentations dans leurs domaines de compétences respectives.Le développement socio-économique, la migration, la sécurité sont entre autres les thèmes qui ont été abordés lors du dernier dialogue politique. Ce dialogue est toujours accompagné d’un programme de visite sur le terrain par les ambassadeurs qui sont en poste à Addis-Abeba et couvrent Djibouti. Ils se rendent au Port, à l’Université de Djibouti, l’école de Gendarmerie, la Zone Franche etc… Les voies et moyens de faciliter les missions européennes basées à Djibouti sont entamées, telle que la mission anti piraterie Atalante. Djibouti est un partenaire très apprécié de l’Union Européenne.

Bien sûr on est en dialogue permanent avec tout le monde à Djibouti. Y compris avec l’opposition parlementaire,  et avec la société civile qui joue un rôle important. Je pense qu’il faut toujours privilégier l’approche constructive au lieu de  se concentrer sur les aspects négatifs.

Votre institution intervient aussi dans le domaine de la décentralisation, du renforcement du système local de gouvernance et de la promotion du développement local inclusif.  Quel regard portez-vous sur la décentralisation à Djibouti ? Les choses avancent-elles à un bon rythme ?

Je pense que la décentralisation est très bien entrée dans le discours  politique djiboutien, comme en témoigne les propos du Premier ministre lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. Il existe une vraie volonté de doter les régions des compétences réelles quant à la gestion de leurs affaires. De nombreux projets répondant aux besoins des populations locales ont été exécutés ou sont en cours de réalisation, en parfaite harmonie avec les grandes lignes de développement national. Le transfert des compétences et des moyens est une question clé ici. On pourra assister dans l’avenir à un développement plus équilibré dans l’ensemble du pays. Le président de l’Assemblée nationale joue aussi un rôle très constructif à ce niveau. Il a créé un réseau entre les parlementaires et élus locaux qui se rencontrent régulièrement. Nous avons participé à la création de ce réseau. Le processus de décentralisation a besoin de certaines décisions stratégiques et la rédaction de certains documents qui vont servir de base pour le futur. Nous sommes déterminés à accompagner ce processus.

M. Kulach, en terme de perspectives, quels sont les futurs chantiers pour la suite de la continuité  de la coopération avec Djibouti?

Avant tout, nous allons assurer la continuité dans les différents secteurs dans lesquels nous nous sommes déjà engagés. A l’avenir nous allons porter plus d’attention aux questions liées au changement climatique, à la protection de l’environnement,  l’économie bleue mais aussi le numérique. Cela va engendrer la création d’emplois, le développement du tourisme, la diversification de l’économie. Dans ce sens, l’Union européenne va contribuer à la tenue prochaine à Djibouti d’une conférence de l’IGAD sur l’économie bleue. Djibouti a tous les  atouts pour jouer un rôle très important dans ce domaine.Je suis convaincu que l’avenir appartient à Djibouti.

Enfin je tiens à remercier la presse nationale qui a assuré une large couverture des activités de l’Union européenne.

Interview réalisée par Kenedid Ibrahim