Pour comprendre les circonstances qui ont conduit à la création de la ville de Djibouti, revenons sur le contexte historique de l’époque dans la corne de l’Afrique. Cette région à la fin du 19ème siècle, à partir de l’inauguration du canal de Suez le 17 novembre 1869, fait l’objet d’une âpre concurrence entre les grandes puissances européennes en particulier entre la France et le Royaume-Unis à la suite de l’affaiblissement militaire économique et diplomatique de l’empire ottoman que l’on qualifie à l’époque comme « l’homme malade de l’Europe ».  L’empire ottoman affaibli va déléguer en quelque sorte son pouvoir à l’Egypte dans la corne de l’Afrique.  Ainsi la ville de Tadjourah est occupée par un détachement de troupes égyptiennes entre 1875 et 1884. Le port de Zeila paie des taxes à l’empire ottoman puis à l’Égypte jusqu’aux années 1880.

L’Egypte étant devenu protectorat anglais en 1882, l’Angleterre se proclame héritière des possessions égyptiennes situées sur la mer rouge, elle vise en particulier 3 ports : Zeila, Berbera et Bulhar.

La rivalité entre Français et Anglais s’accélère quand en 1883, l’Angleterre ferme le port d’Aden aux bateaux français.  Or il y’avait une nécessité pour la France d’avoir un dépôt de ravitaillement et une escale entre Suez et ses possessions d’Extrême Orient et de l’océan indien.  En 1883, le gouvernement français décide de la création d’un dépôt de charbon à Obock, tâche qui sera confiée à la Compagnie Mesnier.

Le 24 juin 1884, un décret nomme commandant d’Obock un jeune administrateur de 24 ans Léonce Lagarde. Cependant, le port d’bock ne pouvait accueillir les bateaux de fort tonnage et l’arrière-pays montagneux ne permettait pas de relier Obock à l’Ethiopie par chemin de fer. Finalement une rade avec des possibilités plus intéressante est identifiée de l’autre côté du golfe de Tadjourah : Djibouti. Le 26 mars 1885 un traité est signé avec des chefs de tribus issas. Durant cette année la rivalité entre la France et l’Angleterre se focalise sur la possession de la ville de Zeila, ville stratégique pour le commerce caravanier avec Harar. La France avait nommé officiellement un consul dans cette ville : Henry. Celui-ci signa un traité de protectorat avec des notables somalis de Zeila, ces derniers s’engageant à favoriser les intérêts français.

L’Angleterre ne s’avoua pas vaincu et signa à son tour de 1884 à 1886 elle signa à son tour un ensemble d’autres traités avec différents notables établis sur les côtes du nord de la Somalie.

Finalement en 1888 les deux puissances vont régler leur différend à l’amiable et vont signer un traité, la France abandonnant Zeila à l’Angleterre qui en échange reconnaissait la mainmise de la France sur la nouvelle colonie, Les deux pays s’engagent aussi dans ce traité à ne pas annexer la ville de Harar et à laisser la libre circulation du commerce caravanier entre Harar et Zeila en luttant conjointement aussi contre le commerce des esclaves et le trafic des armes à feu dans la région. C’est donc dans ce contexte d’apaisement de la concurrence franco-anglaise que le gouverneur Léonce Lagarde va prendre la décision d’établir définitivement la nouvelle capitale de la Colonie en 1888 à Djibouti après avoir été précédé par des commerçants français soucieux de trouver un meilleur site pour leur commerce avec l’Ethiopie.

POURQUOI  LE SITE  DE DJIBOUTI

Le site de Djibouti a été choisi pour devenir la capitale de la nouvelle colonie pour 3 raisons qui sont les suivantes :

– Une rade mieux protégée avec une superficie utile d’environ 80 ha, des vents de la mousson avec un mouillage plus profonde par rapport au port d’Obock et qui permet d’accueillir des navires de fort tonnage.

– Un accès plus facile et sans obstacles naturels avec les provinces éthiopiennes.

– Une source d’eau potable à proximité de la ville : l’oued d’Ambouli.

Une fois l’administration transférée d’Obock en 1891, la ville va connaitre une urbanisation accélérée qui va provoquer la ruine de la ville de Zeila. En effet, en une dizaine d’années, une véritable ville va surgir du site désertique d’origine. De nouveaux bâtiments construits à la fois par l’administration coloniale mais aussi par les commerçants établis sur place, vont pousser comme des champignons. Le nombre d’habitant lui aussi s’accroit d’année en année. Deux grands chantiers vont encourager l’afflux de nouveaux habitants : la construction du port et celle du chemin de fer.

Mis à part les originaires de la colonie, de nouveaux originaires vont affluer notamment de Zeila mais aussi du Yémen (au début de la ville d’Aden).

Vont s’établir aussi dans la nouvelle ville des fonctionnaires coloniaux français ainsi qu’un certain nombre de maisons de commerce françaises, grecques et indiennes avec leurs cohortes d’employés.

LES OBSTACLES

Deux problèmes se posent lors de la création de la ville:

       – L’approvisionnement en eau douce

       – Trouver les matériaux de construction

 Concernant l’approvisionnement en eau douce, elle se fait au début à partir de puits creusés sur les alluvions de l’oued d’Ambouli, situé à environ cinq kilomètres de la ville. Des porteurs d’eau s’approvisionnent dans ces puits avec des outres et bidons qui sont transportés à dos de chameaux ou de bourricots vers les différents secteurs de la ville.

Ce système s’avérant insuffisant pour l’alimentation d’une ville en continuelle croissance, deux ingénieurs français Duparc et Vigouroux, propriétaires de l’entreprise générale de construction et des travaux publics signent avec les autorités coloniales, une convention de concession d’alimentation en eau de la ville en décembre 1898. Celle-ci ayant fait faillite l’année suivante, la convention du service d’alimentation en eau est rétrocédée finalement à une autre compagnie : la Société Industrielle de Djibouti. Celle-ci installa une conduite d’eau de 9 kilomètres qui commença à alimenter la ville. Mais l’alimentation en eau insuffisant, le métier de porteur d’eau va perdurer encore pendant un demi-siècle surtout pour l’alimentation en eau des quartiers autochtones. Au début du siècle, l’eau est transportée sur des bidons ou outres à l’aide de fléaux, à dos d’âne ou de chameau. Le transport à dos de chameau sera abandonné très vite pour des raisons de commodité, le chameau se révélant un animal de bat peu commode en milieu urbain !

Le deuxième problème qui se pose lors de la création de la ville était de trouver des matériaux de construction pour les édifices en dur. Une solution pratique sera trouvée avec l’utilisation du madrépore celui-ci est abondant, léger à transporter et facile d’utilisation. Pierre calcaire, le madrépore est une roche relativement friable mais elle se révèle résistante aux conditions géomorphologiques et climatiques de Djibouti. Le madrépore taillé en brique, servira à construire de nombreux bâtiments du centre-ville y servira aussi à l’édification du port.

L’ORIGINE DU MOT DJIBOUTI

Pour l’origine du mot Djibouti, deux versions prédominent. Selon les somalis, le mot viendrait d’une déformation de l’expression somalie : « jab buuti » qui signifierait le lieu où l’ogresse a été tuée. Selon la légende, le site de Djibouti étant à l’origine un lieu marécageux couvert de végétation y vivait une ogresse dévorant les jeunes bergers qui s’y s’aventuraient. Finalement elle aurait été tuée d’où le nom donné à l’endroit après sa mort. Notons au passage que l’ogresse est l’un des personnages les plus familiers des contes somalis. Elle est représentée dans l’imaginaire populaire, comme une vieille femme laide aux cheveux hirsutes avec de longues ongles. Habitant dans les endroits isolés souvent boisés, elle sort la nuit et se cache à l’orée des campements en brousse et elle dévore les jeunes enfants et les femmes qui s’égarent ou qui s’éloignent des campements. La plus célèbre de ces ogresses mise en scène dans les contes somalis c’est « dhag dheer » ou « la grande oreille ». Une fois l’ogresse tuée le conte se conclut par ces paroles : dhag dheer est morte et désormais la contrée est en paix.

Selon la version afar, le mot Djibouti viendrait du mot « gabod » qui signifie vanneries, les plateaux madréporiques entourant la cote ayant cette forme de vannerie.

LA VIABILISATION DU SITE

 Le site originel de la capitale est constitué de 4 plateaux surélevés et recouvert par une importante végétation de mangroves, entouré de basse terre : *au centre le plateau de Djibouti, au nord, le plateau du serpent en forme d’anneau et à son extrémité ouest un dernier plateau celui du marabout. Au nord du plateau du marabout on a l’ilot du héron. La construction de la première route qui relier les trois premiers plateaux va débuter en Mars 1899 : c’est le boulevard de la république. Surélevée de deux mètres du sol, l’artère a 800 mètres de longueur et vingt mètres de largeur.         

Dès le début de la création de la ville on constate une spécialisation des différentes parties de la ville.

Le plateau de Djibouti abritera les maisons de commerce et l’administration.  Le plateau du serpent sera essentiellement un quartier résidentiel réservé aux européens et à quelques Djiboutien aises. Quand au plateau du marabout il servira de prolongement au port et à la gare et abritera aussi jusqu’au début du 20ème siècle des dépôts de charbon.

MOHAMED ADEN