Nous allons publier dans notre journal, une série d’articles sur les villes mythiques de la Corne et nous allons commencer par la ville de Zeila située dans le nord de la Somalie, jadis l’un des principaux ports de la Corne et qui aujourd’hui est réduite à une simple bourgade. Dans notre région, beaucoup de légendes circulent sur cette ville, ne dit-on pas que les habitants de Zeila étaient tellement riches qu’ils enduisaient les murs de leur maison en construction, de sucre à la place du mortier ! Essayons de démêler le vrai du faux, en retraçant brièvement l’histoire de cette ville.
La ville de Zeila située exactement au bord du golfe d’Aden, elle est distante de notre capitale de 60 km et de 15 km de Loyada. Le nom de Zeila est mentionné la première fois dans un récit anonyme grec daté entre le premier et le troisième siècle de notre ère et intitulé le Périple de la mer Érythrée (Periplus maris Erythraei) récit maritime antique sur les régions bordant l’océan indien. Se basant sur ce récit, les historiens l’identifient comme le site du port ptolémaïque d’Avalitès.
L’expansion de l’islam en Afrique de l’est atteint très tôt la ville de Zeila, en témoigne la mosquée Al Qiblatayn (la mosquée aux deux minarets) construite entre 620 et 630. Par la suite tout au long du moyen âge, des sources arabes médiévales à partir du Xe siècle évoquent la ville de Zeila. Décrit à cette époque, comme un petit port indépendant commerçant principalement avec le Yémen ; Zeila exporte surtout des peaux d’animaux ou de peaux de boeufs, qui auraient servi à la fabrication de chaussures au Yémen. D’autres produits locaux sont exportés aussi du port de Zeila : les peaux d’animaux sauvages, l’encens, l’ambre et les écailles de tortues.
Parmi ces chroniqueurs arabes nous pouvons citer : d’al- Ṣayrāfī (vers 916) Al-Iṣṭakḫrī (932-950), Al-Masʽūdī, dans Les prairies d’or (dont la dernière révision date de 956), Ibn Ḥawqal (mort en 988). Al Muqaddasī évoque dans ses récits un autre type de commerce à Zeila : « Les eunuques que l’on voit sont de trois sortes : il y a la race de ceux qu’on exporte vers l’Égypte et qui sont de la meilleure race ; il y a la race qu’on exporte à Aden, ce sont les Barbara, la pire race d’eunuques ; il y a la troisième race qui ressemble aux Habaša »,
Ceci témoignerait certainement de l’existence d’un commerce ancien d’esclaves entre le port de Zeila et le Yémen. Du 13ème siècle au 15ème siècle Zeila sera la capitale du Sultanat d’Ifat (1285 – 1415) puis du sultanat d’Adal (1415 – 1577).
Citons aussi parmi les voyageurs arabes qui passent à cette époque sur les côtes de la mer rouge, Ibn Baṭṭūṭa qui passa par Zeila en 1331, lors d’un voyage qui le conduisit d’Aden à Mogadiscio et qui se prolongea vers la côte swahilie.
Voici un extrait de sa description peu flatteuse de Zeila :
« Zayla est une grande cité, qui possède un marché considérable ; mais c’est la cité la plus sale qui existe, la plus triste et la plus puante. Le motif de cette infection, c’est la grande quantité de poisson que l’on y apporte, ainsi que le sang des chameaux que l’on égorge dans les rues. À notre arrivée à Zaylaʽ, nous préférâmes passer la nuit en mer, quoiqu’elle fût très agitée, plutôt que dans la ville, à cause de la malpropreté de celle-ci ».
La ville de Zeila est au sommet de sa prospérité au XVIe siècle, elle commerce même avec l’Inde et la Chine. La preuve ce sont les multiples tessons de poteries chinoises découvertes lors de fouille réalisées par une équipe d’archéologue anglais en 1975 et une mission française en 2001. Zeila tombera deux siècles plus tard sous l’influence ottomane. En effet à partir de 1864, Zeila est directement occupée par les Ottomans, qui transfèrent par la suite leur souveraineté à l’Égypte en 1865.
Mais la puissance ottomane déclinant par la suite dans la région, le port est convoité par les deux principales puissances coloniales présentes à l’époque dans la corne de l’Afrique : la France et l’Angleterre qui y enverront des missions d’explorateurs. Citons parmi ces voyageurs européens l’Anglais Richard Burton auteur de «Footsteps in Africa » en 1856.
Voici un extrait de sa longue description de Zeila :
« Zayla, appelée Audal ou Auzal par les Somalis, a environ une taille similaire à la ville égyptienne de Suez, elle compte 3000 à 4000 habitants, et est constituée d’une douzaine de grandes maisons en pierre blanchies à la chaux et de 200 cabanes arish ou chaume, chacune entourée d’une clôture de branches. Le port n’en est vraiment pas un ; un navire de 2 50 tonnes ne peut s’en approcher que dans un rayon d’un mille du quai ; La rade ouverte est exposée au terrible vent du nord, l’entrée du port après le coucher du soleil, est rendu difficile par l’existence d’un fond corallien. La forme de cette ville jadis célèbre est un parallélogramme assez régulier, dont les grands côtés se détachent d’est en ouest. Les murs des bâtiments, sont construits, comme les maisons, de décombres et de boues coralliennes, la ville est entourée d’une muraille avec cinq portes d’entrée. Zeila commande le port adjacent de Tajurrah, cependant les querelles des souverains ont toutefois transféré le commerce principal de la ville à Berbera».
Au début du XXème siècle avec la création de la ville de Djibouti et la construction du chemin de fer, les activités du port vont décliner et beaucoup d’habitants de Zeila vont émigrer vers la ville de Djibouti. Parmi ces illustres habitants de Zeila qui s’installent à Djibouti figurent , Hadji Dideh constructeur de la célèbre mosquée qui porte son nom et sise jusqu’à aujourd’hui au Quartier 2.
M. ADEN