À l’occasion de la Journée nationale de l’innovation et de la recherche-action, qui s’est tenue du 5 au 6 octobre à l’Ayla Grand Hôtel sous le haut patronage du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, la communauté éducative s’est réunie pour échanger autour des pratiques novatrices menées dans les établissements scolaires du pays. Ces journées ont offert un espace de dialogue entre chercheurs, praticiens et décideurs, avec pour objectif de favoriser la diffusion et la mise en discussion des résultats des projets pilotes et expérimentations conduits dans différents établissements. Le CFEN, le CRIPEN ainsi que plusieurs partenaires internationaux tels que l’AUF et l’OIF ont contribué activement à ces échanges.

Il est indéniable que les enseignants jouent un rôle déterminant dans la construction du goût d’apprendre chez les élèves. L’“effet professeur” demeure un levier essentiel dans la quête du savoir et dans l’accompagnement des apprenants vers la réussite.L’école de demain exige de ses enseignants qu’ils se réinventent, qu’ils innovent et expérimentent. Enseigner ne doit pas se réduire à la simple transmission de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être ; enseigner est un art, au même titre que l’art culinaire ou l’art de la guerre. L’enseignant est un artisan du savoir, un créateur pédagogique qui a besoin d’une liberté créatrice pour remplir pleinement sa mission. Cette liberté pédagogique, encadrée par les orientations institutionnelles, est indispensable pour former des élèves libres et responsables. Comme le rappelle le chercheur André

Tricot : « Je crois que l’innovation pédagogique correspond à des réalités différentes, de la plus petite et précise […] à la plus grande et générale. Le moteur des petites innovations précises est bien entendu le génie de chaque enseignant […] Le moteur des grandes idées pédagogiques innovantes est, d’après moi, le plus souvent une tentative de répondre à la question : comment enseigner sans exercer de contrainte alors que, par définition, l’enseignement est l’exercice d’une contrainte, notamment de temps et de lieu. »

Pour Tricot, l’innovation pédagogique permet à l’enseignant de surmonter les contraintes propres à sa réalité, non par des recettes universelles, mais par des réponses locales, contextualisées et issues du terrain.

Une innovation djiboutienne : “Expérimenter une Éducation au Développement Durable systémique”

Dans ce contexte, la communauté de pratique Éducation au Développement Durable (EDD), dirigée par M. Hassan Miguil, formateur au CFEN, et M. Jean-François Malavielle, coordinateur de Global Reporters et enseignant au lycée Montaigne de Paris, accompagnés de M. Osman Ali Soubaneh et Mme Zeinab Abdi, enseignants au collège bilingue d’Ali Sabieh, ont présenté une innovation intitulée : “Expérimenter une Éducation au Développement Durable systémique à Djibouti”.

« L’éducation n’est pas une île isolée de la sphère politique et économique ou de la philosophie. C’est un pilier fondamental du processus de changement structurel vers le vivre bien. »

— Fernando Huanacuni, 2010

Fernando Huanacuni souligne ici que l’éducation est profondément liée aux autres dimensions de la société : la politique, l’économie, la culture et la philosophie.

Elle ne fonctionne pas de manière autonome ou déconnectée du monde réel.

L’éducation façonne les citoyens et oriente le type de société que l’on veut construire.

– Les politiques éducatives dépendent des choix économiques et des idéologies politiques.

– L’école prépare les futurs acteurs sociaux, économiques et politiques. Ainsi, éduquer, c’est déjà faire un acte politique, car cela détermine les rapports de pouvoir, les valeurs partagées et la manière de vivre ensemble

Cette initiative vise à préparer les apprenants djiboutiens à l’éco-responsabilité et à valoriser les efforts concrets réalisés sur le terrain dans plus de vingt établissements scolaires du pays.

Elle s’inscrit dans le cadre du C.A.P Monde (Climat Action Plan), un réseau international réunissant la France, le Sénégal, le Maroc et l’Allemagne. Ce programme propose des parcours autour de thématiques comme la biodiversité, les déchets, les transports ou l’énergie, afin d’aider les élèves à comprendre les enjeux socio- environnementaux de leur territoire.

Les élèves deviennent ainsi acteurs de leurs apprentissages, réalisant des études de cas et publiant leurs travaux sur la plateforme Global Reporters. En 2024, trois élèves du lycée de Damerjog – Hélène Abdourazak Mohamed, Deksane Djilani Moussa et Robleh Elmi Farah – ont vu leurs productions valorisées à l’international.

De l’EDD linéaire à l’EDD systémique

Traditionnellement, l’EDD à Djibouti se limitait à des initiatives ponctuelles : actions de tri, plantations, journées vertes, souvent portées par quelques enseignants motivés. Le nouveau dispositif rompt avec cette approche fragmentée en proposant une co- construction interdisciplinaire mobilisant enseignants, élèves, chefs d’établissement et partenaires locaux autour de diagnostics partagés. L’outil central, l’Hexathlon, permet d’évaluer les éco-gestes selon six thématiques : déchets, eau, énergie, biodiversité, transport et santé. Ces données servent de base à la planification d’actions concrètes telles que plantations d’arbres, créations artistiques, théâtre écologique ou campagnes de tri sélectif.

Une recherche-action au service des apprentissages

L’expérimentation repose sur une méthodologie rigoureuse, articulant les dimensions institutionnelle, pédagogique et communautaire :

– Planification institutionnelle : chaque école participante élabore un plan d’action annuel, coordonné avec les instances éducatives.

– Dimension pédagogique : les enseignants conçoivent des séquences contextualisées, liant théorie et action, favorisant le transfert des apprentissages et le développement de l’esprit critique.

Les premiers résultats sont encourageants : plus de 70 % des élèves impliqués ont amélioré leur compréhension des enjeux climatiques et modifié leurs comportements quotidiens.

Des résultats prometteurs

Les écoles pilotes observent une mobilisation accrue et une transformation des pratiques enseignantes :

– Les enseignants deviennent facilitateurs de projets.

– Les élèves participent activement à la conception et à l’évaluation des actions.

– La communauté scolaire s’engage autour d’objectifs communs, créant une dynamique locale durable.

Les activités phares, telles que la plantation d’arbres ou le recyclage créatif, valorisent la biodiversité locale tout en renforçant le sentiment d’appartenance à un projet collectif.

Perspectives : faire de l’EDD un pilier de l’éducation djiboutienne

L’équipe projet souligne l’importance de pérenniser cette démarche en formant davantage d’enseignants, en consolidant la coordination interdisciplinaire et en intégrant l’EDD dans les référentiels officiels.

Hassan Miguil : « L’école de demain doit former des citoyens capables de comprendre les interactions entre société, économie et environnement. L’EDD systémique est une voie d’avenir pour

Djibouti. »

Jean-François Malavielle : « Ce partenariat illustre la force des coopérations éducatives internationales : penser globalement, agir localement. »

Osman Ali Soubaneh et Zeinab Abdi : «L’efficacité du dispositif repose sur la formation continue et le suivi-évaluation. »

La République de Djibouti subit de plein fouet les effets du changement climatique : inondations récurrentes, hausse des températures, sécheresses prolongées. La société doit s’adapter à ces mutations profondes.

L’école, moteur du changement social, doit être au cœur de cette adaptation. Les défis écologiques se gagnent ou se perdent à l’école. Celle-ci doit continuer à enseigner les fondamentaux — lire, écrire, compter, maîtriser les langues et transmettre les valeurs de la République (Unité, Égalité, Paix) — mais aussi former des éco-citoyens responsables, capables de relier les gestes quotidiens aux enjeux planétaires.

L’exemple du Japon montre que l’éducation peut devenir un puissant levier d’écocitoyenneté : apprendre à connaître, à agir et à assumer une responsabilité environnementale. Aujourd’hui, l’école djiboutienne a le devoir et la responsabilité de contribuer activement à cette transition écologique nationale.