PAR A.A.-MAHE

Si la création de l’Organisation de l’Unité Africaine fut l’unique évènement historique réalisé à ce jour par les dirigeants du continent, la Zone de Libre-échange Continental Africaine, lancée le 7 Juillet dernier à Niamey, entre à son tour dans les annales de l’histoire.

En effet, c’est la première fois, depuis 1963, que nos dirigeants réussissent avec succès le lancement d’un projet de grande envergure destiné au développement économique et social du Continent.

En cette période où le souvenir de la naissance du pan-africanisme alimente tout les esprits, le choix de la date n’est peut-être pas anodin.

En qualifiant le Sommet de Niamey d’historique, les puissants partenaires économiques de l’Afrique ne se sont pas trompés. Avec ses 1,2 milliards d’habitants et un produit intérieur brut estimé à plus de 2500 milliards de dollars US, le potentiel du marché visé est immense. Et, puisque l’activité commerciale intra-africaine ne représente que 16% du total des échanges, sa marge de progression reste très importante.

Ce sommet de Niamey était donc attendu par tout un continent. Il était aussi, le point de rendez-vous que les dirigeants africains s’étaient fixés pour lancer, de façon officielle et définitive, la Zone de libre-échange économique continentale africaine, la Zlecaf.

Quelques 4 500 délégués et invités, dont 32 chefs d’État et plus de 100 ministres ont participés à l’évènement et inaugurés les cinq instruments opérationnels qui permettront le fonctionnement de la Zlecaf.

Le but de la manœuvre étant de grignoter petit à petit, les 84% que se partagent essentiellement asiatiques et européens. Avec pour ambition : une hausse des échanges de 52% d’ici 2022.

54 ont signé l’accord et 27 l’ont ratifié

C’est dans cet objectif que le coup de lancement de la zone de libre-échange africaine a été donné, un an jour pour jour, après la signature du traité de création de la Zlecaf à Kigali où, rappelons-le, 22 pays, dont Djibouti, avaient ratifié l’accord. Le seuil minimum  requis ayant été acquis, c’est tout naturellement, que la Zone de libre échange continentale est entrée en vigueur le 30 Mai 2019. Depuis Kigali, 5 autres pays ont ratifié l’accord, portant aujourd’hui ce nombre à 27.

L’autre bonne nouvelle est le Nigéria. Ce géant de l’économie continentale ne s’était pas engagé jusque-là et son absence aurait été un énorme handicap pour le projet. Heureusement à Niamey, le Nigéria s’est finalement décidé de signer l’accord de création de la Zlecaf et son président longuement applaudi. Avec le Bénin et le Nigéria, le nombre de pays ayant signé l’accord est désormais porté à 54 pays sur les 55 membres de l’Union Africaine. Le seul pays manquant à l’appel est l’Erythrée qui s’est donné une période de réflexion selon des sources proche de l’UA.

Un vieux rêve qui se réalise enfin.

La naissance de ce nouveau marché commun, saluée par tous, est donc le début d’une grande aventure pour la Zlecaf. Selon Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l’Union africaine, c’est un vieux rêve qui se réalise et les pères fondateurs doivent en être fiers. Soulignant dans son discours que la Zlecaf devenait ainsi “le plus grand espace commercial au monde”.

La première étape du projet semble donc réussie, mais son parcours sera long et certainement très difficile comme l’a affirmé le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, président en exercice de l’Union africaine. Pour que cette zone soit pleinement opérationnelle a-t-il dit « Il faudra lever les obstacles qui nous empêchent de parvenir aux objectifs visés ».

En effet, les négociations vont certainement être longues et difficiles. Le calendrier des réductions de droits de douane et la circulation des biens importés de l’étranger font déjà l’objet de vifs débats. Il faudra également fixer et s’entendre sur les critères qui vont définir les proportions d’intrants africains nécessaires pour qu’un produit soit considéré comme fabriqué sur le continent et bénéficier du label “Made in Africa”. L’objectif étant d’éliminer, dans les cinq à dix ans, les droits de douanes sur un ensemble de produits représentant 90 % des lignes tarifaires.

Les premiers pas d’une intégration économique

L’économie africaine était historiquement bâtie sur un système créé sur mesure pour l’industrie coloniale métropolitaine. Les africains produisaient des matières premières qui n’étaient pas destinées à leur propre consomation. Depuis, rien n’a presque changé.

Or, pour réussir l’intra-africain, c’est-à-dire les échanges communautaires africains, il faudra imaginer de nouvelles stratégies qui soient en mesure de développer l’industrie de transformation et l’industrie manufacturière. Pour réduire considérablement l’exportation des matières premières vers l’europe ou les autres pays industrialisés et bien sûr, promouvoir les produits localement finis.

Des régles d’origine seront certainement mises en place pour permettre la circulation des marchandises à l’intérieur de la Zlecaf et leur identification. Les producteurs devront prouver clairement que le produit mis sur le marché est africain. Ceci, pour empêcher que des marchandises fabriquées hors Afrique puissent circuler en franchise de douane dans la Zlecaf.

Les négociations en cours définieront les critères des contenus. C’est des mesures de protection que les pays membres devront définir pour protéger ce nouveau marché et promouvoir leurs productions ou leurs commerces. Car, un espace de libre-échange comme celui de la Zlecaf ne pourra pas fonctionner avec des produits importés d’Europe, d’Asie ou d’ailleurs.

Cet accord de libre-échange facilitera l’intégration économique africaine. Et, une réelle intégration ne peut être possible que si les Etats développent une politique industrielle destinée à encourager les investissements et à promouvoir les productions locales. En effet, l’espace de la Zlecaf est un immense marché qui ouvre de nouveaux horizons et qui offre aux hommes d’affaires de chaque pays de grandes opportunités commerciales jusque-là insoupçonnées. Ces vastes marché plus qu’alléchant vont les stimuler à produire et à profiter de ses retombés.

Quels sont les autres conditions à remplir pour faciliter le commerce intra-africain ?

Il faudra doter le continent de voies de communication et d’équipements de bonne qualité ; rendre le transport inter-africain abordable car, son coût élevé reste de loin, un des freins actuels au échanges commerciaux du continent. Il faut  également, et c’est trés important, des administrations efficaces, disciplinées et respectueuses. Bâtir un marché qui soit digne de la population africaine et de son développement est une mission difficile et un chantier de longue haleine.  Il faudra travailler dur et savoir être patient.

Et l’intérêt de Djibouti dans cette affaire ?

Il est incommensurable ! La République de Djibouti, sous l’impulsion de son Président, M. Ismail Omar Guelleh, s’est placée très tôt au coeur de toutes les tractations diplomatiques qui ont fait aboutir l’accord de création de cette Zone de libre-échange continentale africaine.

Soucieux du développement économique africain, le Président a toujours été convaincu que l’intégration et la promotion des échanges intra-africains était le meilleur moyen de sortir le continent de la pauvreté et du sous développement. Ayant participé à un nombre incalculable de sommets et de réunions sur le sujet, il devînt très vite l’un des principaux défenseurs de ce projet de création de la Zlecaf. Et à aucun moment, il n’a perdu espoir. D’ailleurs, le Président de la République a toujours eu l’intégration économique à l’esprit. Le vaste programme de développement des infrastructures portuaires, maritimes, de transport et de service qu’il lança dès son premier mandat, en est la preuve. L’objectif était de préparer le pays non seulement pour une intégration régionale aujourd’hui bien entamée ; mais également, pour ce marché de libre-échange africain, qui fut longtemps en gestation et qui vient d’être lancé à Niamey.  Le peuple africain souhaitant vivement qu’il soit très vite opérationnel.

Aujourd’hui, avec ses terminaux à conteneurs, sa nouvelle Zone franche, ses moyens de communication routière et ferroviaire,  la république de Djibouti s’est transformé en plateforme logistique et commerciale ; et, pourra énormément tirer profit de cette nouvelle zone de libre-échange.

Cependant, offrir une plateforme logistique de pointe ne suffira ni pour tirer profit de ce nouveau marché commun africain, ni pour déclancher le développement économique et social espéré. Il faudra au contraire, instaurer une politique attractive capable de promouvoir l’industrie de transformation et les manufactures. Pas seulement en zone franche mais, partout dans le pays et multiplier les efforts pour développer les petites et moyennes entreprises.

Et si les hommes d’affaires Djiboutiens  pensaient injustement que le marché de 800 milles habitants était très restreint et qu’il empêchait de réels investissements, il faudra désormais qu’ils visent cet énorme marché africain qui s’ouvre à eux et qui s’étale sur tout l’étendu du continent. Se préparer à tirer profit de ce trésor jusque-là inexploité par ses ayants droits. Un trésor qui représentera 90% des échanges intra-africain et qui sera exempté de tout droit de douane.

Qu’est-ce que nous pourrons produire ou transformer, nous Djiboutiens, pour conquérir notre part de ce nouveau marché qui vient à nos portes ? Cette question, qui doit ouvrir les débats à l’échelle nationale, mérite des réponses. Et gardons en mémoire, en cas de réussite de la Zlecaf, que toute autre marchandise fabriquée dans un autre continent sera prohibée. Il faudra produire et consommer africain. Ce sera une aubaine.

A nous donc, de relever le défit !