Cette journée du 1er Mars 2022, a été une journée mémorable dont la qualité avait dépassé toutes mes attentes. Depuis mon plus jeune âge, la mer fut pour moi une très grande passion. Les baignades, la pêche, les sorties en mer et l’amour de la plaisance se sont estompés et furent balayés très tôt, par une culture diamétralement opposée et une hygiène de vie trop sédentaire. Je ne savais pas que cette passion pour le large avait laissé, quelque part en moi, une étincelle. Une étincelle qui n’attendait que son heure pour s’illuminer à nouveau et briller au cœur de mes firmaments. Et ce moment béni, c’est nos Garde-côtes qui me l’ont offert en m’autorisant de les accompagner, pour les besoins d’un reportage, dans le cadre du dossier spécial réalisé sur ce valeureux corps, dans la Zone de Surveillance Nord. Une zone qui commence à Obock et qui va jusqu’au chenal de Bab-el-Mendab. J’ai essayé de retracer ce périple au mieux pour vous faire vivre cet événement…jugez-en !
Aux premières lueurs du soleil ce matin-là, je fonçais à vive allure sur la route de Venise pour arriver à temps et ne pas rater le départ fixé à 6 heures au Port de Pêche. Imaginez ma prouesse. L’équipe mit à ma disposition était déjà à pied d’œuvre sous l’œil avisé du jeune lieutenant Abdoulrazak chargé d’organiser le bon déroulement de ce reportage et d’accompagner mes mouvements. Les préparatifs allaient donc bon train. Besoins alimentaires pour la durée de la mission, rations de survie, gilets de sauvetage, fusés de détresse et bien sûr perception d’armes…rien n’a été laissé au hasard. Et, avant même d’être bouleversé par l’étincelle qui chauffait, lentement en moi, pour s’illuminer ; j’ai été très ému de l’accueil qui m’a été réservé par ce magnifique corps professionnel et sympathique. A moi donc de surfer sur toutes les vagues de mes pensées pour savourer le moment.
Car, que vous soyez sur un quai ou sur une plage, la mer a toujours fait rêver les aventuriers. La magie de ce grand bleu ne cesse de vous transporter au gré des vagues et de vous projeter vers un imaginaire beau, attrayant et lointain à la fois. Comment expliquer cet émerveillement soudain face aux activités de la mer et face aux mouvements des embarcations de toutes sortes et de toutes tailles. D’ailleurs, les hommes et les femmes qui ont choisi d’intégrer ces innombrables métiers de la mer, restent enviés et donnent l’impression d’être toujours en vacances.
Alors, si vous avez la chance de quitter un jour le quai et de fouler les premières marches d’une passerelle de bateau, l’enthousiasme sera total. C’est l’effet de l’embarquement. Et le départ, déclenche ensuite le début d’une belle aventure. Peu importe sa durée. Me voici donc à bord de la vedette « Ayan ». Et d’entrée, je fus attiré par les ronronnements des moteurs hors-bord. Deux colosses de 300 chevaux chacun, qui vont montrer très vite de quoi ils sont capables.
Et nous voilà partis. Après avoir dépassé la dernière bouée rouge et mit le cap plein nord, le pilote entama une accélération progressive et bien dosée. Puis, il stabilisa la vitesse de la vedette à 50 nœuds, soit 92,6 km/heure. Le calme idéal de la mer l’autorisait. Il dépasse rapidement les gros navires de commerce éparpillés çà et là, en rade des ports de Djibouti. Après une bonne heure de navigation sans problème et trop calme, nous arrivâmes à hauteur d’Obock. Tout d’un coup, d’un automatisme silencieux, les Garde-côtes se postèrent bâbord et tribord. C’est le déclenchement de la mission, me souffla le Lieutenant. En effet, ils se mirent à scruter la mer en quête d’une embarcation suspecte. J’étais très excité. A mon fort intérieur, j’espérais au moins une scène à coucher sur le papier et j’attendais donc l’évènement avec impatience. La vedette fonçait toujours droit devant. Le temps défilait à la même vitesse et toujours rien. Soudain, le pilote s’écria : « deux à une heure ! ».
Et, il accéléra pour les rattraper. Visiblement, une des embarcations était en train de prendre la fuite. L’autre restait immobile et sans paniquer, le pilote se dirigea vers celle-ci et l’arraisonnement commença. C’était un boutre de pêche de taille modeste. Quatre agents sautèrent à bord en même temps que le lieutenant criait « mains en l’air ». Sous la menace sécuritaire des fusils d’assaut, l’équipage yéménite s’exécuta.
Ensuite, les agents commencèrent à débâcher les cargaisons pour mener une fouille minutieuse dont le but est d’identifier la nature, l’origine et la destination des marchandises. L’embarcation transportait une cinquantaine de jerricans de 25 litres, en plastique, remplis d’alcool destiné au marché yéménite. Le contrôle administratif réalisé attestait la légalité de cette cargaison. Ils sont en règle. Alors, les agents remontèrent à bord de la vedette et le pilote lâche les gaz. Je lui demande s’il comptait rattraper l’embarcation qui avait prit la fuite. Jetant un coup d’œil furtif à ma direction, il lança un « oui » tout confiant. Après tout, il connait mieux que quiconque le scénario qui est devant lui. Il sait que sa vedette est très rapide et il avait eu le temps de juger la capacité de l’embarcation en délit de fuite. Comment? En observant tout simplement sa trainée. Dix minutes plus tard, les fuyards étaient en vue. Ils se dirigent vers l’entrée du lagon de Khor Angar et s’ils y arrivent, c’est foutu car, le lagon est peu profond et la vedette ne pourra pas les poursuivre. Mais heureusement, le Poste de Surveillance du littoral maritime de Khor Angar n’était pas loin. Eux sont équipés pour naviguer sur le lagon. D’ailleurs, leur intervention a été tellement rapide que l’embarcation en délit fut interceptée avant même qu’elle n’ait eu le temps de pénétrer dans ce fameux lagon jonché de mangrove et truffé de cachettes. L’opération fut donc couronnée de succès. Lorsque la vedette « Ayan » vint à hauteur de l’embarcation, le Lieutenant Ahmed Djilal Igueh (Chef de la Zone Nord) et son équipe maîtrisaient déjà la situation. Appliquant toujours la même procédure de sécurité, les agents commencèrent les opérations de fouille et trouvèrent des bacs entiers bourrés de poissons. Opérant dans les eaux territoriales djiboutiennes en toute illégalité, les pêcheurs, de nationalité yéménite, étaient en infraction. Ils furent donc arrêtés conformément à la règlementation en vigueur en République de Djibouti. L’embarcation sera immédiatement convoyée avec son équipage et sa cargaison vers Obock dans un premier temps, puis vers Djibouti.
A la fin de cette opération, nous quittâmes la vedette rapide avec le lieutenant Abdoulrazak pour rejoindre l’embarcation légère du lieutenant Ahmed Djilal Igueh qui nous invite à passer quelques minutes à sa base. Histoire de nous dégourdir les jambes et de prendre quelques rafraîchissements. Arrivée à destination, la quantité de coques jonchant la plage attira mon attention. C’était des embarcations clandestines saisis par les agents du lieutenant Ahmed. On comprend alors l’importance et l’efficacité de ce Poste de surveillance de la Zone Nord. Une zone qui s’étend d’Obock à Doumeira. Les Garde côtes travaillant en étroite collaboration avec des éléments de la marine nationale présents dans le secteur.
Chaque coin de ce littoral est nourri d’histoires. Des histoires souvent tragiques que les agents racontent avec beaucoup de tristesse. Une coque à moitié enfoncé et visible sur une des plages de Godoria, réveille chez nos vaillants Garde-côtes, des souvenir atroces. L’état de ces épaves témoignent de l’ampleur des drames qui se déroulent souvent dans cette zone et de la cruauté de ce trafic de migrants qui reste, à ce jour, sans solution.
Nous continuons notre route à destination des Sept Frères pour essayer ensuite d’atteindre les limites de la rive sud de Bab-El-Mendeb et contempler de plus près l’intensité du trafic maritime à destination et en provenance du Canal de Suez. Mais malheureusement, la visibilité était quasi nulle et nous n’avions pas eu la chance de fructifier notre observation. Toutes nos tentatives furent veines.
Nous voilà donc sur la voie du retour et la fin d’une belle aventure qui restera longtemps dans ma mémoire. Sans pour autant, oublier le travail pénible et sans répits que mènent nos Garde-côtes pour assurer la surveillance de notre espace maritime et consolider sa sécurité dans l’intérêt du développement économique et social de la République de Djibouti.
Ces hommes veillent nuit et jour pour notre bien être à tous. Malgré l’apparence idyllique de leur cadre de travail, malgré la beauté de la mer et la joie de vivre qu’elle déclenche souvent, leur quotidien reste pénible. Je salue le courage et cette volonté de fer qui les animent. Je me plie devant leur solidité psychique et leur valeur morale. Je reste respectueux de leur conscience professionnelle et de leur dévouement. Et je resterais à jamais fier de leur patriotisme et de leur goût du sacrifice. Garde-côtes, vous êtes l’exemplarité même et vous méritez toutes les éloges du monde. Alors, gardez le cap et que Dieu vous garde !