La conférence de réconciliation somalienne  d’Arta qui fut  initiée  par le Président de la République M.Ismail Omar Guelleh en l’an 2000 est gravée dans toutes les mémoires. Un évènement historique qui avait mobilisé tous les djiboutiens pour  que nos frères somaliens puissent reconstruire leur Etat et revenir dans les concert des Nations. Chacun avait contribué dans la mesure de ses moyens pour la réussite de  cette noble entreprise Un livre intitulé « Saadaasshu wa Guul , mémoires de la conférence d’Arta » et écrit par le docteur Nimaan Abdillahi Kaourah revient sur cette conférence qui avait  jeté les jalons de la renaissance somalienne. Nous vous proposons un premier extrait de cet ouvrage.

Les paroles du Président dans son discours aux Nations-Unis, par la grâce de Dieu et malgré la situation économique difficile, pénétrèrent dans les cœurs des Djiboutiens et Djiboutiennes.

« Ummada reer Jabuuti waxay guntiga dhiisha iska dhigtay, baaqa (UN-ka) dabadii inay isu diyaariso garabgal, dhiirigalin iyo waxala wixi ay itaal lahaayeen inay iskugu keenaan. Maxa yeelay waxay aaminsan yihiin inay waajibaad gudanayaan, oo ummada soomaaliyeed dhibatooyinka markii ay reer jabuuti ku jireen, sidii ay iyaguba isku garab taageen inay isku garab taagaan ayay noo muujiyeen iyaguna. »

Traduction en français

« Le peuple djiboutien s’est fortement mobilisé après mon discours (à l’ONU), pour vous soutenir, vous encourager et vous offrir tout ce dont il dispose. Parce qu’il considère que c’est un devoir pour lui de soutenir et d’aider le peuple frère somalien qui lorsque les Djiboutiens étaient dans les difficultés les avaient fortement et fièrement épaulé. »

Le peuple djiboutien d’Obock à Damerjog en passant par Ali-Sabieh se sentait concerné et leurs cœurs vibraient pour la réussite de cette réconciliation. Comme le Ministre Ali Abdi Farah l’a déclaré :  

« Chaque jour arrivait des délégations venues de la campagne avec des chèvres, moutons, chameaux, etc.».  

Certains amenaient des tiges de brosses à dents. Les commerçants et hommes d’affaires amenaient de la farine, du sucre, de l’huile, et d’autres denrées. Des nomades étaient venus du Nord de Obock avec des chèvres maigres, car ils subissaient une grande sécheresse. Des pécheurs avaient livré des grandes quantités de poissons. Toute la communauté djiboutienne, les afars, les Somaliens, les arabes s’était levée comme un seul homme. C’était du jamais vu. Aucun discours ne peut pénétrer dans les cœurs de toutes ces personnes à ce point. Malgré les difficultés qu’ils affrontaient les gens avaient la certitude, la conscience d’œuvrer pour la justice, pour le bien, pour Dieu.

Un sentiment religieux les animait. Je les ai vus de mes propres yeux et tout le monde se rendait compte de cet élan impressionnant, de cette fraternité évidente et cet amour providentiel. Des nomades djiboutiens, fatigués par plusieurs jours de marche, épuisés par une dure sécheresse, arrivaient à Arta, les lèvres gercées par la chaleur et ramenaient ce qu’ils pouvaient, une dizaine de maigres chèvres ou moutons. Sur leurs visages se lisait, malgré leur fatigue, la satisfaction d’avoir contribué à ce processus de réconciliation de la nation sœur et musulmane de la Somalie.  Il faut souligner la participation considérable de l’UNFD (Union Nationale des Femmes Djiboutiennes) conduite par la première dame KadraMohamoudHaid. La présidente de l’UNFD participait personnellement à tous les grands rendez-vous de la conférence de réconciliation somalienne. L’UNFD livrait de grande quantité d’aliments en tout genre aux somaliens (lait, thé, pâtes, huile, sucre, etc.). Également un service d’entretien des domiciles alloués aux somaliens était organisé. Des jeunes filles sans emploi de la ville d’Arta assuraient ce service moyennant quelques subventions.

Il est important de signaler aussi le sursaut de solidarité des habitants d’Arta. La grande majorité des domiciles avaient été libérés pour accueillir les représentants somaliens. Mobiliers et accessoires compris. La plupart avaient remis les clés de leurs domiciles, entièrement équipés, aux responsables djiboutiens chargés de recenser les logements disponibles. Et tout ceci sans aucune contrepartie. Uniquement une assurance de l’Etat que les éventuels dégâts ou détériorations seraient pris en charge par le budget national. Vers le mois de juin, grâce aux vacances scolaires, les écoles et collèges furent réquisitionnés pour accueillir les délégués somaliens qui affluaient de plus en plus. La commission logistique fournissait des matelas et autres accessoires.

Les habitants d’Arta qui n’avaient pas grand-chose à fournir offraient leurs cœurs et leurs services aux délégués somaliens. Comme le souligne le notable Darar Mead de la ville d’Arta :

« Tout ceci témoigne de notre degré de fraternité pour le peuple somalien. Il y avait aussi un sentiment de dette à rembourser, car sans la Somalie nous, djiboutiens, n’aurions jamais accéder à l’indépendance nationale. »

Certains habitants d’Arta leur fournissaient du thé, d’autres s’improvisaient coiffeurs et rasaient les Somaliens qui le souhaitaient. Arta était devenu une ville somalienne qui battait au rythme de l’avancée du processus de paix. Ceux qui n’avaient aucun service à rendre offraient leurs appuis et encouragements.

Je me rappelle de ce groupe de mères, vendeuses de khat, qui se donnaient rendez-vous pour rendre visite chaque jour à un groupe de délégués somaliens.

– Hooyo iska warama (Comment allez-vous ?)

– Miyaad heshiiseen ? (Vous êtes-vous réconciliés ?)

– Hooyo, iskaheshiiya. Nabada ubadkiina u baahaniyo xaasaskiina. (Réconciliez-vous s’il vous plait. Vos enfants et vos épouses ont besoin de paix)

– Waan idiin duceyneynaa hooyo. Eebee burcad ha

iskumariyo quluubtiina. (Nous prions pour vous. Que Dieu rapproche vos cœurs)

Ces pourparlers de sensibilisations et d’encouragement étaient sur toutes les lèvres, à chaque coin de rue. Lorsque les délégués somaliens faisaient des achats dans une boutique, des paroles similaires étaient entendus :

– Miyaad heshiiseen ? (Vous êtes-vous réconciliés ?)

– Iskaheshiiya. Walaalo ayaan nahey. (Réconciliez-vous s’il vous plait. Nous sommes des frères.)

Dans les transports, taxis ou bus, la même conversation revenait toujours et toujours :

– Miyaad heshiiseen ? (Vous êtes-vous réconciliés ?)

– Iskaheshiiya. Dagaalka wiil kuma dhashee wu use ku dhintaa. (Réconciliez-vous. Les conflits ne font pas naitre des enfants, mais les font disparaître.)

Là où je fus estomaqué c’est lorsque des bandes de gamins jouant aux billes dans la rue arrêtaient leurs parties à chaque passage de délégués somaliens et posaient les mêmes questions :

– Aabo miyaad heshiiseen ? (Pères, vous êtes-vous réconciliés?)

– Iskaheshiiya dee aabo. (Réconciliez-vous papa)

À chaque instant et à chaque coin de rue, c’était toujours pareil. La paix résonnait partout. Même les quelques fous que j’avais croisés là-bas s’y mettaient aussi. C’était à la limite si les rochers et les arbustes ne chantonnaient pas «Paix, Paix, Paix. Réconciliation »

L’accueil des délégués somaliens par la population d’Arta était impressionnant. Toute la ville était traversée par une fièvre d’enthousiasme et de fraternité indescriptible. C’était le destin d’Arta. Dieu avait décidé cela. Cette ville djiboutienne allait être dans les cœurs de tous les Somaliens où qu’ils soient. Arta était devenue une sorte de pommade pour adoucir, calmer et réparer les blessures et douleurs que les Somaliens avaient traversées depuis très longtemps. Sans aucun doute, Arta sera synonyme de fraternité, de bravoure, d’intelligence et d’héroïsme pour des centaines d’années. D’ailleurs certains jeunes de Arta qui ont migré en Amérique ou en Europe m’ont parlé il y a de cela quelques années, du respect et de l’amour que tous les Somaliens leur témoignaient lorsque ces derniers apprenaient leur provenance. Ce n’était pas étonnant. Je pense plutôt que les Somaliens viendront en masse et en pèlerinage à Arta dans le futur afin de revivre ces moments héroïques et historiques où leur pays avait été ressuscité par leur petit frère Djibouti et Dieu tout puissant.

À chaque arrivée d’un bus transportant de nouveaux participants somaliens, les habitants d’Arta étaient présents et les accueillaient vêtus de tenus d’apparat, chantant et dansant pour leur peuple frère. Je me rappelle de l’enthousiasme qui se dégageait de leur visage.

Ces moments magiques de grande fraternité avaient forgé des sentiments de reconnaissance éternelle chez les Somaliens venus d’un pays en guerre où les balles sifflaient partout. Comme le souligne très justement le notable d’Arta Ali Wais Ajab :

« Ce qui était extraordinaire, c’est que beaucoup de guerres s’étaient produites entre ces gens. Nous étions à leurs côtés leur disant que ce qui s’était passé ne reviendra plus et que l’on attend d’eux qu’ils construisent un Etat somalien pour que la souffrance et les crimes s’arrêtent.»

Cet accueil des habitants d’Arta pour leurs frères dessinait un sourire sur leurs lèvres. Comme me le confiera un jour un chef de clan croisé dans un café : « Je viens de parcourir un kilomètre à pied de mon domicile à ici (la cafeteria) et je n’ai jamais marché une telle distance en paix depuis dix ans. Vraiment j’ai les larmes aux yeux. Que c’est beau et agréable la paix. »

Les écoliers, joliment vêtus de tenues traditionnelles, accompagnés de leurs enseignants et responsables se rendaient devant les résidences des Somaliens et chantaient.  

Parmi ces paroles celles qui m’ont le plus marqués étaient:

« Ardeydii cartaadiyo

Ubaxiihadaannahey

Waxaan ku istareexnaa

Iskui mashadiine

Nabadoogaada

Nabadoogaada

AbaheenIsmaaciil

Ereyadawuxuuyidhi

Uurxumadu ma fiicnee

Nabadoogaada

Nabadoogaada »

« Les écoliers d’Arta

Si nous sommes les fleurs

Nous sommes ravis

De votre rassemblement

Sauvegardez la paix

Sauvegardez la paix

Notre père Ismaïl

Dans ses mots avait dit

La rancune n’est pas bonne

Sauvegardez la paix

Sauvegardez la paix »