Ahmed Mouskoulta Daoud plus connu sous l’appellation affectueuse de ‘’Nasroyta muskulta’’ est né le 3 décembre 1986 à Randa.Après ses études primaires entre les écoles primaires de Alhourya et de Randa, il a fréquenté le collège puis le lycée de Tadjourah jusqu’en 2007, année où il a décroché son BAC avec brio. Après ses études universitaires en Lettres Modernes, Ahmed Mouskoulta est devenu professeur de Français au collège de Hodan 1. Le vent du Ghoubet est son premier recueil de poèmes.

Du côté de l’amour et de la tradition

Formé d’une cinquantaine de poèmes, ce recueil se structure en deux parties inégales. Le premier « Amour » est portée par trente poèmes. La seconde composée de vingt autres chante à la fois l’éloge de la tradition et de la femme. Ce premier recueil du jeune Mouskoulta, tranche par son originalité et son ton sur un ensemble de poèmes au lyrisme contenu, aux mots épurés et ciselés, dont l’unité profonde reste un discours sur le sentiment amoureux et la femme.

L’originalité de ce recueil réside aussi dans l’engagement et la liberté du poète qui navigue entre hier et aujourd’hui, entre éloge et clairvoyance, entre mémoire et entaille du moment présent, entre le françaiset sa langue maternelle- l’afar- (10 poèmes portent des titres dans cette langue) comme pour mieux montrer son ancrage dans ses racines, restant ouvert sur le monde,porté par cette langue française dont il possède une belle maitrise.

Ce recueil est avant tout le souffle venu du Mont-Goda, massif montagneux qui domine le Golfe de Tadjourah du haut de sa fraicheur et des vallées jadis verdoyantes où coule encore le miel de la poésie. Il est aussi le chant d’un enfant de Djibouti qui navigue entre nostalgie de ses traditions nomades (d’une vie pastorale encorevivace) et évocation d’un présent qui se reflète encore dans les modèles sociaux contraignants, ouverts pourtant sur le monde actuel,d’ici et d’ailleurs.

Mais plus que cela nous avons affaire à une poésie d’amour qui évoque la mémoire collective avec une authentique démarche poétique. Ici, la musique des mots est aussi importante que leur sens. L’élan des mots projetés ou lancés sur la page blanche s’inspire aussi bien de la tradition poétique Afar que d’une poésie qui s’entretisse dans les méandres du monde contemporain que l’auteur intègre sans restriction et avec bonheur.

Lorsque le vent du Ghoubet se lève, il soulève et s’étale sur toute l’étendue et dans la densité d’un paysage d’un monde autre. Il vogue dans les silences âpres et mystérieux de la nuit qui laisse place à un jour palpitant et nu comme un cœur amoureux.Il évoque aussi le passage du temps, son renouvèlement qu’il intègre à sa façon. Un jour qui suivra,puis un autre jour…ainsi coule la vie. Ce qu’il exprime dans ce vers du poème « J’arrive » :

« Vois-tu ? Dans la vie, rien n’est jamais fini

Et donnons à l’avenir son importance infinie »

Le poète du Mont-Goda coupe littéralement les amarres de son bateau. Il se dresse de tout son verbe sur le fronton de la coque en bois, pour se lancer vers les territoires certes déjà explorés par beaucoup de ses pairs, mais combien envoûtants, florissants et exaltants du sentiment amoureux.

La grande voile que le poète Mouskoulta accroche à son livre nous transporte vers des « ilots innombrables» de l’amour, voguant sur des eaux quelques fois tranquilles, mais souvent tumultueuses. Ses textes (souvent courts) en mouvement de l’amour, scandent ses chants-poèmes, tracent des calligraphies somptueuses et des mots ciselés sur des terres ocre et des paysages indomptables du désir ou du sentiment amoureux.

Les voix multiples de ce Vent du Ghoubet nous labourent sans relâches, pressées par les doutes, la trahison de l’Être aimé, la jalousie, l’échec, l’absence, le refus, les lamentations, l’abandon de soi, sans faire taire les exigences d’un corps amoureux brûlant de désir, dont l’unité se dissocie littéralement parce que prise dans les flammes somptueuses mais violentes de l’Amour.

 « Ce qu’un enterré ne regagne sa demeureEt que l’oued écoulé ne revient en arrière »

(Poème Brûlerie)

Entre clairvoyance et fascination, entre doute et espoir, entre clarté et brouillard, entre trahison et déception les poèmes de Mouskoulta charrient comme un oued en cru ou assis dans l’absence des orages, toute une palette de sentiments amoureux.  Et souvent dans une fulgurance bien à lui, le poète se lève, comme un chanteur du « Gad » (le chant en Afar), il projette dès son poème l’ « Amour » qui ouvre son recueil :

« Nous partageons le même cœur

C’est à deux que nous formons âme et corps »

Dans ce recueil où l’auteur fait aussi l’éloge de ses traditions, la femme apparaît comme une figure centrale chantée de tout son « corps » sublimé dans toute sa splendeur ; ses talents évoqués dans toutes les sphères pour qu’elle trace enfin sa route hors de certains carcans, qu’elle brise l’enclos des certitudes qui l’entoure. Sans rien renier de ses traditions, le poète dans ce recueil, chante son « hymne à la femme »,taille sa route en empruntant « ses chemins amoureux » dans un style propre à lui et qui s’étale de tout son éclat dans ces vers :

« Mélange de grâce et d’harmonie qui riment

Je te donne forme sous la caresse

de ma plume

Et l’on te découvre sous mes verbes

sans doses

Etl’ontedevinemystérieusement

Vêtue enrose»

(Poème, MabelleII)

Une voix singulière, celle de Mouskoulta, avec ce premier recueil somptueux, vient s’inscrire dans celles des talentueux poètes djiboutiens, qui s’enracinent durablement –à notre grand bonheur- dans cette jeune littérature d’expression française.

Chehem WATTA

Auteur-poète