Par Moustapha Mohamed Mahmoud

Ministre de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle

Grâce au développement de l’arabe et de l’anglais, Djibouti est sorti d’un isolement linguistique hérité d’un siècle de colonisation française. Un rééquibrage qui lui permet d’être plus en phase avec un monde globalisé.

Îlot francophone entouré de pays anglophones et arabophones, Djibouti a vécu son isolement linguistique comme un handicap durant toute la période coloniale. Aussi, dès son indépendance (1977), la jeune République, devenue membre de la Ligue arabe et de l’Union africaine, a mis le curseur sur le développement de l’arabe et de l’anglais. Pour s’ouvrir à ses voisins, mais aussi pour affirmer son appartenance à l’espace arabo-africain.

En 1978, l’enseignement de l’arabe a été introduit dans le système éducatif. Objectif : réhabiliter une identité nationale délaissée par un siècle de colonisation et mettre fin à un monolinguisme exclusif. Élevée en 1992 au rang de langue officielle au même titre que le français, l’arabe a connu depuis une évolution substantielle, avec, entre autres, l’introduction de son enseignement et de l’éducation islamique dès les premières années du primaire. Le nombre croissant de Djiboutiens diplômés des universités des pays de la Ligue arabe démontre le succès de cette politique.

Parfaits trilingues. Djibouti a mis fin au modèle élitiste hérité de l’administration coloniale en rendant l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et a opéré une refonte des programmes, pour qu’ils soient en phase avec l’environnement et les valeurs socioculturelles des élèves. La révision des curricula de l’enseignement fondamental engagée par mon département en 2017-2018 marque un tournant décisif dans l’histoire de notre système éducatif et permet de répondre aux objectifs mondiaux en matière d’éducation.

De nouvelles dimensions favorisant la citoyenneté mondiale ont été introduites (comme les compétences numériques) et l’accent a été mis sur le renforcement des langues internationales. Ainsi, les jeunes Djiboutiens évoluant déjà dans un environnement plurilingue sont formés pour être de parfait trilingues maîtrisant le français, l’arabe et l’anglais, désormais généralisé dès la 3e année, puis progressivement renforcé, en cohérence avec les niveaux du Cadre européen de référence des langues.

Nouvelles opportunités. Désenclavé linguistiquement, le pays échange aujourd’hui dans un espace arabophone de 800 millions de consommateurs, ce qui lui confère des opportunités politiques, économiques et culturelles certaines. En investissant dans ce trilinguisme équilibré et inclusif, Djibouti s’inscrit bien dans cette mondialisation. Comme le rappelait le président Ismaïl Omar Guelleh, « nous devons nous adapter, anticiper les changements, pour ne pas pénaliser les futures générations ».

Les choix éducatifs et en matière de formation professionnelle sont en phase avec les besoins d’un marché du travail devenu mondialisé, les orientations géostratégiques du pays et les réformes qui visent à en faire un hub économique et logistique. En étudiant ces trois langues, les Djiboutiens demandeurs d’emplois multiplient leurs chances d’être recrutés, car c’est sur leurs compétences linguistiques que, à profil égal, les candidats sont départagés.

Mais derrière ces aspects se cachent une philosophie, une histoire et une culture. Si le trilinguisme est jugé nécessaire, socialement et économiquement, il ne doit ni faire oublier l’importance de la maîtrise des langues nationales ni être facteur d’acculturation. En effet, de récentes études menées dans plusieurs pays africains ont démontré que l’introduction des langues nationales à l’école primaire renforce la qualité des apprentissages et le taux de réussite. Mieux : les langues nationales sont une source de motivation pour les élèves, elles favorisent une scolarité plus longue et constituent un puissant facteur de construction identitaire.

Source : Jeune Afrique