« A DJIBOUTI, LA PAUVRETE N’EST PAS UNE FATALITé…NOUS EN VIENDRONS à BOUT » Mouna Osman Aden, ministre des Affaires sociales et des Solidarités
Il y a à peine un mois, l’Assemblée nationale a adopté le même jour deux projets de loi : une loi portant promulgation de la Stratégie Nationale de Protection Sociale 2018-2022 (SNPS) et une autre loi portant institution et organisation de l’économie sociale et solidaire (ESS) à Djibouti.
A première vue, il semble n’y avoir aucune convergence entre ces deux textes législatifs présentés par le ministère des Affaires sociales et des Solidarités. Pourtant, une relation organique les unit tant la SNPS trouve dans la seconde loi un champ de déploiement important à l’employabilité des jeunes et des femmes et à la création d’activités génératrices de sources de revenus, objectifs majeurs, s’il en est, de cette stratégie.
Puisant toutes les deux leur philosophie et leur essence dans « la Vision 2035 » du Président de la République,
M. Ismaïl Omar Guelleh, elles sont appelées à s’inscrire dans la durée, à impacter la vie quotidienne de nos compatriotes les plus fragiles socialement et à marquer leur avenir. A travers ces deux lois, nous démontrons encore une fois que si notre développement est tributaire d’une forte croissance économique, il n’en possède pas moins un visage humain.
Car, au fond, que recherchons-nous à travers ces deux lois sinon offrir la protection sociale la plus large à notre population et rendre possible, pour la frange la plus vulnérable parmi elle, l’exercice d’activités génératrices de revenus et fortement inclusives.
Les deux projets de loi sont proposés de manière concomitante car ils résument ensemble notre orientation pour une sortie accélérée de la pauvreté à travers la promotion des droits humains élémentaires, le développement de l’autonomie et le renforcement du capital humain.
Promouvoir les droits humains essentiels. En phase avec les objectifs de développement durable(ODD) des Nations Unies, la Stratégie Nationale de Protection Sociale n’en est pas moins porteuse de quatre priorités stratégiques qui bénéficient de l’approbation unanime des intervenants du champ social. Il s’agit de la garantie de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, de la garantie d’un revenu pour chaque enfant en situation d’extrême pauvreté, de la garantie d’un revenu pour les personnes âgées sans soutien familial et les personnes handicapées sans ressources, et de la garantie d’un revenu pour les salariés victimes d’accidents de la vie sources d’interruption provisoire ou définitive du salaire pouvant les faire basculer dans la pauvreté.
Ces garanties forment désormais les piliers du « Socle National de Protection Sociale »dont la responsabilité de la mise en œuvre, en totalité ou en partie, revient à l’Etat en premier lieu, selon les moyens disponibles et le rythme de développement du pays.
En attendant la réalisation des études de budgétisation sociale nécessaires au financement de ces droits, avec l’appui de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), nous avons choisi d’anticiper la cadence en mettant à contribution le Programme National Solidarité Famille (PNSF). Ce programme de transfert monétaire bénéficie déjà à plus de 12.000 ménages sur une cible de 16 000 ménages d’ici 2021.
Dans ce contexte, en institutionnalisant la protection sociale, la loi lui apporte une force législative qui lui garantit l’appropriation nationale nécessaire, la durabilité et le financement pérenne.
En outre, la loi apporte pour la première fois à Djibouti un cadre de protection sociale qui couvre le cycle de la vie dans son ensemble puisque ses cibles touchent les mères enceintes et allaitantes, les enfants, les travailleurs actifs, les personnes handicapées et les personnes âgées. Un autre apport novateur de la loi est qu’il est devenu indispensable en politique sociale de raisonner désormais en termes d’objectifs, de résultats et d’impacts et non plus seulement de cibles et de moyens.
Des indicateurs de mesure de ces paramètres sont maintenant élaborés qui rendent possible l’évaluation des avancées réalisées qualitativement et quantitativement.
Cependant, nous ne saurions trop insister sur l’importance de la mise en commun des moyens de l’Etat pour réussir ce tournant historique de notre politique sociale. Tout le monde en convient, en effet, tant le caractère transversal de la protection sociale que la loi qui la porte pour les années à venir nous font obligation de créer et de consolider les synergies entre nos différentes institutions et instances.
Cette insistance sur la nécessaire coordination des efforts de tous est le produit de notre volonté de promouvoir des droits humains en faveur de populations défavorisées et, ainsi, de « ne laisser personne de côté».
Je me dois de rappeler ici que ce choix hautement politique est en droite ligne avec les ODD et que nous sommes fiers de cette concordance entre notre trajectoire sociale nationale et celle de la communauté internationale.
Mais force est de reconnaître que si la mise en œuvre de la SNPS s’est adossée à cette approche en priorisant quatre garanties ou droits, elle n’en demeure pas moins tributaire, pour vaincre la pauvreté, de l’existence d’une ceinture de programmes parmi lesquels figurent ceux développés grâce à l’économie sociale et solidaire (ESS).
La reconnaissance politique d’un choix stratégique. Reconnue comme troisième pilier de l’économie à côté du secteur public et du secteur privé, l’ESS est désormais érigée au rang d’un choix stratégique de l’État. Cette reconnaissance politique, affirmée par la promulgation de la récente loi, constitue une réponse logique à des difficultés économiques et sociales difficiles à maîtriser notamment dans les régions de l’intérieur. Dans ces conditions, et grâce à ce nouveau cadre juridique, les habitants de ces régions seront regroupés au sein de coopératives, mutuelles, fondations et associations afin de répondre collectivement à leurs besoins.
L’ESS constitue ainsi une autre façon d’entreprendre et une autre forme de satisfaire la demande sociale. Au lieu de revendiquer l’emploi dans le secteur public et des investissements privés dans les régions de l’intérieur, les habitants prennent la responsabilité de créer leur propre richesse là où ils résident à travers des entités d’utilité sociale librement constituées.
Ce faisant, la nouvelle loi sur l’ESS marque le passage d’une politique d’assistanat vers une politique de participation et de responsabilisation citoyennes. Et c’est justement à ce niveau que l’ESS rejoint la Stratégie Nationale de Protection Sociale en tant que cadre idoine offrant des opportunités pour la création d’activités génératrices de revenus et l’autonomisation des ménages vivant en situation de pauvreté.
La préservation et la consolidation du capital humain. Pour atteindre pleinement ses objectifs, la Stratégie Nationale de Protection Sociale entend s’appuyer, également, sur des projets visant la résilience des populations exposées à la vulnérabilité et des projets de consolidation du potentiel humain dont disposent ces mêmes populations.
L’appui à la résilience se trouve souvent concrétisé par les apports alimentaires et nutritionnels et d’autres programmes destinés à aider les populations victimes de chocs ou de crises naturelles à y faire face et à préserver, dans ces circonstances, le capital dont elles disposent afin qu’il ne soit pas sacrifié sur l’autel de la survie.
Différents filets sociaux continuent d’être déployés à ce jour et de rappeler ainsi que l’action nécessaire à court terme ne doit pas être occultée dans une stratégie de changement social forcément construite sur le moyen et long termes.
Dans l’esprit de la SNPS 2018-2022, la protection médicale universelle, l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, l’apprentissage des métiers pour les adolescents âgés de 12 à 17 ans et les formations professionnelles qualifiantes pour l’emploi participent de cet élan développé par l’Etat pour préserver le capital humain et faciliter sa pleine insertion socio-économique.
Bien entendu, notre souci de promouvoir l’employabilité des jeunes n’a d’égal que notre souci à tous d’ouvrir devant eux les portes de l’espoir et de libérer leur génie créateur. Car, l’économie sociale et solidaire, c’est aussi un cadre propice à l’innovation et à l’impulsion des solidarités entre les générations.
Les ambitions économiques de Djibouti sont connues et ses résultats impressionnants. Ne serait-ce qu’au niveau de l’environnement des affaires, notre pays a gagné 55 places, entre 2017 et 2018, selon le rapport annuel « Doing Business » de la Banque Mondiale.
Dans un tel environnement, le développement de l’économie sociale et solidaire devrait profiter aux jeunes, aux femmes et aux régions enclavées et éloignées des centres de décision économique. Il comblerait, sur cette base, l’écart significatif du taux de pauvreté entre les zones rurales et urbaines.
Une rénovation, actuellement en cours, de la stratégie nationale de microfinance viendra épauler la création des entités de l’économie sociale et solidaire en mettant à la disposition des petits entrepreneurs des crédits d’investissement mieux en phase avec les conditions de création et de fonctionnement des petites et très petites entreprises socialement responsables.
Eriger le travail et l’innovation en valeurs essentielles. Face à ses modestes ressources et en raison d’une nature peu clémente, Djibouti n’a d’autre choix que celui du travail et de l’innovation.
D’ores et déjà, le socle national de protection sociale qui constitue l’épine dorsale de la SNPS représente en soi une innovation dans l’appréhension de la problématique de la pauvreté. Pour éviter qu’il ne soit prétexte à perpétuer l’assistance de l’Etat, nous avons entouré ses quatre garanties d’un système accélérateur de la sortie de la pauvreté qui repose sur trois mesures phares, à savoir :
▪ Des opportunités d’emploi et/ou de création de sources de revenus, qui constituent des programmes catalyseurs d’autonomisation devant amener les bénéficiaires à compter sur eux-mêmes pour s’assurer des sources de revenus durables et faciliter leur propre inclusion socio-économique, après avoir été épaulés un moment par l’Etat.
▪ Des mesures de conditionnalité élaborées en fonction du potentiel dont dispose chaque ménage pour vaincre la pauvreté.
▪ Un ciblage de plus en plus maitrisé pour une juste et équitable allocation des aides de l’Etat.
En agissant de la sorte, le ministère des Affaires sociales et des Solidarités imprime à la lutte contre la pauvreté un nouveau paradigme faisant la part belle au travail, à l’innovation et à la solidarité, trois valeurs qui nous incitent à croire que la pauvreté n’est pas une fatalité et que nous disposons désormais de l’approche et des moyens pour en venir à bout.
Du reste, ce n’est pas un hasard que Djibouti soit admise pour faire partie de l’Initiative « USP2030 », co-présidée par l’OIT et la Banque Mondiale, et représentant le cercle relativement restreint des pays qui œuvrent pour une protection sociale universelle de leurs populations.