Après la Lombardie, région de l’épicentre de l’épidémie du covid-19, cap sur Naple, une autre région de l’Italie où il y a moins de décès dans le pays. La comparaison était nécessaire. Spécialisé en santé publique, plus précisément en épidémiologie et médecine préventive, Dr Abdoulkader AliAdou est le mieux placé, notamment comme beaucoup d’autres docteurs djiboutiens, pour nous en dire un peu plus sur les propagations du virus d’une région à l’autre. D’une ville à une autre. Dernièrement, dans notre précédente entrevue que nous avons réalisé avec un docteur djiboutien de la diaspora, nous avons évoqué qu’une « personne normale peut contaminer deux personnes au minimum tandis qu’un soignant sans équipement de protection individuel peut contaminer dix personnes au minimum ». Aujourd’hui, malheureusement ce fut le cas avec l’hôpital Al-Rahma.
Mais dans cette présente interview, avec le docteur Abdoulkader Ali Adou, nous essayerons de comprendre au mieux avec lui pourquoi la région de Naple diffère-t-elle à celle de la Lombardie. Pourquoi il y a moins de décès et des personnes infectées à Naple ? Interview exclusive avec un docteur djiboutien de la diaspora, installé depuis 11 ans dans la région de Naple, en Italie.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, présentez-vous à nos lecteurs ; s’il vous plaît !
Je m’appelle Abdoulkader Ali Adou et j’ai 31 ans. J’ai finalisé mon diplôme en médecine et chirurgie il y a quelques années de cela, et en ce moment je suis en 3ème année d’une spécialisation de 4 ans. Je poursuis un cursus de spécialisation en santé publique, plus spécifiquement en Épidémiologie et Médecine préventive, dans la région de Naples en Italie.
Je déborde d’énergie et mon objectif principal est de me former le plus possible pour pouvoir un jour retourner dans mon pays et servir la nation en participant à la réponse aux besoins de santé de la population djiboutienne. Aux termes de mes études, je serais très enthousiaste de rentrer au bercail et de devenir un acteur principal du système de santé de notre pays, Djibouti.
En quoi consiste la spécialisation que vous êtes en train de poursuivre à l’Université des Etudes de Naples ?
C’est une spécialisation médicale vaste qui combine les connaissances de la médecine clinique et les sciences de la santé publique, notamment en épidémiologie, en biostatistique et, entre autres, d’autres thématiques. Notamment la définition des besoins de santé d’une population ; l’identification, la surveillance et le contrôle de l’évolution des problèmes de santé au sein de la population en utilisant les outils méthodologiques fournis par l’épidémiologie et la biostatistique, développer des stratégies d’intervention efficaces en se basant sur le principe de “Evidence based Public health”.
Bien sûr, il nous est demandé, en même temps, de planifier, d’évoluer les programmes de Santé et, le cas échéant, de proposer d’autres stratégies mises en œuvre pour répondre aux besoins et à des situations de risque. Donc, nous planifions et évaluons des études descriptives, expérimentales et interventionnelles et ainsi, contribuons à l’avancement des connaissances en santé communautaire par l’enseignement et la recherche.
C’est tout un travail de recherche en matière de Santé publique que vous faites, pour résumer…
C’est exact. Grosso-modo, nous formulons tout un arsenal d’une politique publique et au bilan de son incidence sur la santé. Le but étant de communiquer efficacement en agissant comme consultant auprès du grand public, du réseau des services de santé et des services sociaux et des intervenants de disciplines différentes.
Dans quelle région de l’Italie vous trouvez-vous en ce moment ? Comment affrontez-vous la pandémie du virus ? Quels sont les stratégies et les mesures adoptés pour endiguer la pandémie ?
Je me trouve en Campania, pour être précis, dans une région du sud de l’Italie. L’épidémie ne nous a pas sévèrement touchés. Dans le dernier recensement de lundi dernier, le 6/04/2020, on comptait 3058 cas confirmés de Covid-19 et 204 morts par rapport aux régions du nord de l’Italie, en particulier la Lombardia qui compte 51 534 cas confirmés et 9202 morts.
Le fait que l’épidémie a commencé au Nord nous a donné le temps pour nous préparer. Les stratégies et les mesures adoptés pour endiguer la propagation du virus Covid-19 peuvent se résumer dans 4 grandes lignes. Le premier point est la mise en quarantaine de tout le pays et la distanciation sociale pour réduire le contact entre un éventuel citoyen infecté et un autre sain. L’observation rigoureuse des mesures d’hygiène, des mains et l’environnement pour pouvoir bloquer la chaine de transmission.
Le deuxième point est la phase précoce de l’épidémie. Il s’agit de mener une recherche active des contacts des patients infectés et éventuellement identifier un foyer épidémique à sa naissance et l’étouffé aussitôt. Au cas où l’épidémie a changé de caractéristiques épidémiologiques, c’est à dire, qu’une transmission locale est établie, alors parallèlement à la recherche active des contacts, le numéro vert mis à disposition, permet à la population d’appeler s’il présente des symptômes d’infection respiratoire aigüe ou un syndrome pseudo-grippal et aussitôt l’opérateur sanitaire lui enverra, au cas échéant, une unité mobile pour le dépistage.
Troisième point, la préparation des hôpitaux et des procédures de prise en charge pour fournir le meilleur soin aux patients, en particulier aux personnes gravement malades.
Enfin, dernier point, la stratégie pour prévenir et maitriser les foyers épidémiques nosocomiales (c’est à dire la transmission dans les hôpitaux). Cela se fait par la formation du personnel de santé dans prévention et contrôle de l’infection) en l’occurrence le Covid-19. Et, en ce sens, l’organisation minutieuse du travail et de la disponibilité des équipements de protection individuel.
Si nous essayons maintenant de comprendre un peu plus sur ce qui se passe en Italie. Pourquoi le taux de létalité dû à l’épidémique Covid-19 est aussi élevé dans ce pays par rapport à d’autres pays ? Comment explique-t-on une telle concentration des décès dans la seule région de la Lombardie ?
Actuellement, l’Italie est le 3ème pays le plus touché par cette pandémie. Selon les statistiques du vendredi 10 avril, on comptait un total de 18849 décès depuis le début de l’épidémie, dont parmi les victimes il y a 109 médecins en total. Le nombre des personnes recensées est 147 577 cas confirmés de Covid-19 et un taux de létalité le plus élevé au monde, soit 12,5%. Il faut savoir, avant tout, que cela est dû à plusieurs facteurs à savoir les caractéristiques démographiques de la population italienne qui diffèrent des autres pays. En 2019, environ 23% de la population italienne était âgée de 65 ans ou plus et les évidences scientifiques ont montrées que le COVID-19 est plus agressive envers les patients très âgés. La répartition des âges plus avancés en Italie peut expliquer, en partie, avec le taux de létalité élevé par rapport aux autres pays. Pour vous donner une idée, comparant le cas de l’Italie à celui de la Chine.
On voit que le taux de létalité en Italie (7,2%) est nettement supérieur qu’en Chine (2,3%). Lorsque l’on stratifie par tranche d’âges, les taux de létalité entre l’Italie et la Chine semblent très similaires entre 0 à 69 ans, mais les taux sont élevés en Italie chez les patients âgées de 70 ans ou plus, et en particulier dans la tranche de personnes âgées de 80 ans ou plus. La répartition des cas est très différente dans les 2 pays : les personnes âgées (de 70 ans ou plus) représentent 37,6% des cas en Italie et seulement 11,9% en Chine.
En outre, aucune donnée sur les cas chez les personnes âgées de 90 ans ou plus n’a été déclarée en Chine.Si on s’appuie donc sur le rapport de la Mission conjointe OMS-Chine sur la mortalité dû au Covid-19, qui présente des données sur 2 114 décès liés au COVID-19 parmi 55 924 cas confirmés en laboratoire en Chine, on enregistre un taux de létalité chez les patients âgés de 80 ans ou plus qui était similaire au taux d’un échantillon italien (21,9% en Chine contre 20,2% en Italie).
Ainsi, la répartition globale des âges avancés en Italie par rapport à celle de la Chine peut expliquer, en partie, le taux de létalité moyen plus élevé en Italie.Un autre facteur qui peut être pris en compte pour expliquer le taux de mortalité élevé en Italie est sur la base de données de l’identification des décès dû au Covid-19.
Par manque d’un critère clair et universel pour la définition des décès liés au Covid-19, l’Italie a opté en déclarant mort de Covid-19 le décès survenant chez les patients dont le test de dépistage du SRAS-CoV-2 est positif par RT-PCR, indépendamment des maladies préexistantes qui peuvent avoir causé la mort. Le choix de définir le décès par COVID-19 de cette manière peut avoir entraîné une surestimation du taux de mortalité.
Les décès liés au COVID-19 ne sont pas clairement définis dans les rapports internationaux disponibles jusqu’à présent, et les différences dans la définition de ce qui est ou n’est pas un décès lié au COVID-19 pourraient expliquer la variation des taux de létalité dans les différents pays.
Pour mieux comprendre les causes réelles de décès, l’Institut Supérieur de Santé en Italie examine actuellement le dossier médical complet de tous les patients décédés en Italie dont le RT-PCR était positive.
Bien d’autres facteurs ont été pris en considération à savoir, la circulation d’une souche plus agressive du virus (c’est qui a été exclue par l’analyse phylogénétique), stress du système de santé nationale, aux liens intergénérationnels (c’est à dire le fait de vivre plus souvent et longtemps avec leurs parents, qui sont à risque accru d’être infecté) jusqu’aux différences de températures et d’humidité.
Docteur, depuis que l’OMS a déclaré que le Covid-19 est une pandémie, la peur a gagné du terrain et même qu’elle est entrée en phase pandémique, elle aussi. Y a-t-il des prototypes de vaccins disponibles en ce moment ? Y a-t-il des traitements permettant de soigner les personnes déjà malades ?
Jusqu’à présent, il n’existe pas un prototype de vaccin disponible immédiatement. Néanmoins, plusieurs centres de recherche sont assez avancés dans la production d’un vaccin, mais je crains qu’il faille attendre plusieurs mois pour avoir un vaccin efficace et sans danger pour le patient, atteint du Covid-19.
Bien qu’il n’existe pas encore un traitement spécifique anti-Covid-19 qui a été approuvé et qui jouit d’une rigueur scientifique, plusieurs traitements ont cependant démontré une efficacité notable telle que la combinaison entre hydroxychloroquine/azithromycine (Attention chez la femme enceinte. L’hydroxychloroquine a été associée à des toxicités oculaires chez les fœtus, et chez les personnes souffrant d’arythmie cardiaque). Une enquête montre que le traitement par l’hydroxychloroquine est significativement associé à une réduction / disparition de la charge virale chez les patients COVID-19 et son effet est renforcé par l’azithromycine.
Retenez ceci à l’esprit : nous assistons à une confrontation entre l’urgence et la rigueur scientifique. Les gens ont besoin d’espoir mais en même temps il ne faut pas, non plus, leur donner des faux espoirs.
Quand pensez-vous que nous pourrons endiguer le virus et retourner à la vie normale ? Quels sont les prévisions en ce sens ?
“Retourner à la vie normale”, voilà une question qui suscite la curiosité de chacun d’entre nous et dont on aimerait connaître la réponse. Mais les choses sont telles qu’elles sont les modèles de prévisionsqui pouvaient nous venir en aide sont rendu difficiles par le fait qu’il s’agit d’un tout nouveau virus dont on connait très peu des choses sur lui, par l’étendue de la mondialisation et de la connectivité internationale des dégâts qu’il a engendré sur son chemin. Ce pourquoi, il est presque impossible de prévoir la date de fin de cette pandémie. Mais comme pour toute chose, il y aura sûrement, et j’en reste convaincu, avec l’aide d’Allah, une fin à cette tragédie.
Quels messages ou conseils voulez-vous faire passer et quels sont vos intentions une fois rentré au bercail?
Certainement au niveau du ministère de la Santé il y a un protocole qui a été mis en place pour affronter la pandémie en République de Djibouti donc je laisserai les détails de l’intervention au Comité scientifique. Cependant j’insisterais sur le fait de suivre scrupuleusement toutes les indications que le ministère a imposé est primordial.
À savoir le respect de la distanciation social, l’observation des gestes dites barrières. Il est clair que l’acteur principal sur qui compter pour vaincre cette pandémie est un citoyen avisé qui protège son confrère pour se protéger soi-même. Ces suggestions sont les armes principales pour s’en sortir. Le mot d’ordre doit être : Prévention, prévention et encore prévention.
Interview réalisée par MAAS