« Ce qu’il faut saluer aujourd’hui, c’est cette volonté américaine à se réengager en Afrique et c’est une opportunité à laquelle nous devons nous préparer en tant qu’africains »

Parlez-nous d’abord de l’état des relations djibouto- américaines.

Les relations sont excellentes et nos deux pays travaillent inlassablement à les renforcer davantage. Comme vous avez pu lire dans la presse, nous avons eu une session du forum binational à Washington, en juin dernier. Ce forum est une plateforme mise en place par les gouvernements de Djibouti et des Etats-Unis afin de renforcer et redynamiser le partenariat entre les deux pays. Les relations comme vous le savez sont multiformes. Nous avons une coopération bilatérale riche sur le plan économique, culturel et scientifique et bien sur un partenariat stratégique dans le domaine de la sécurité. A titre d’exemple le programme intitulé le ‘’Work Force Development Project’’ entre autres.

La dernière session du forum a accordé une attention prioritaire au partenariat économique et commercial et nous a permis d’identifier des opportunités d’investissements pour les acteurs du secteur privé américain à Djibouti.

Je me permets aussi de souligner que les Etats Unis ont une nouvelle législation bipartisane intitulée ‘’Build Act’’ dont  l’objectif principal est de mobiliser et d’accroître l’engagement du secteur privé américain dans les pays à bas et moyens revenus a travers le ‘’Build Act’’. Les défis en matière d’infrastructures pourraient constituer des opportunités. Cette stratégie est orientée vers le réengagement économique des USA en Afrique, parce que l’Afrique a un besoin immense à combler en matière d’infrastructure et nous accueillons favorablement cette initiative. Et je me permets aussi de souligner par la même occasion la finalisation de l’accord de libre échange au niveau du continent qui permettra à l’Afrique d’accélérer le processus d’intégration régionale tout en boostant le commerce intra africain.

Avec cet accord, les USA pourraient signer un accord non pas avec un seul pays mais avec l’ensemble des signataires de la Zone de Libre Echange Africaine. Cela ouvre des perspectives immenses à l’Afrique en général mais plus particulièrement à notre pays qui est un hub logistique et commercial qui dessert l’Afrique.

Avant de conclure je rappelle aussi l’initiative ‘’Prosper Africa’’ de l’administration Trump dont le but est de renforcer la coopération américano africaine. Les étoiles sont donc alignées pour avoir une présence économique américaine accrue en Afrique.

Et au sein des Nations Unies comment se porte notre diplomatie ?

Notre pays attache une importance particulière au multilatéralisme et nous considérons le rôle des Nations Unies comme crucial. Les Nations Unies vont célébrer bientôt le 75ème anniversaire et comme je l’ai rappelé dans une récente déclaration à l’Assemblée générale j’ai indiqué : ‘’ le système de gouvernance basé sur des normes claires et définies, a constitué un rempart contre le désordre et l’incertitude. Cependant le multilatéralisme tel que nous le connaissons est aujourd’hui en crise et subit des assauts. La littérature critique à l’égard des Nations Unies est principalement axée sur l’insuffisance dans la  mise en œuvre  des décisions émanant des différents organes et le manque de suivi’’.

Ceci dit, Nous intervenons souvent dans les domaines du maintien de la paix et de la sécurité, la promotion des Droits de l’homme, et le développement économique. Nous participons aux débats ouverts de haut niveau au Conseil de Sécurité aussi bien sur les questions thématiques (efficacité des opérations de maintien de la paix, le terrorisme, et la criminalité transnationale organisée, importance du droit international pour le maintien de la paix et de la sécurité…) que pour les situations sécuritaire qui concernent des pays (Somalie, Sud Soudan, Palestine. Enfin, je rappelle que Djibouti est candidate pour un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité pour la période 2021-2022.

Pour ce qui est du Litige frontalier avec l’Erythrée où en est-on ?

Notre pays a toujours été et est ouvert à des négociations directes sur le plan bilatéral ou au recours à la médiation d’une tierce partie. Le cas échéant, l’une des principales options qui nous reste serait éventuellement de soumettre le différend à la Cour internationale de Justice qui aurait l’opportunité de régler le litige sur la base du droit international. Aussi, nous réitérerons au mois d’aout prochain la disposition de notre pays à accepter le règlement définitif  du litige et nous espérons que l’Erythrée démontrera la même volonté à résoudre définitivement ce problème. Djibouti réaffirme qu’il est dans l’intérêt de tous de procéder une fois pour toute à la délimitation et la démarcation des frontières. Car nous cherchons à développer et à promouvoir une intégration régionale réussie. Et en l’absence de délimitation claire et définitive des frontières cela pourrait constituer un obstacle. Pour notre part, nous considérons les frontières  non comme un obstacle mais comme un pont pour arriver à une intégration régionale harmonieuse.

Vous n’êtes pas sans savoir que Djibouti et l’Ethiopie sont un exemple d’intégration. Ne pensez-vous pas que les troubles en Ethiopie peuvent entraver les échanges entre les deux pays ?

Je crois que la détermination est la même en Ethiopie et à Djibouti. L’unique choix qu’ont nos deux pays est celui de réussir.

Concernant le litige entre Djibouti et DP World, comment ce sujet est-il appréhendé outre Atlantique ?

Permettez-moi de vous rappeler que nous sommes d’abord dans notre bon droit. Sinon le différend est de nature commercial. Et comme l’ont rappelé les officiels américains à Djibouti lors de la session du BNF de 2018, les USA ne prennent pas position dans un différend commercial. Aussi, je vous rappelle qu’il ya eu beaucoup de propagande hostile remettant en cause la réputation de Djibouti pour ce qui est de la gestion efficace du Terminal à Conteneur de Doraleh et c’est un haut responsable américain, en l’occurrence le Général Waldhauser qui est passé à Djibouti, a affirmé sans ambages et sans équivoque aucune devant le Congrès que le DCT est très bien géré par les autorités Djiboutiennes, mieux que la gestion de DPW. Voilà une déclaration qui pourrait être considérée comme un soutien même si elle découlait d’un simple constat : celui que Djibouti n’a jamais douté de sa capacité à gérer des ports efficacement. Cette déclaration nous avait fait chaud au cœur puisqu’elle a révélé au monde ce que nous nous savions. Puisque nous avons foi en notre capacité à gérer des ports et nous sommes sincères, nous sommes des travailleurs acharnés qui ne refusent pas la compétition. C’est ce que le général Waldhauser a rappelé et je rappelle ce jour là j’étais devant ma télévision et j’ai suivi le « testimony » en direct.

Vous avez travaillé avec une administration démocrate mais aussi avec une autre républicaine. Lequel des deux est plus ouvert à notre pays mais aussi à l’Afrique ?

D’une manière générale, les Etats-Unis considèrent l’Afrique comme un acteur très important. Ce qu’il faut saluer aujourd’hui, c’est cette volonté américaine à se réengager en Afrique et c’est une opportunité à laquelle nous devons nous préparer en tant qu’africains. 

Ne pensez-vous pas que les Etats-Unis ont pris du retard par rapport à la Chine en Afrique ?

La lecture que nous avons, c’est que l’Afrique a toujours suivi son chemin pour ce qui est de son développement économique. Cela ne s’est pas fait sans difficultés et des défis immenses demeurent certes mais aujourd’hui le monde reconnaît l’immensité des opportunités du continent et de son potentiel économique (marché , ressources naturelles, dividende démographique etc).

Et il y a une conjonction des intérêts des grands partenaires de ce monde et des africains. Ceci dit, le message des africains reste le même  ‘’ Nous voulons nous développer et pour cela nous avons besoin d’infrastructures’’ . C’est ce qui se passe à Djibouti grâce à la volonté et la détermination inébranlable du Président de la république, puisque c’est grâce à nos infrastructures que les partenaires affluent.

Propos recueillis par Arteh Abdourahim