Le drame somalien dure depuis 30 ans. Le pays, qui semble en apparence le plus homogène d’Afrique (peuplé par une seule ethnie partageant la même langue et la même religion), est le théâtre d’une longue et violente guerre civile depuis la chute du régime de Siad Barreh en janvier 1991. La communauté internationale, dont la mobilisation a été assez limitée malgré l’ampleur de la crise, n’a pas pu aider le pays à sortir du chaos. Très tôt, la crise somalienne n’a pas manqué de menacer la stabilité de la région. Si l’Ethiopie et le Kenya ont opté pour une stratégie d’endiguement, Djibouti s’est distinguée par son approche plus active dans la recherche d’une voie de sortie de la crise. Retour sur trente ans d’efforts diplomatiques de Djibouti afin de parvenir à la paix en Somalie.

Quelques mois après la chute du régime de Siad Barreh, Djibouti a accueilli la toute première conférence de réconciliation en juillet 1991 visant à rétablir un nouveau gouvernement en Somalie.

…Les seigneurs de guerre torpillent la première conférence de réconciliation de Djibouti 

A l’issue de cette conférence,  Ali Mahdi Mohamed, homme d’affaires, ancien député, est élu président intérimaire de la Somalie. Malheureusement, il n’est pas accepté par le général Mohamed Farah Aîdid et une guerre fratricide, particulièrement violente, éclate à Mogadiscio et dans le sud  entre les partisans des deux hommes et par la suite entre plusieurs mouvances de type clanique. Dès 1991, l’anarchie s’installe dans tout le pays.

Cette anarchie pousse l’ONU à investir une force d’intervention américaine fin 1992, pour le maintien de la paix. Cette opération « Restaurer l’Espoir » n’a pas pu briser le siège militaire de la Somalie. Bien au contraire, les combats s’intensifient et font des victimes parmi les forces de la paix (24 soldats pakistanais et 18 soldats américains tués en 1993) qui se retirent aussitôt du pays.

Les conférences de paix vont se succéder sans qu’aucune solution à la crise ne soit trouvée. Les conférences de réconciliation qui se sont tenues en Ethiopie (à Addis Abeba en mars 1993 et à Sodere en novembre1996), puis au Yémen (Sana ’a début 1997) et enfin en Egypte (Caire en décembre 1997) vont toutes échouer.

Refusant cette spirale de la violence, la province de Puntland déclare son auto-indépendance en 1998, comme l’avait fait avant elle le Somaliland en «restaurant» son indépendance le 18 mai 1991.

…Le premier gouvernement

somalien depuis 1991 voit le jour à Arta. La Conférence Nationale pour la Paix en Somalie s’est tenue à Arta du 25 Avril au 5 mai 2000. La conférence d’Arta se distingue par une très large participation des différentes composantes de la société somalienne. Son succès est double : D’une part, le premier gouvernement somalien depuis 1991 a pu être formé, le Gouvernement National de Transition présidé par Abdiqasim Salad Hassan.  D’autre part, l’ensemble de la communauté nationale a soutenu ce processus de Djibouti permettant à la Somalie de réoccuper son siège à l’ONU. La conférence d’Arta a posé la première pierre de la restauration de la paix en Somalie. Néanmoins, le gouvernement national de transition va être contesté par un groupe de seigneurs de guerre réunis sous un Conseil de Réconciliation et de Restauration en Somalie (CRRS). L’IGAD va alors lancer une série de réunions de réconciliation qui vont se dérouler au Kenya (à Eldoret en Octobre 2002, Nairobi au mois de Septembre 2003, Nairobi du 9 au 29 Janvier 2004). En 2004, ce processus de paix va aboutir à la création d’un Gouvernement Fédéral de Transition, et à la nomination d’un nouveau Président, le Colonel Abdullahi Yusuf, d’un Premier Ministre Ali Mohamed Guedi et d’un Président du Parlement Sharif Hassan Cheikh Adan. Le gouvernement décide de s’installer à Baidoa en raison de l’insécurité qui règne à Mogadiscio.

Le gouvernement de Abdullahi Yusuf n’a jamais réussi à imposer son autorité sur l’ensemble du pays. En 2006, l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) profite des querelles internes du Gouvernement Fédéral de Transition et des hésitations de la communauté internationale à intervenir, pour s’emparer de la capitale Mogadiscio (le 5 Juin) puis de Kismayo. En réaction, l’Ethiopie intervient en Somalie et chasse  l’UTI de la capitale qui se scinde en deux branches, l’une modérée dirigée par Cheikh Sharif Sheikh Ahmed et l’autre armée, Al shebab, qui entre en résistance. En 2007, le Conseil de Sécurité des Nations Unies autorise enfin l’Union Africaine à envoyer une mission de maintien de la paix en Somalie (AMISOM) qui commence à se déployer à Mogadiscio. Les pays de la région (Ouganda, Burundi, Kenya, Ethiopie et Djibouti) contribuent à cette force.

…L’accord de paix de Djibouti de 2008. L’approche djiboutienne est restée inchangée depuis la conférence d’Arta : les pourparlers doivent être les plus inclusifs possibles. C’est ainsi que les négociations vont connaître une large participation des soutiens du Gouvernement Fédéral de Transition, des partis d’opposition et des représentants de la société civile. Un accord est signé le 9 Juin qui prévoit notamment un élargissement du Parlement qui passe de 275 à 550 membres. Le 30 Janvier 2009, Cheikh Charif Cheikh Ahmed est élu Président du nouveau gouvernement par le Parlement de transition.  Néanmoins, la confusion règne sur le terrain. Les shebabs rejettent cet accord et intensifient leurs attaques. En septembre 2009, le groupe terroriste somalien prête allégeance à Al-Qaïda. Un phénomène de piraterie prend de l’ampleur dès 2008. Le 2 Juin 2008, l’ONU autorise l’usage de la force contre les pirates au large de la Somalie.

L’Union Européenne lance l’opération Atalante afin de lutter contre ce fléau. Les combats contre les shebabs vont se poursuivre jusqu’en 2011 alors que la famine décime la population. C’est finalement AMISOM qui va réussir à les chasser de la capitale et de l’essentiel de leurs bastions.

Les forces Djiboutiennes sécurisent le Secteur 4 qui couvre la région de Hiraan et de Galgaduug.

Le processus politique continue par la mise en place d’un nouveau parlement et d’une nouvelle constitution en Août 2012. Hassan Sheikh Mohamud est élu un mois plus tard Président de la Somalie par les députés désignés par un collège de 135 chefs coutumiers. Il est le premier chef de l’Etat élu à Mogadiscio depuis 1991. Le pouvoir de nuisance des shebabs, qui représentent la principale menace pour la paix, va rester intact. Ils vont lancer des attaques terroristes y compris dans les pays voisins. Le 24 mai 2014, un attentat suicide dans un restaurant fréquenté par des occidentaux à Djibouti fait 1 mort et une vingtaine de blessés.  Le 2 avril 2015, dans l’attaque de l’université de Garissa, au Kenya, 152 personnes sont mortes, dont 142 étudiants. L’attaque la plus meurtrière qu’ait connue Mogadiscio, le 15 octobre 2017, tue plus de 276 personnes et fait plus de 300 blessés. D’octobre à décembre 2016, quelque 14.000 électeurs délégués votent pour élire les nouveaux députés, parmi des candidats généralement choisis à l’avance par consensus et représentant chaque clan ou sous-clan. Le 27 décembre 2016, les 275 députés nouvellement élus prêtent serment. Le 8 février 2017, Mohamed Abdullahi Farmajo est élu président, à l’issue d’un vote des parlementaires placé sous haute sécurité, les autorités craignant une attaque des shebabs. Depuis 2012,  nombreuses ONG musulmanes turques sont présentes en Somalie, et l’envoi de cargaisons de vivres est régulier.

…Les pourparlers historiques entre la Somalie et le Somaliland

Du 14 au 18 juin 2020, Djibouti a accueilli des pourparlers historiques entre la Somalie et le Somaliland. Le président Ismaïl Omar  Guelleh, qui a également invité le président éthiopien Abiy Ahmed, a précisé que ces réunions sont à inscrire dans le cadre du « suivi des efforts de médiation entre les peuples frères ». Ce sont les premiers entretiens officiels entre le président « Farmajo » et le président de la République autoproclamée du Somaliland Moussa Bihi Abdi qui se sont engagés à poursuivre le dialogue. Djibouti et la Somalie entretiennent des relations étroites en raison principalement des liens historiques et culturels forts entre les 2 pays. L’approche diplomatique de Djibouti s’appuie donc sur une connaissance approfondie du dossier somalien.

Les efforts diplomatiques de Djibouti peuvent être inscrits dans un même et long processus de paix soutenu par la communauté internationale. Alors que la République de Somalie vient de fêter ses soixante ans d’indépendance, le pays n’a pas encore retrouvé le chemin de la stabilité. Le bilan des trente ans de conflit est lourd : 500 000 victimes, une économwie et des infrastructures complètement détériorées, et des luttes internes qui se poursuivent.

Abdallah Hersi

Conseiller technique du ministre de l’éducation nationale