SANTÉ
Comment Djibouti résiste au coronavirus
Par Olivier Caslin
Depuis le début du mois de mars, Djibouti mène une politique sanitaire efficace. Mais le principal danger pourrait venir de l’extérieur, et notamment de l’Éthiopie et de la Somalie, deux voisins bien moins préparés.
Dans une Corne de l’Afrique ouverte aux quatre vents du Covid-19, Djibouti fait figure d’exception. Entre l’Éthiopie, qui accueille des vols directs venus de Chine en même temps que quelques milliers de ses ressortissants expulsés d’Arabie saoudite et potentiellement infectés, et la Somalie, qui fait avec les maigres moyens sanitaires, sécuritaires et statistiques dont elle dispose, la petite République a rapidement appliqué les gestes barrières.
Le 7 mars, le pays était fermé et le ciel bouclé. Un confinement par quartiers a rapidement été instauré dans la capitale, où vivent 80 % des Djiboutiens. Le premier cas confirmé a été celui d’un soldat espagnol des forces spéciales européennes, immédiatement évacué. Dans la foulée, les divers contingents militaires étrangers installés dans le pays se cloîtraient dans leurs bases respectives et demandaient à leur personnel djiboutien de rester chez eux (seuls deux cas ont été pour l’instant identifiés au camp Lemonnier, qui abrite les forces américaines). « La politique de dépistage pouvait alors démarrer », explique le Dr Houssein Youssouf Darar, spécialiste en maladies infectieuses et responsable de la prise en charge globale du Covid-19 sur le territoire.
Depuis le début du mois de mars, Djibouti dispose, d’abord grâce à l’Allemagne et à la Turquie, puis grâce au milliardaire chinois Jack Ma, de stocks suffisants pour « tester efficacement de manière ciblée la population », précise le scientifique.
Tests et isolement des malades
Les derniers rentrés ont été les premiers testés, ainsi que leurs proches quand les cas s’avéraient positifs – « parfois jusqu’à 25 personnes », insiste le Dr Darar. Plus de 2 000 tests ont ainsi été réalisés. « Beaucoup de gens sont ensuite venus se faire dépister d’eux-mêmes, dès les premiers symptômes, nous permettant d’identifier de nombreux cas », reprend le praticien. Dans la capitale, l’hôpital Bouffard s’est transformé en centre de quarantaine et de diagnostic pour l’ensemble du pays. Des zones tampons ont été installées à Galafi, point de passage avec l’Éthiopie, et à Loyada, sur la frontière somalienne. Djibouti a ainsi pu tester près de 12 000 personnes à la date du 27 avril, pour 1 023 cas actifs. « Nous avons pu contenir le virus en identifiant et en isolant les malades rapidement », affirme Houssein Youssouf Darar.
Aujourd’hui, un tiers d’entre eux seraient même guéris grâce à un protocole conjuguant chloroquine et azithromycine. De quoi commencer à envisager une sortie de crise sanitaire pour les autorités. « Nous sommes en train de connaître notre pic puisque le nombre de guérisons est désormais supérieur à celui des nouveaux cas, mais nous devons rester vigilants », prévient le spécialiste, qui connaît parfaitement les limites structurelles du système de santé djiboutien.
Le président Ismaïl Omar Guelleh (IOG) a ainsi dû hausser le ton, le 22 avril, pour demander à ses compatriotes de mieux respecter les mesures de confinement, menaçant notamment de placer la capitale sous couvre-feu.
Éthiopie et Somalie,
deux voisins vulnérables
Mais le principal danger pourrait venir de l’extérieur, par une transmission communautaire qui ne connaît pas les frontières. « Rien que ces cinq derniers jours, treize personnes en provenance d’Éthiopie ont été testées positives », rappelle Houssein Youssouf Darar. Surtout que l’Éthiopie et la Somalie, voisins de la petite République, sont très loin d’avoir appliqué de telles mesures de dépistage.
L’Éthiopie n’annonce actuellement qu’un peu plus de 120 cas et trois décès sur une population de près de 110 millions d’individus. « Mais ils ne testent que les personnes symptomatiques et les centres de quarantaine existant aujourd’hui sont très loin d’être conformes aux directives de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] », affirme le responsable d’une ONG depuis Addis-Abeba.
Le confinement imposé par les autorités se révèle impossible à respecter par la population et aucune politique de tests à grande échelle n’est envisagée. Le système de santé de l’Éthiopie risque fort d’être vite submergé si, comme le craignent de nombreux observateurs, jusqu’à 2 millions de ses ressortissants s’avèrent porteurs du virus à la fin de mai.
EN SOMALIE,
LES CONTAMINATIONS
PROGRESSENT
DE FAÇON SPECTACULAIRE.
La Somalie est quant à elle longtemps restée hors des radars, jusqu’à ce que les Nations unies tirent la sonnette d’alarme mi-avril. Depuis, les chiffres progressent de façon spectaculaire. Plus de 110 nouveaux cas ont été répertoriés ces dernières quarante-huit heures, portant le total des actifs à 436, alors que le pays annonce déjà 23 morts. Avec plusieurs organisations humanitaires, l’ONU vient de présenter un plan sur neuf mois pour aider le pays à contrer le virus.
La Somalie a bien reçu un peu de matériel de la Turquie, mais elle ne dispose ni des équipements de dépistage ni des installations sanitaires nécessaires pour faire face à la vague qui s’annonce.
Des tensions politiques internes ralentissent également tout processus. Arrivés le 22 avril à Addis-Abeba, les dons de Jack Ma ont mis une semaine supplémentaire pour parvenir dans les régions autonomes du Somaliland et du Puntland. Pour nombre d’experts, la Somalie fait « peser une menace sur l’ensemble de la sous-région ». Que Djibouti, barricadé derrière ses mesures de confinement et sa politique de dépistage, espère bien éviter.