Les élections régionales et communales du 11 mars ont, sans surprise, été remportées haut la main par l’Union pour la majorité présidentielle (UMP) du président Ismaïl Omar Guelleh. Et pour cause : sur les six régions de Djibouti, seule une, celle d’Ali Sabieh, voyait plusieurs listes concourir. Mais l’essentiel était ailleurs.
À défaut d’avoir pu offrir une représentation satisfaisante de pluralisme démocratique, ce scrutin a permis au gouvernement et à plusieurs institutions d’expérimenter de nouvelles choses, et d’identifier des axes d’amélioration en vue des prochaines échéances électorales.
Échauffement
Une stratégie assumée par Bahnan Ali Maidal, président de la Commission électorale régionale indépendante (CERI), l’instance chargée d’organiser et de veiller au bon déroulement des votes. « Je prends ces élections comme une forme d’échauffement avant les prochaines législatives [prévues pour la fin 2022]. On regarde ce que l’on peut améliorer au niveau logistique, comment bien travailler avec les superviseurs. Même s’il n’y a qu’une seule liste, il y a toujours des choses à faire, et on peut tester des choses », explique-t-il.
Parmi les chantiers phares lancés par le gouvernement pour les années à venir, celui de la décentralisation occupe une place singulière dans ce pays de moins d’un million d’habitants. Ainsi, depuis 2006, la loi prévoit la division de la République de Djibouti en cinq régions – en plus de celle de Djibouti, qui dispose d’un statut particulier.
Pour mener à bien ce chantier, l’État s’est doté d’un ministère délégué chargé de la Décentralisation, dont la mission principale est de mettre en œuvre le «transfert des compétences et des ressources de l’État aux collectivités territoriales ».
Prises sous cet angle, ces élections communales et régionales – les quatrièmes depuis l’adoption des lois de décentralisation – revêtent une importance toute particulière, puisque les élus locaux sont les premiers concernés par ces changements. C’est en tout cas ce que veulent croire les autorités djiboutiennes, qui misent et attendent beaucoup de cette délégation des pouvoirs.
Le ministre de l’Intérieur, Saïd Nouh Hassan, en est persuadé : « Les gens comprennent que la décentralisation leur est très bénéfique. » Il se dit également satisfait des remontées qui lui parviennent du terrain, tout en reconnaissant que le processus prend du temps. « La volonté politique est là, mais nous manquons encore de moyens, explique-t-il. Nous avançons très doucement. » Et de rappeler que, contrairement à d’autres pays qui ont entrepris cette démarche il y a plusieurs décennies, Djibouti s’est lancé sur cette voix bien plus récemment.
Même son de cloche du côté du président de la CERI. « Nous sommes en pleine mutation, dit-il. J’ai senti un engouement par rapport aux élections précédentes. Les gens se rendent compte qu’il y a quelque chose qui fonctionne. Nous souhaitons transmettre le pouvoir au niveau local. On y arrive lentement, mais on y arrive. »
À égalité entre radio et télévision
Pour mener à bien ce chantier, les autorités peuvent également s’appuyer sur une autre entité indépendante et complémentaire : la Commission nationale de la communication (CNC).
Créé en 1992, mais réellement actif depuis 2016, cet organisme avait à l’origine pour vocation de réguler le temps de parole entre les candidats. La configuration actuelle du paysage politique djiboutien, caractérisée par l’absence d’opposition, a momentanément relégué cette prérogative au second plan et le « gendarme de l’info » a su évoluer, se lançant dans une vaste entreprise de démocratisation de l’accès à l’information. « Nous nous sommes fixés un objectif : faire en sorte que tout le monde ait accès aux mêmes sources d’information et de manière équitable », affirme sa présidente par intérim, Souad Houssein Farah. Ainsi, les neuf commissaires qui composent la CNC se sont répartis les régions et ont effectué, en parallèle de leur mission principale de partage du temps d’antenne, un travail de « sensibilisation et de pédagogie », tant avec les partis politiques qu’avec les médias.
La principale antenne nationale, la Radiodiffusion Télévision de Djibouti (RTD), n’était par exemple pas présente dans les zones périphériques les plus reculées. La CNC l’a donc contraint à investir un million d’euros près de la forêt du Day, dans la région de Tadjourah, pour installer une antenne principale et des relais afin de couvrir un maximum de zones grises.
Elle a également imposé à la chaîne de segmenter sa production à égalité entre la radio et la télévision, dans la mesure où cette dernière n’est pas présente dans les coins les plus isolés du territoire. « Le bilan est positif et tout le monde a joué le jeu », affirme Ahmed Osman Hachi, l’un des commissaires, également haut fonctionnaire au ministère de la Justice et des Affaires pénitentiaires.
Enfin, cette décentralisation «devra aller de pair avec la déconcentration, qui est elle le prolongement de l’action de l’État au niveau local », précise le ministre de l’Intérieur. C’est d’ailleurs lui qui nommera les sous-préfets, chargés de coopérer avec les futurs élus locaux dans chaque région.
Source : Jeune Afrique