Coronavirus : l’Ethiopie durement frappée par l’arrêt de la saison touristique

Les hôtels ont vu leur activité chuter de moitié et des milliers de professionnels, guides, cuisiniers ou chauffeurs, se retrouvent au chômage.

Lalibela, Axoum, Gondar, Harar… Ces grands sites ont placé l’Ethiopie sur la carte du tourisme mondial. Mais depuis quelque temps, les voyageurs ont déserté le pays. Les fermetures de frontières, décidées un peu partout à travers le monde pour lutter contre la propagation de l’épidémie liée au coronavirus, et la quatorzaine, obligatoire depuis le 23 mars pour toutes les personnes entrant sur le territoire éthiopien, ont refroidi les intrépides. Les hôtels ont déjà vu leur activité chuter de moitié, selon l’association de l’hôtellerie. Seuls les deux grands établissements réquisitionnés à Addis-Abeba pour ce confinement forcé tirent quelque peu leur épingle du jeu.

« Même les locaux ou les expatriés ne voyagent plus », déplore BisratWoldu, le patron d’EthioTravel and Tours, qui doit rembourser les frais engagés par certains clients qui annulent déjà leurs vacances prévues en septembre… La progression de la pandémie ne le rassure pas. D’autant qu’elle touche désormais des destinations touristiques comme Bahir Dar, à la source du Nil bleu, où un cas de Covid-19 a été confirmé. Face à l’arrêt de l’activité, l’homme d’affaires, qui organise des excursions dans toute l’Ethiopie depuis quinze ans, a licencié sans attendre : chauffeurs, cuisiniers, guides… Sur 80 employés dont 20 permanents, ils n’étaient plus que six en poste début avril.

Avant la réunion du G20, le 26 mars, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) avait alerté les chefs d’Etat, demandant la mise en œuvre de « mesures d’urgence pour protéger 30 millions d’emplois immédiatement menacés sur le continent, en particulier dans les secteurs du tourisme et de l’aérien ». Les ministres africains des finances ont depuis convenu d’organiser une réunion spécifiquement consacrée aux pays touchés.

Des annulations en série

Mais pour des milliers de professionnels comme HayelomYohannes, le chômage est déjà là. « Je ne sais même pas si je vais tenir jusqu’à la fin du mois », s’inquiète le trentenaire, alors que la saison touristique devait connaître un nouveau pic à l’occasion des fêtes de Pâques, célébrées par les orthodoxes le 19 avril. Ce guide francophone, habitué à accompagner des touristes aux quatre coins du pays, ne touche plus un birr depuis plusieurs semaines. Son loyer et ses dépenses de la vie courante, en revanche, sont toujours les mêmes.

Le 16 mars, il a attendu avec ses collègues cuisiniers et chauffeurs un groupe de Français à Mekele (nord). Ils devaient les conduire dans le désert du Danakil, prisé pour ses lacs de sel et les couleurs exceptionnelles des effusions de soufre liées à l’activité volcanique. En vain. Comme trois autres groupes depuis, les touristes français ne sont jamais arrivés en Ethiopie. HayelomYohannes s’attend encore à deux annulations supplémentaires dans les semaines à venir et à une perte de revenu d’au moins 3 300 euros. Faute de moyens, certains de ses collègues sont retournés chez leurs parents.

SeifuDesalegn, lui, s’estime chanceux. Il fait partie des rares employés du secteur à continuer de recevoir un salaire. Son patron, le propriétaire britannique d’un lodge niché dans les montagnes des Simien, s’est engagé à maintenir la rémunération de ses 43 salariés. « On a sécurisé 85 % de notre revenu entre octobre et fin janvier, affirme le manager. Mais l’inquiétude est pour la prochaine saison. D’avril à juin, vous recevez des arrhes, vous réservez les hôtels, etc. » Le report sine die des élections générales, qui devaient se tenir fin août, pourrait, anticipe-t-il, être une autre source d’instabilité affectant la fréquentation des touristes.

Manque de devises étrangères

En 2018, l’Ethiopie a accueilli 849 000 voyageurs étrangers, selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Et sur les dix dernières années, la croissance moyenne du secteur a été de 8 % par an. Le tourisme est une source cruciale de devises étrangères dans un pays qui en manque cruellement. L’OMT comptabilisait ainsi 968 millions de dollars de recettes en 2018 (environ 845 millions d’euros), soit deux fois plus que l’année précédente, et 3,5 milliards de dollars d’exportation de services, qui comprennent les ventes de billets d’Ethiopian Airlines.

Ce fleuron de l’économie et première compagnie aérienne d’Afrique, qui emploie 14 000 permanents et 3 000 contractuels, aurait déjà perdu 190 millions de dollars en deux mois à cause du Covid-19. « Nous serons encore les témoins des répercussions de cette crise sans précédent dans l’histoire de l’aviation dans les deux à trois prochains mois », a prévenu son PDG, TewoldeGebremariam, dans le journal local The Reporter.

Le premier ministre Abiy Ahmed a annoncé, le 27 mars, l’injection de 456 millions de dollars dans les banques privées pour leur « permettre d’accorder un allègement de la dette et des prêts supplémentaires à leurs clients dans le besoin ». Pas sûr que cela suffise à sauver une économie déjà fragilisée par le manque de devises étrangères et un risque élevé de surendettement.

Nathalie Tissot(Addis-Abeba,

correspondance)

Source : Le Monde Afrique