Moktar Djama Abdi naît en 2006, dans une famille nomade vivant au cœur de la campagne aride de Djibouti. Entouré de l’immensité du désert et du chant du vent, Moktar passe ses premières années dans l’insouciance, libre comme l’air. À six ans, le petit garçon, au regard pétillant et à l’esprit curieux, vit une enfance simple, rythmée par les jeux improvisés avec ses frères sous l’ombre bienveillante d’un vieil arbre à épines, point de repère familier au milieu du paysage aride.

Par une chaude après-midi, Moktar et ses frères jouent à monter et descendre de cet arbre, l’escaladant avec l’agilité d’enfants habitués à la vie sauvage. Leurs rires retentissent, insouciants, comme une mélodie en harmonie avec la nature environnante. Ils se bousculent, chahutent, et dans leur innocence, rien ne semble pouvoir troubler ce moment de bonheur partagé. Mais l’accident survient en un éclair, bouleversant à jamais l’existence de Moktar. Un coup maladroit de son frère le fait basculer, et il chute. Une épine acérée, comme un cruel éclat de la nature, perfore son œil gauche. La douleur est immédiate et perçante, mais c’est la panique qui s’empare de lui alors que son monde chavire. Son père, témoin impuissant de cette scène, se précipite vers son fils en pleurs, le cœur lourd de voir son enfant souffrir.

Sans perdre une minute, le père de Moktar, un homme durci par la rudesse de la vie nomade, prend son fils dans ses bras et se rend en ville pour consulter les médecins. Chaque minute qui passe est un coup de poignard dans son âme de père. Il espère secrètement que cette blessure ne sera qu’un mauvais souvenir. Pourtant, une fois à l’hôpital, la sentence tombe comme un couperet : l’œil gauche de Moktar est irrécupérable. L’épine a fait des dégâts irréversibles.

Le cri de Moktar déchire l’air, tandis que son père, alerté, se précipite. Il porte son fils avec une tendresse désespérée, le serrant contre lui comme s’il pouvait effacer la douleur par la seule force de son amour. Ce n’était plus le jeu, ce n’était plus l’enfance. C’était un moment où l’insouciance s’éclipsait pour laisser place à la cruauté du réel.

Le père, jamais il n’aurait imaginé voir son fils brisé de cette manière. La culpabilité ronge son cœur comme une ronce venimeuse. Son silence est lourd, plus lourd que le poids du ciel sur ses épaules. Il contemple son fils, un garçon aux yeux autrefois remplis de promesses, désormais marqué à jamais par ce funeste accident. Moktar, lui, est dévasté. Il pleure en silence, son regard brisé se perdant dans l’immensité de ce qu’il ne pourra plus jamais voir.

Décidé à ramener son fils dans le giron de la famille, loin des tourments de la ville, le père de Moktar prépare son départ pour la campagne. Mais l’oncle du jeune garçon, homme de la ville, n’est pas de cet avis. Il s’oppose fermement à cette décision, considérant que Moktar mérite bien plus qu’un retour à la vie nomade. « Cet accident n’est pas une fin, c’est un nouveau départ, » dit-il, ses mots résonnant comme une promesse. « Ne le laisse pas dans l’ombre. La ville est un lieu où il peut briller, malgré son handicap. L’école peut être sa lumière, son salut. »

Le père hésite. Pour lui, la ville est une étrangère, un lieu d’incertitudes. Il ne connaît que la dureté du désert, un monde simple mais familier. Peut-il vraiment laisser son fils dans un univers qu’il ne comprend pas ? Peut-il prendre le risque de l’éducation, alors que la vie nomade est la seule qu’il ait jamais connue ? Pendant deux jours, les frères discutent. L’oncle use de tous les arguments possibles, insistant sur le fait que l’avenir de Moktar ne se trouve pas dans les dunes mais dans les salles de classe. Le père, finalement, cède, convaincu par l’amour qu’il porte à son fils et par l’espoir ténu d’un avenir meilleur.

Moktar entre alors à l’école, et très vite, il se révèle être un élève exceptionnel. Là où certains auraient vu un obstacle, Moktar voit une raison de se surpasser. Il travaille avec acharnement, chaque livre qu’il ouvre devient une fenêtre sur un monde qu’il veut conquérir. Sa soif de savoir est telle qu’elle semble dévorer tout sur son passage. Les enseignants sont fascinés par cet élève, qui, malgré la perte de son œil, voit bien au-delà des limites imposées par la vie.

En cinquième année, Moktar passe le  concours d’entrée à l’École d’Excellence, un établissement prestigieux où seuls les meilleurs sont admis. Comme l’arbre qui, malgré les vents violents, garde ses racines profondément ancrées dans le sol, Moktar s’accroche à son rêve. Et il réussit. Il devient non seulement un modèle pour ses camarades, mais aussi une source de fierté pour sa famille.

Les années passent, et Moktar continue d’exceller. Il décroche son baccalauréat scientifique avec mention Bien, une distinction qui fait écho jusque dans les plaines désertiques où son père attend avec une fierté silencieuse. Deux ans plus tard, après une école préparatoire brillante, Il se présente aux concours pour entrer dans les Grandes Écoles. Là encore, il brille. Il est admis à l’Institut Supérieur d’Électronique de Paris (ISEP), une reconnaissance ultime de son intelligence et de sa persévérance.

Le Ministre de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle, son Excellence Moustapha Mohamed Mohamoud, qui a su concrétiser la vision ambitieuse du président en matière d’éducation, organise  une cérémonie pour recevoir les étudiants sortants et rentrants de l’École d’Excellence. Moktar, à la fois fier et ému, fait partie de cette génération exceptionnelle qui s’envole pour Paris pour poursuivre leur rêve.   Vêtu de son uniforme impeccable,  Il attend fièrement dans la grande salle de réception du Ministère l’arrivée du Ministre.

 Le Ministre entre dans la salle. Tous les étudiants  se lèvent en signe de respect. D’un geste de la main, il leur indique de s’asseoir avec  un sourire bienveillant sur les lèvres. Il balaye la salle du regard. Une profonde fierté l’envahit, non seulement parce qu’il est l’architecte de ce projet ambitieux, mais aussi et surtout il voit en eux  l’avenir du pays.

D’une voix calme  mais pleine de conviction, les mots du ministre résonnent  avec force : «  Vous êtes la preuve vivante que  l’excellence est possible, ici  chez nous, à Djibouti ». Il les encourage à persévérer et à travailler avec acharnement.  Le regard du Ministre se fait plus intense, comme s’il cherchait à graver ses mots dans l’esprit de chaque étudiant  « vos réussites ne doivent pas uniquement vous  élever personnellement, mais elles doivent aussi servir à élever votre pays ».

En écoutant ces paroles, Moktar sentit une vague de fierté l’envahir. Il savait que cette reconnaissance n’était pas seulement la sienne, mais celle de tous ceux qui avaient cru en lui, depuis son père jusqu’à son oncle, et désormais, tout un pays.

MAG