Très vite, elle reprit sa vie en main. Comme autrefois, elle arrivait à l’heure à son travail. Le temps passé à dissimuler  ses ecchymoses l’avait si souvent mise  en retard durant sa vie en couple. En partant de cette maison, elle s’était affranchie en quelque sorte. Désormais, elle n’avait plus à encaisser des coups. Ni à en donner.

Ses cheveux jadis très longs ont dû être sacrifiés quand elle vivait là-bas. À peine si elle ne les avait pas rasés. Elle avait une coupe de garçon qui étonnait ceux qui l’avaient connue avant son mariage. Sa famille et ses amis savaient à quel point elle tenait à sa chevelure, à sa crinière de lion. Plus jeune, elle s’est souvent disputée avec sa mère car elle dépensait trop de temps et d’argent à soigner ses cheveux.

Quant elle les a coupés, sa mère l’avait  encore réprimandée.  Ce n’était  pas ni dans leur us ni dans leur religion qu’une femme mariée ait  une tête d’homme.

Mais comment expliquer à cette maman que sa fille s’était débarrassée de sa précieuse chevelure par sécurité. Pour qu’on ne la batte plus en tirant dessus . Maman saurait-elle un jour que sa fille avait pleuré toutes les larmes de son corps le jour qu’elle avait pris la terrible décision de s’amputer de sa crinière, symbole de sa féminité?

Juste avant sa fuite, elle avait découvert qu’elle était enceinte. Cet enfant à venir l’avait incitée à se protéger. Elle n’avait pas le droit  de mettre la vie de son aîné en danger ni de le rendre orphelin avant l’heure. Ni même de lui imposer le stress de son quotidien.

Il fallait que son futur enfant sache qu’il était conçu par amour.

Elle habitait désormais  chez sa mère. Cette dernière savait tout de la situation matrimoniale de sa fille. Elle ne voulait pas brusquer les choses. De toute manière, dans leur religion une femme enceinte n’est pas “divorçable” . L’arrivée de l’enfant allait démêler cette  situation ambiguë.

La future maman était toujours amoureuse de son mari. Elle se remémorait leur première rencontre. Ce premier regard auquel elle avait répondu par un sourire. Elle avait su dès cet instant qu’il était l’homme de sa vie . Elle avait découvert plus tard en lui une galanterie et une sensibilité rares chez les hommes de chez eux. Très vite, ils devinrent inséparables. Le mariage et la vie commune s’imposèrent naturellement.

Ils étaient jeunes et encore nouveaux dans leur emploi respectif. Vivre avec la famille leur sembla alors comme une solution économique.

Elle avait tellement envie qu’il assiste à son accouchement. Elle considérait cet événement comme le couronnement de leur amour. Mais aurait il le courage et le bon sens de prendre cette décision?

Elle savait que lui aussi était amoureux d’elle.

Elle a passé une année à se battre physiquement et psychologiquement pour que leur couple survive.

Elle allait rester et  continuer à battailler pour son amour si l’ enfant n’était pas intervenu

Elle devait le protéger. L’instinct maternel l’avait emporté sur son tempérament combatif.

Le grand malheur, à l’origine de la déchéance de ce couple, était de ne pas  avoir leur propre toit et d avoir voulu  vivre avec la famille. Cette dernière n’a jamais accepté leur bru et belle-fille.

Depuis le décès du père, les sœurs toutes vieilles filles, régnaient sur la famille.

Son mari, le benjamin et unique enfant mâle, devait respect et amour à ses aînées comme le lui avait demandé le père sur son lit d’hôpital juste avant de quitter ce monde.

Et c’est contre ces belles-sœurs, pétries de jalousie, qu’elle s’était battue durant une année. Les crêpage de chignon quasi quotidien l’avait obligée à sacrifier sa longue chevelure.

Son mari n’avait jamais levé le petit doigt sur elle.

Elle accoucha dans ces circonstances d’un petit garçon. La sage-femme lui avait à peine  déposé le bébé sur la poitrine que  la nouvelle maman pensait que son fils était bien malchanceux car le père n’était pas là pour l’accueillir.

Une larme allait tomber de son œil quand il apparut  avec  un ours en peluche dans les bras. Il avait finalement osé. Il s’était affranchi à son tour de l’emprise toxique de ses sœurs. Décidément, cette naissance se révélait être propice à la renaissance de leur amour.

Choukri Osman Guedi