« La France doit reprendre toute sa place au service du développement économique et social de Djibouti »

Arnaud Guillois a pris ses fonctions d’ambassadeur de France à Djibouti il y un mois et demi. C’est notre invité cette semaine. Il nous parle des grands enjeux de sa mission et de ses priorités.

La Nation : Dès votre prise de fonction, vous avez aussitôt entrepris des contacts avec les autorités djiboutiennes. Quelles sont vos impressions ?

Arnaud Guillois : J’aimerais d’abord remercier les autorités djiboutiennes pour leur accueil de premier ordre. Le président de la République m’a fait l’honneur de m’accueillir quatre jours seulement après mon arrivée, c’est un témoignage d’amitié extrêmement fort et j’y suis très sensible. Les décideurs diplomatiques et politiques à Paris notent ce genre de signaux qui sont des gages de confiance, de respect et aussi d’attentes à mon égard. Je tiens à insister sur le caractère exceptionnel de l’accueil qui m’a été réservé.

Je constate aussi que toutes les portes s’ouvrent ici avec une très grande facilité. J’ai rencontré les deux tiers du gouvernement en à peine un mois et demi ainsi que de très nombreux parlementaires. J’ai rencontré aussi de nombreux acteurs économiques et culturels, mais aussi des acteurs de la société civile et l’agenda se remplit à une folle allure. Le seul souci, c’est que les journées ne comptent que 24 heures.

Je souhaite en outre aller rapidement dans les provinces car pour moi c’est extrêmement important de ne pas me limiter à Djibouti-ville même si c’est essentiel. J’ai rencontré la maire de Djibouti-ville qui m’a fort aimablement reçu et je souhaite aller dès que possible à Obock, Ali Sabieh, Tadjourah, Dikhil, Arta et rencontrer les nouveaux préfets pour découvrir aussi ce début d’administration décentralisée. Je voudrais aller sur le terrain et prendre connaissance de la réalité du travail qui se fait dans le cadre de la coopération française. Cette visite de terrain me permettra de prendre le pouls de l’action de la France et de la communauté internationale.

Il faut sentir un pays et le sonder, car c’est en allant à la rencontre de sa population que l’on peut comprendre les opportunités ou les préoccupations des gens. Je suis sûr qu’avec le concours des autorités, il y a de belles choses qui peuvent être réalisées. Parmi bien d’autres exemples, je me rendrai bientôt à l’Université de Djibouti, je me suis rendu sur le site d’Eiffage où une usine de dessalement est en construction et qui demain sera bénéfique à la population djiboutienne. Je souhaite aller voir les investissements économiques français comme Rubis qui a ouvert une nouvelle station-service au PK13 et qui a tout de suite créé 50 emplois directs. L’accueil des députés français du groupe d’amitié France-Djibouti par leurs homologues djiboutiens a été très chaleureux mais cette visite, très dense et substantielle, a permis aussi de travailler sur plusieurs axes de coopérations extrêmement concrets et qui sont très prometteurs.

La relation franco-djiboutienne est au beau fixe. Comment comptez-vous la renforcer ?

Trois mois après son arrivée dans un pays, un ambassadeur doit  présenter au Quai d’Orsay et à la présidence de la république les grandes orientations de son action pour les années à venir. Trois mois n’est pas un délai suffisant pour avoir une connaissance exhaustive d’un pays, mais je pense que l’on est capable de tracer les grandes lignes de son action et donner une impulsion. C’est à moi qu’il revient de proposer à mes autorités des axes de coopération.

Mon action et celle de toute l’ambassade s’articulera autour de trois grands axes. C’est d’abord la coopération dans le domaine politique, militaire et sécuritaire qu’il faut préserver et renforcer. Cette dimension est l’épine dorsale de la relation franco-djiboutienne depuis 1977. Nous avons à ce titre une présence militaire très forte à Djibouti où se trouve la plus importante base militaire française à l’étranger avec près de 1500 hommes. Des actions de coopération tous azimuts dans les domaines aériens, navals et terrestres sont mises en œuvre par les FFDJ qui participent aussi à la formation des bataillons des FAD qui sont déployés en Somalie et auxquels je veux rendre hommage.

Dans ce cadre, un traité bilatéral de coopération en matière de défense (TCMD), qui doit d’ailleurs être renouvelé en 2021, confère à la France des responsabilités particulières. Cette coopération sécuritaire ne se résume pas à la dimension militaire car elle englobe aussi la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. J’aimerais saluer la coopération entre nos services de sécurité qui est de ce point de vue exemplaire, on l’a vu en décembre dernier avec l’arrestation de Peter Chérif, l’un des cerveaux des attentats de janvier 2015 à Paris contre Charlie Hebdo. Nous avons aussi créé il y a quelques mois avec l’aide de nos partenaires djiboutiens une école dans le domaine de la police judiciaire, l’école nationale à vocation régionale (ENVR), qui est un outil de premier ordre pour notre coopération car elle va former des dizaines d’officiers non seulement djiboutiens mais de l’ensemble du continent africain.

Le second grand axe de mon action, c’est que la France doit reprendre toute sa place au service du développement économique et social de Djibouti. Je vois deux axes d’interventions extrêmement forts, il s’agit d’une part du renforcement de notre présence en matière de développement. L’AFD est un acteur extrêmement investi à Djibouti. Les projets financés par l’AFD à Djibouti ces dernières années – sous forme de dons – représentent plus de 200 millions d’euros. La visite du président Macron en mars dernier a redonné un coup d’accélérateur à cette coopération et l’AFD est appelé à lancer de nouveaux projets de coopération en faveur de Djibouti. Je viens d’ailleurs de signer avec plusieurs ministres djiboutiens un accord portant sur un nouvel engagement de 7 millions d’euros dans le domaine du développement urbain à Balbala.

Nous travaillons à ces nouveaux projets qui couvriront dans l’essentiel trois axes prioritaires : le développement économique, le capital humain (formations, etc.) et puis tout ce que l’on appelle le développement urbain, c’est-à-dire le développement de la capacité des villes à répondre aux enjeux de salubrité, de propreté, de transports et équipements, d’infrastructures, etc. Le bureau de l’AFD sera aussi sensiblement renforcé par l’arrivée d’une forte équipe d’Expertise France, un opérateur public français qui aide les partenaires à améliorer et renforcer leurs capacités. Une quinzaine de personnes vont ainsi travailler à partir de janvier prochain sur les sujets de la décentralisation, dans le cadre d’un programme de 12 millions d’euros de l’Union européenne. J’en ai longuement parlé avec le ministre de la décentralisation. Nous espérons aussi signer des projets extrêmement importants, par exemple dans le domaine de l’enseignement supérieur.

La présence économique est toute aussi essentielle car il est vrai que les entreprises françaises ont été un peu moins présentes dans les années 2010 à Djibouti. Peu importe les raisons qui ont conduit à cela, je me projette dans l’avenir. En dépit de ce retrait relatif, les entreprises françaises, implantées de longue date dans le pays ou plus récemment, représentent plusieurs centaines de millions d’euros de chiffres d’affaires et plusieurs milliers d’emplois à Djibouti. Comme je l’ai indiqué au premier ministre ou au ministre de l’économie, les Français restent au premier rang de l’activité économique djiboutienne.

En plus de réaliser des profits, ce qui est l’essence même de l’activité privée, je les ressens très investis en faveur de la croissance mais aussi de la formation et de l’emploi. Je suis heureux quand je vais visiter des chantiers ou des investissements français et d’y voir des cadres, des techniciens, des ouvriers ou des commerciaux djiboutiens.

En marge de la conférence des ambassadeurs à Paris, j’ai rencontré de nombreuses entreprises françaises, de toutes tailles, intéressées au marché djiboutien. Je les ai invitées à venir rencontrer les interlocuteurs djiboutiens pour prendre connaissance des opportunités et des défis. Il est vrai que les coûts de l’eau et l’énergie restent un défi de taille mais il y a aussi de belles opportunités qu’il faut saisir. Je dis aux entreprises françaises qu’il y a du vent dans les voiles dans les relations franco-djiboutiennes et donc c’est le moment pour venir étudier le marché et voir quels types d’investissements sont possibles.

Je sais qu’il y a une déclaration d’intention qui a été signée avec ENGIE, au printemps dernier en matière d’énergie photovoltaïque. C’est un potentiel colossal et considérable et j’espère qu’un véritable contrat va pouvoir être signé très bientôt. D’autres grands groupes français ont de beaux projets à Djibouti même s’il est trop tôt pour en parler. Par ailleurs, nous avons de beaux outils pour encourager ces investissements français à Djibouti comme nos conseillers du commerce extérieur mais aussi le Groupe d’Affaires France-Djibouti qui est un excellent outil dont j’ai repris la présidence d’honneur après mon prédécesseur. Je suis très heureux que ce groupe souhaite monter encore en puissance, au service du développement économique et social de Djibouti.

Les échanges humains seront le dernier grand axe de mon action. La visite du président Macron était la première visite officielle d’un président français depuis 33 ans. Cette visite a permis des échanges approfondis avec le président Guelleh et a donné une impulsion pour une amitié renouvelée et un intérêt partagé de vouloir faire davantage. De la santé à l’enseignement supérieur, du monde de la recherche aux collectivités locales, nous devons redynamiser le tissu humain franco-djiboutien. La dimension francophone est essentielle car c’est l’un des éléments constitutifs de Djibouti et le président Guelleh a commencé notre entretien, lors de la remise de mes lettres de créance, par cela.

La francophonie, qu’en dites-vous ?

Nous devons améliorer encore cette dimension francophone au niveau de l’éducation et au niveau des opportunités d’emplois. La francophonie, c’est bien sûr une langue de culture mais c’est aussi une langue d’emploi. Dans moins de 20 ans, il y aura de 500 à 600 millions de locuteurs du français dans le monde. Aujourd’hui, la plus grande ville francophone du monde c’est Kinshasa, juste devant Montréal et Paris. La Francophonie représente un enjeu formidable pour Djibouti qui est un pays d’accueil, de culture et d’échanges. Savoir parler le français, mais aussi l’arabe et le somali ou l’afar est une chance extraordinaire pour un  jeune Djiboutien. Nous devons donc faire davantage et j’ai demandé à ce que tous nos programmes de coopération qu’ils soient militaires, d’enseignement supérieur, de santé, entre autres, comprennent une dimension francophonie.

Dans ce cadre, j’attache une grande importance à la reconstruction du lycée français de Djibouti, qui était attendue depuis longtemps et qui va bientôt débuter. D’ici à 2021, nous aurons un lycée flambant neuf à la disposition des jeunes Djiboutiens et des jeunes Français notamment. Je souhaite qu’à l’université, le français continue d’être une langue d’apprentissage puisque c’est une des langues officielles de Djibouti. 40 % des étudiants djiboutiens qui partent à l’étranger vont en France. Il faut augmenter ce taux car c’est un enjeu majeur.

Le président Macron a déclaré dans son discours d’Ouagadougou qu’en 2030, il devrait y avoir deux fois plus d’étudiants étrangers en France. Les Djiboutiens doivent y prendre toute leur place. Nous avons ouvert récemment pour cela un espace Campus France à l’Institut français qui offre un accompagnement personnalisé à ces étudiants, du traitement de leurs dossiers académiques aux demandes de bourses ou de visas. J’ai abordé tous ces sujets longuement avec le ministre de l’enseignement supérieur et notre politique vise clairement à ce qu’il y ait plus d’étudiants Djiboutiens en France. Ce sera donc un angle fort de mon action.

D’autres structures sont en cours de création ou de renforcement. L’Union de la Presse Francophone, mais aussi l’Assemblée Parlementaire Francophone. Des formations seront lancées à Djibouti à la fin du mois d’octobre auxquelles je participerais.

Propos recueillis par MAS