
La guerre commerciale actuelle entre des puissances économiques comme les États-Unis et la Chine a révélé la faiblesse économique et géopolitique mondiale de l’Afrique par rapport à des pays comme l’Inde, qui ont su tirer parti de la crise tarifaire. Alors que le paysage mondial est confronté à des défis croissants liés aux guerres commerciales, à la hausse des tarifs douaniers et à l’incertitude économique, notamment en raison des politiques protectionnistes américaines, de nombreux pays peinent à traverser cette période de turbulences, tandis que l’Inde connaît une croissance remarquable.
Pour citer quelques réalisations indiennes d’avril 2025, citons : l’indice de production industrielle (IPI) indien a progressé de 4,3 % en glissement annuel en mars 2025, contre 2,9 % en février, selon un récent rapport d’avril 2025 de l’Union Bank of India. Le rapport ajoute également que la croissance future de la production industrielle dépendra de l’évolution du commerce mondial, notamment de l’issue des négociations tarifaires. La production de biens intermédiaires et de biens d’infrastructure ou de construction en Inde a progressé au cours du mois d’avril. Français Cette croissance a été soutenue par une hausse des dépenses publiques à la fin de l’exercice 2024-25, qui a entraîné une forte augmentation mensuelle de la production de ciment et d’acier, de 13,8 % et 8,6 % respectivement.

Deuxièmement, l’Inde a franchi une étape historique en enregistrant des exportations d’une valeur de 821 milliards de dollars US au cours de l’exercice 2024-25, marquant un record historique. Cette réussite reflète la dynamique soutenue du commerce extérieur de l’Inde malgré les incertitudes mondiales. Une politique commerciale extérieure dynamique, des mesures de facilitation des échanges, la numérisation, des incitations liées à la production (PLI) et le renforcement des capacités des « micro, petites et moyennes entreprises » (MPME) soutiennent la trajectoire de croissance des exportations de l’Inde. Au cours des quatre derniers exercices, les exportations indiennes ont connu une croissance constante, passant de 500 milliards de dollars US en 2020-21 à 641 milliards de dollars US en 2021-22, puis à 776 milliards de dollars US en 2022-23, puis à 778 milliards de dollars US en 2023-24, pour culminer à 821 milliards de dollars US en 2024-25. Le taux de croissance annuel composé (TCAC) de plus de 10 % souligne le renforcement de la position de l’Inde dans le commerce mondial, porté par des mesures politiques stratégiques, l’adaptabilité de son industrie et la diversification de ses produits et marchés.

Les États-Unis restent le premier marché d’exportation de l’Inde, suivis des Émirats arabes unis (EAU), de la Chine, du Bangladesh, de Singapour, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. À eux seuls, les États-Unis représentent plus de 17 % des exportations indiennes, notamment dans les secteurs des services informatiques, des produits pharmaceutiques, du textile et de la bijouterie. Les Émirats arabes unis sont un partenaire majeur pour les pierres précieuses et la bijouterie, les produits pétroliers et les produits alimentaires. Les pays européens, notamment l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, importent des produits d’ingénierie, des produits chimiques et des automobiles. La région ASEAN est un autre bloc important, avec des échanges commerciaux croissants dans les domaines de l’électronique et des produits agricoles.
Troisièmement, selon des estimations récentes, le secteur de la bioéconomie en Inde a connu une croissance phénoménale : en une décennie, il a été multiplié par 16, passant de 10 milliards de dollars en 2014 à un impressionnant 165,7 milliards de dollars en 2024. Dans le même temps, les startups biotechnologiques en Inde ont été multipliées par 200, passant de seulement 50 startups il y a dix ans à plus de 10 075 aujourd’hui. De plus, la population jeune et intellectuellement très fertile de l’Inde, dont 47 % ont moins de 25 ans et qui compte le deuxième plus grand nombre de diplômés en STEM au monde, constitue un terrain lucratif pour un écosystème d’innovation biotechnologique. En conséquence, l’Inde est devenue une destination privilégiée pour les multinationales (AstraZeneca, GSK, Eli Lilly et Bayer) qui souhaitent établir des centres de compétences mondiaux (CCM), axés sur le secteur des sciences de la vie.

Pour comprendre ce qui motive le succès de l’Inde alors que les pays africains ne sont que des observateurs passifs dans une guerre tarifaire, il faut rappeler qu’en 2023, et pour la première fois dans l’histoire du G20, l’Union africaine (UA) est devenue membre permanent du G20, qui regroupe les pays les plus riches et les plus puissants du monde. Il s’agissait d’une initiative menée par le Premier ministre indien Narendra Modi, en sa qualité de président du G20 cette année-là, visant à inclure les représentants des 54 États membres africains membres de l’UA.
Durant sa présidence du G20, l’Inde a incité les pays du Nord et les pays asiatiques avancés à accepter l’Afrique à la table des négociations mondiales. Ce fut un coup de maître pour les dirigeants africains, qui ont reconnu le rôle décisif de l’Inde dans l’intégration de l’Inde au nouvel ordre mondial. L’essor de l’Inde repose sur son vaste marché intérieur, son capital humain, sa base industrielle robuste et ses politiques stratégiques qui inspirent confiance aux investisseurs. Depuis 2023, la population indienne a dépassé celle de la Chine continentale. Selon le McKinsey Global Institute, d’ici 2050, le ratio de la population active par rapport aux retraités en Chine devrait tomber à 1,9, inférieur à celui de la France (2,0) et des États-Unis (2,6). Si l’Inde tire parti de sa population, elle devrait devenir la deuxième économie mondiale en parité de pouvoir d’achat en 2050.
Dans ce contexte, la taille démographique inégalée de l’Inde a stimulé la demande de biens et de services, que le gouvernement actuel a réussi à intégrer dans le monde, allant de l’alimentation et de l’électronique aux minéraux stratégiques, en passant par les véhicules et l’habillement. Ce recentrage de la chaîne d’approvisionnement interne est l’une des raisons pour lesquelles l’Inde reste résiliente et autonome, malgré l’effondrement du commerce mondial. L’initiative catalytique « Make in India » du Premier ministre Modi, lancée en 2014, est devenue un cas d’école pour de nombreuses économies émergentes, où le gouvernement a activement encouragé la localisation par des politiques publiques, encourageant les entreprises nationales et étrangères à produire localement plutôt que de dépendre des importations. Cette stratégie visant à inciter les 1,4 milliard d’Indiens à consommer leurs produits a non seulement permis de créer des emplois, mais aussi de réduire la dépendance à l’égard des chaînes d’approvisionnement mondiales volatiles.
On estime que plus de 500 millions de femmes indiennes sont absentes du marché du travail. L’Inde a donc l’opportunité de tirer parti de la population féminine et jeune et de renforcer encore davantage sa place sur la scène internationale. Autrefois plus pauvre que la plupart des pays africains en 1990, l’Inde attire aujourd’hui plus d’investissements directs étrangers (IDE) que l’ensemble des 54 pays membres de l’Union africaine (UA). La dépendance excessive de l’Afrique aux minerais bruts, la mauvaise gestion de la dette, l’instabilité chronique, les pénuries d’électricité, le manque d’infrastructures, la corruption et la fragmentation des marchés ont plombé le continent.
La cohérence des politiques économiques de l’Inde et son ingéniosité humaine méritocratique ont fait de ce pays une destination attractive pour les investissements à long terme d’entreprises comme Apple, Samsung et Tesla. Ce n’est pas un hasard si les PDG nés en Inde de la Silicon Valley font partie d’une minorité de quatre millions de personnes, parmi les plus riches et les plus instruites des États-Unis. Les ingénieurs et scientifiques nés en Inde dominent et constituent l’épine dorsale du secteur scientifique et de la fintech aux États-Unis.
Alors que les économies africaines en difficulté s’enlisent dans des batailles idéologiques et prennent parti dans les batailles tarifaires, des pays comme l’Inde privilégient leurs intérêts nationaux et relèvent les défis du commerce mondial dans leur intérêt. De plus, la diversification de ses partenariats commerciaux avec les économies occidentales (États-Unis, Europe) et orientales (Chine, Russie, Afrique) lui offre de multiples perspectives de compétitivité mondiale. Cette diversification des échanges et de la diplomatie protège l’Inde des effets des politiques commerciales unilatérales et lui permet de gérer efficacement les tensions mondiales. Afin d’atténuer les effets de la guerre tarifaire, le ministre indien du Commerce et de l’Industrie, Piyush Goyal, est actuellement en tournée européenne (de fin Avril à Mai 2025) pour négocier l’accord de libre-échange (ALE) Inde-Royaume-Uni à Londre ; l’accord de partenariat commercial et économique (TEPA) Inde-AELE à Oslo ; et l’accord de libre-échange Inde-UE à Bruxelles, en vue de sa finalisation et de sa mise en œuvre rapides.
Cette agilité diplomatique a consolidé la position de l’Inde comme acteur clé sur les marchés internationaux. S’inspirant de la croissance de l’Inde, le temps est venu pour les nations africaines de se montrer à la hauteur de la situation, au lieu de rester sur la touche à observer, mais plutôt de se manifester et de participer à des négociations commerciales dynamiques pour prendre la place qu’elles méritent.