
L’Article de notre collaborateur Said Halato publié dans la page culture de l’édition du jeudi 19 décembre et intitulé « Le mythe du progrès à l’épreuve de l’humanité : Orwell avait-il raison ? », a suscité une réaction de la part de M. Fahde Ali Aouad, que nous vous reproduisons volontiers ci-dessous.
Cher compatriote Said Mohamed Halato,
Le Progrès est-il un ennemi en soi ?
Votre article, profondément réfléchi et brillamment rédigé, pose une question essentielle et urgente : à quel prix poursuivons-nous le progrès, et sommes-nous en train de perdre notre humanité dans cette quête effrénée ?
En lisant vos lignes, j’ai ressenti à la fois une alerte nécessaire et une invitation à reconsidérer nos priorités collectives.
Vous avez su, avec une acuité remarquable, mettre en lumière les paradoxes de notre époque. Nous vivons dans un monde où la technologie promet de nous connecter, mais où, paradoxalement, elle semble parfois nous isoler davantage. Ce constat, que vous illustrez par des scènes du quotidien – des dîners silencieux aux amitiés parasitées par les écrans – résonne profondément. Il ne s’agit pas simplement d’une critique de la technologie, mais d’un appel à réfléchir à la manière dont nous l’intégrons dans nos vies et à son impact sur nos relations humaines. Jadis, dans un village, le cancre était une figure locale, connu seulement de quelques individus, souvent moqué ou ignoré dans un cercle restreint. Sa réputation, limitée à son environnement immédiat, n’avait que peu d’impact au-delà de son entourage. Aujourd’hui, avec l’avènement de la technologie et des réseaux sociaux, ce même cancre peut devenir une figure populaire, voire une célébrité. Les plateformes numériques, en abolissant les frontières géographiques et en offrant une visibilité instantanée, permettent à n’importe qui de diffuser ses idées, ses opinions ou ses comportements, qu’ils soient pertinents ou non.
Ainsi, ce qui relevait autrefois de l’anecdote locale peut désormais atteindre une audience mondiale. Paradoxalement, ce phénomène met en lumière une inversion des valeurs : la popularité n’est plus nécessairement liée à la compétence, à l’intelligence ou à la pertinence, mais souvent à la capacité de capter l’attention, parfois par des moyens futiles ou provocateurs. Le cancre, autrefois marginalisé, devient une figure regardée, commentée, et parfois même admirée, non pas pour ses qualités, mais pour sa capacité à exploiter les dynamiques de la viralité numérique.
Ce changement soulève des questions profondes sur l’impact de la technologie sur nos sociétés. La visibilité massive offerte par les outils numériques ne distingue pas toujours la valeur du contenu diffusé. Elle peut, au contraire, amplifier des comportements ou des discours qui, dans un autre contexte, seraient restés insignifiants. Cela nous invite à réfléchir sur notre propre responsabilité en tant que spectateurs et participants de cet écosystème numérique : que choisissons-nous de regarder, de partager, et de valoriser ?
En somme, la technologie a transformé le cancre d’hier, figure locale et anecdotique, en une personnalité potentiellement influente, révélant ainsi les paradoxes de notre époque où la visibilité prime souvent sur la substance.
Votre référence à Orwell est particulièrement pertinente. Comme lui, vous nous poussez à questionner le mythe du progrès et à nous demander s’il nous rend « plus humains ou moins humains ». Cette réflexion est cruciale, car le progrès technologique, s’il est mal orienté, peut en effet devenir une force aliénante plutôt qu’émancipatrice. Mais, à mon sens, ce n’est pas une fatalité. Le progrès n’est pas un ennemi en soi ; il devient problématique lorsqu’il est déconnecté de nos valeurs fondamentales et de notre quête de sens.
Vous posez la question : « Est-ce la fin d’un monde ou du monde ? » Je crois que nous assistons à la fin d’un monde, celui d’un modèle de progrès qui valorise la vitesse, la productivité et l’innovation à tout prix, souvent au détriment de l’humain et de la planète. Mais cette fin peut marquer le début d’un autre monde, si nous avons le courage de redéfinir ce que nous entendons par progrès.
Le véritable progrès ne devrait pas se mesurer uniquement en termes de prouesses technologiques ou de croissance économique. Il devrait être évalué à l’aune de son impact sur la qualité de nos relations, sur notre bien-être collectif et sur la préservation de notre environnement. Le progrès doit être un outil au service de l’humanité, et non l’inverse.
Un appel à l’éveil
Votre article est un appel à l’éveil, et je partage pleinement votre conviction qu’il est temps de revendiquer un retour à l’essentiel. Cela ne signifie pas rejeter la technologie, mais apprendre à l’utiliser avec discernement, en nous rappelant qu’elle n’est qu’un moyen et non une fin. Nous devons réinvestir dans les interactions humaines authentiques, créer des espaces de dialogue et de partage, et redonner du sens à nos vies dans un monde où l’instantanéité et la superficialité menacent de tout submerger.
Vous avez raison de souligner que la réponse à cette question déterminera non seulement notre avenir, mais aussi la qualité de notre humanité. Et je crois qu’il est encore temps de choisir un chemin différent, un chemin où le progrès et l’humanité avancent main dans la main.
Merci pour cet article éclairant, qui nous rappelle que le progrès véritable ne peut exister sans une réflexion profonde sur ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir.
Bien cordialement.
M. Fahde Ali Aouad