Le Fonds Souverain de Djibouti (FSD) qui a été lancé en 2020 sous l’impulsion du President de la République M.Ismail Omar Guelleh est aujourd’hui une institution qui compte et qui a fait son envol. Depuis bientôt trois ans M. Slim Feriani dirige avec brio ce fonds qui sert désormais de modèle pour d’autres pays africains qui s’inspirent de l’expérience djiboutienne. Dans un chapitre intitulé “structurer un fonds souverain efficace publié dans le livre “The Pagrave Handbook of Sovereign Wealth Funds”,  le Directeur Général du FSD  revient sur les raisons qui amènent la creation d’un Fonds souverain,  lesquelles  visent un développement socioéconomique et une prospérité inclusifs et durable. Les fonds souverains sont généralement des moteurs essentiels pour atteindre ces objectifs. Ils ont souvent prouvé qu’ils pouvaient changer la donne pour améliorer l’avenir de leur pays, de leur économie et de leur population. Nous partageons avec vous dans ce supplément la riche contribution de M. Feriani dans ce livre qui est la bible des Fonds souverains.  Bonne lecture.

Il n’existe pas de solution universelle pour les pays qui envisagent de créer un fonds souverain. Chaque pays a des caractéristiques spécifiques. Tout fonds souverain doit en fin de compte servir les intérêts de ses citoyens et de son économie sur le long terme et viser une prospérité inclusive et durable ainsi que l’indépendance financière du pays.

Au cours des huit dernières décennies, le nombre de fonds souverains a augmenté pour atteindre environ 176 en février 2023 (Megginson et al. 2023). Certains pays comme la Chine, Singapour et les Émirats arabes unis ont plus d’un fonds souverain. Ces chiffres continueront probablement à augmenter, car les fonds souverains se sont révélés efficaces et vitaux pour leurs pays et leurs citoyens. En effet, le succès engendre le succès.

L’importance des fonds souverains s’est accrue pendant et après la crise financière mondiale de 2007-2009, lorsque plusieurs d’entre eux sont intervenus pour stabiliser l’économie et les marchés financiers de leur propre pays et pour contribuer à la stabilisation des marchés boursiers et financiers mondiaux en fournissant une source de financement alternative au système bancaire et financier mondial traditionnel. La taille compte. La taille globale des fonds souverains est devenue remarquable, le total des actifs sous gestion dépassant 11 500 milliards de dollars en février 2023 (Megginson et al. 2023), ce qui équivaut à environ 11 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Le PIB mondial a dépassé 101 000 milliards de dollars en 2022, selon les données officielles de la banque mondiale (Trading Economics 2023).

Pour structurer un fonds souverain efficace, il ne faut pas réinventer la roue.Plusieurs fonds souverains tels que Kuwait Investment Authority (créé en 1953), Temasek (Singapour, 1974), Abu Dhabi Investment Authority (1976), GIC (Singapour, 1981), Government Pension Fund Global (Norvège, 1990), Future Fund (Australie, 2006) et China Investment Corporation (2007) sont très respectés par la communauté internationale.

Compte tenu de la longue histoire de l’expérience, des résultats obtenus et de la transparence des grandes institutions d’investissement souveraines bien établies, il est plus facile aujourd’hui qu’il y a 40 ou 50 ans de structurer un fonds souverain efficace. Ceci était le cas pour le lancement des quelques fonds souverainsAfricainsqui ont bénéficié de l’avantage du second venu et donc de l’expérience des autres. Le présent chapitre est structuré comme suit. La section suivante examine les raisons de la création des fonds souverains. Elle est suivie d’une analyse qui identifie plusieurs facteurs communs aux fonds souverains efficaces, notamment (1) des facteurs quantitatifs tels que des ressources financières importantes, des performances financières et une bonne gestion des risques, et (2) des facteurs qualitatifs tels qu’une stratégie d’investissement solide, un capital humain compètent et stable, une bonne gouvernance et un impact important sur le pays. La section suivante présente une étude de cas du fonds souverain de Djibouti, un exemple pour d’autres pays cherchant à créer des fonds souverains. Les fonds souverains ont souvent prouvé qu’ils pouvaient changer la donne et améliorer l’avenir de leur pays, de leur économie et de leur population. Les pays africains en en voie de développement l’ont bien compris. La dernière section présente un résumé et des conclusions.

POURQUOI CRÉER UN FONDS SOUVERAIN ?

Les gouvernements créent généralement des fonds souverains pour gérer une partie des actifs financiers du pays, constituer une épargne intergénérationnelle importante et pérenne, et promouvoir la stabilité financière. Lorsque l’on analyse les raisons de créer des fonds souverains, on constate que les raisons suivantes sont les plus courantes, les principales différences reflétant les spécificités des besoins et des objectifs de chaque pays.

Épargne à long terme

Les fonds souverains sont des instruments d’investissement à long terme qui visent à générer des rendements annuels durables ajustés au risque. Ainsi, les fonds souverains permettent de constituer une épargne intergénérationnelle importante et un matelas de confort financier pour assurer une vie meilleure aux générations futures. Ils disposent d’un portefeuille bien diversifié, investi dans plusieurs catégories d’actifs réels et financiers, multi-sectoriels et multi-géographies.

Indépendance financière

La plupart des pays en voie de développement ou émergents dépendent du financement par la dette, en particulier des institutions multilatérales de financement du développement (IFD) telles que le Groupe de la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Le total du bilan le plus important de toutes les IFD est celui du Groupe de la Banque mondiale, qui s’élève à environ 300 milliards de dollars. Les fonds souverains actuels ont accumulé une richesse totale de plus de 11 500 milliards de dollars en février 2023, ce qui rend les pays dotés de fonds souverains bien établis et efficaces financièrement indépendants de tout besoin des IFD et de toute dette et de tout capitaux extérieurs.

Selon PwC (2023), le total des actifs sous gestion mondiaux ont atteint 115 100 milliards de dollars en 2022, soit près de 10 % de moins que le record de 127 500 milliards de dollars atteint en 2021, ce qui représente la plus forte baisse de la décennie. Ainsi, les actifs sous gestion à l’échelle mondiale dépassent la taille de l’économie mondiale (environ 101 000 milliards de dollars) ainsi que la capitalisation boursière mondiale (environ 108 000 milliards de dollars) (Statista 2023). Les 20 plus grandes sociétés de gestion d’actifs au monde gèrent ensemble 70 000 milliards de dollars, BlackRock gérant à elle seule environ 9 000 milliards de dollars. Dans le cadre plus large de la gestion des investissements, le secteur des marchés privés (dettes ou actions non cotées sur les marchés financiers) gère environ 12 000 milliards de dollars (PwC 2023). C’est pourquoi un nombre croissant de fonds souverains s’associent aux milliers de milliards de dollars que représente la gestion des investissements du secteur privé, en particulier le capital-investissement, afin d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) et de renforcer leur indépendance financière vis-à-vis des IFD et du Fonds monétaire international (FMI), qui imposent généralement des conditions très strictes tant qu’un pays en dépend. Ainsi, les pays développés dotés depuis longtemps de fonds souverains tels que Singapour et la Norvège sont financièrement indépendants et présentent des finances publiques parmi les plus sains au monde.

Leurs fonds souverains sont également devenus des investisseurs et des acteurs majeurs dans plusieurs pays et sur plusieurs marchés financiers. Il en va de même pour les pays considérés comme émergents selon les indices boursiers tels que le Koweït, le Qatar et les Émirats arabes unis, en particulier après la crise financière mondiale lorsqu’ils constituaient une source inestimable de capitaux mondiaux en tant qu’alternative au secteur bancaire et financier mondial traditionnel.

Diversification et réduction des risques

Des pays comme Singapour, avec deux fonds souverains gérant plus de 1 000 milliards de dollars pour un PIB d’environ 400 milliards de dollars, et les Émirats arabes unis, avec au moins cinq fonds souverains gérant près de 2 000 milliards de dollars pour un PIB d’environ 500 milliards de dollars, sont la meilleure preuve tangible de l’importance de la diversification et de la réduction des risques. Grâce aux fonds souverains, les pays veillent à ce que “tous les œufs ne soient pas dans le même panier”. Ainsi, les fonds souverains garantissent que (1) la richesse d’un pays est investie dans un large éventail de classes d’actifs, de secteurs et de zones géographiques et (2) que le pays ne dépend pas d’un seul moteur de croissance, ni d’une seule source de revenus ou une seule source de création de richesse.

Un coussin contracyclique

Plusieurs fonds souverains fournissent à leur pays un coussin contracyclique. Toutes choses égales par ailleurs, et comme on a pu le constater lors de certaines des pires crises économiques mondiales des dernières décennies, telles que la crise financière mondiale (GFC) 2007-2009 et la pandémie de COVID-19, les pays dotés de fonds souverains ont surmonté ces tempêtes plus facilement et plus rapidement que les autres parce qu’ils avaient épargné par l’intermédiaire de leurs fonds souverains plus qu’il n’en fallait pour les jours de pluie. En fonction de leur mandat, les fonds souverains deviennent souvent des investisseurs contrcycliques dans leur économie et leurs marchés financiers et constituent une source inestimable de ressources budgétaires pour combler des déficits budgétaires cycliques exceptionnels.

Renforcement de la gouvernance

En tant qu’institutions publiques, les fonds souverains donnent généralement l’exemple en relevant les normes nationales de gouvernance et en mettant en œuvre les meilleures pratiques internationales en matière de transparence, d’information, de responsabilité et de systèmes de contrôle et de contrepoids. L’adhésion à des organisations telles que le Forum international des fonds souverains (IFSWF), qui soutient la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance de Santiago, va dans ce sens. La séparation entre les rôles de la direction exécutive et du conseil d’administration indépendant non-exécutif, ainsi que les audits internes et externes, favorisent l’amélioration de la gouvernance.

Développement et prospérité inclusifs et durables

Tous les pays visent un développement socioéconomique et une prospérité inclusifs et durables. Les fonds souverains sont généralement des moteurs essentiels pour atteindre ces objectifs. Ils ont souvent prouvé qu’ils pouvaient changer la donne pour améliorer l’avenir de leur pays, de leur économie et de leur population.

CONDITIONS PRÉALABLES À LA CRÉATION D’UN FONDS SOUVERAIN EFFICACE

Plusieurs facteurs qualitatifs et quantitatifs sont des conditions préalables à l’efficacité et au succès d’un fonds souverain.

Facteurs quantitatifs

Les facteurs quantitatifs constituent l’une des conditions préalables à la réussite des fonds souverains.

Ressources financières et actifs sous gestion

Il n’existe pas de solution unique en termes d’actifs sous gestion. Néanmoins, un fonds souverain doit disposer d’une masse critique de ressources financières et d’actifs sous gestion pour impacter la santé financière à long terme d’un pays et sur les générations futures, et pour garantir l’indépendance financière du pays. Pour qu’un fonds souverain ait un impact, il est préférable que ses actifs initiaux ne soient pas inférieurs à 10 % du PIB, l’objectif étant d’atteindre des actifs totaux équivalents à la taille du PIB du pays ou plus dans un délai de 10 à 15 ans. Aujourd’hui, les actifs totaux des fonds souverains de plusieurs pays tels que la Norvège, le Qatar, Singapour et les Émirats arabes unis représentent des multiples de deux à cinq fois, voire plus, du PIB de leur pays, ce qui témoigne de leur importante diversification internationale et de leur efficacité. Toutefois, les actifs sous gestion d’un fonds souverain ne doivent pas être si important que le fonds devienne ingérable ou qu’il perde sa souplesse et sa capacité de gestion active des investissements en cas de besoin. Ces actifs (c’est-à-dire cette épargne intergénérationnelle) doivent continuer à croître grâce à des cash-flows régulier tels que les dividendes, les revenus récurrents des ressources naturelles provenant de l’État, le produit des privatisations, ainsi que grâce à la préservation du capital et à des rendements raisonnables et durables ajustés au risque.

Performance financière

La performance financière d’un fonds souverain peut être mesurée à l’aide de paramètres comptables traditionnels tels que les bénéfices annuels comparés dans le temps, et les paramètres habituels de gestion de portefeuille et d’investissement tels que les ratios de Sharpe et les rendements annuels nominaux et réels. Le ratio de Sharpe mesure la performance d’un investissement par rapport à un actif sans risque après ajustement du risque.

Gestion des risques

L’analyse des risques, les contrôles internes et la conformité sont essentiels du point de vue de la gestion et de l’atténuation des risques. Tout comme la mesure des performances, l’analyse des risques des fonds souverains comprend des paramètres comptables tels que les provisions pour actifs non performants dans des catégories d’actifs telles que le capital-investissement, le capital-risque et la dette privée. L’analyse des risques est également mesurée à l’aide d’indicateurs traditionnels de portefeuille et d’investissement. Ces mesures comprennent l’allocation des actifs, la diversification par classes d’actifs, secteurs et régions géographiques, les tests de résistance et l’analyse de scénarios, la volatilité des rendements et les niveaux de corrélation au sein du portefeuille global. En outre, les analystes doivent examiner les différents types de risques, notamment les risques de marché, de taux d’intérêt, de change, de liquidité, de concentration, d’événement et les risques opérationnels.

Les différences entre ces paramètres dépendent des spécificités du mandat du fonds souverain. Par exemple, le fonds souverain de l’Azerbaïdjan (SOFAZ) doit être investi à 100 % en dehors de son pays. Son niveau de diversification géographique serait différent de celui du fonds souverain de Djibouti, par exemple, dont au moins 40 % des investissements doivent être réalisés dans son pays ou son économie.

Analyse comparative

Contrairement aux sociétés de gestion d’actifs et d’investissement du secteur privé, les fonds souverains ne devraient pas être guidés par les rendements à court et à moyen terme étant donné qu’ils sont axés sur le long terme. Toutefois, un fonds souverain doit disposer d’un tableau de bord des performances absolues et relatives et ce pour deux raisons. Tout d’abord, il doit être en mesure de comparer ses performances financières à celles de ses homologues et de son secteur d’activité ou de sa catégorie d’actifs, en particulier ceux dont le mandat et la taille sont relativement similaires. Deuxièmement, un fonds souverain doit évaluer les performances de son équipe d’investissement, en particulier celles du directeur des investissements (CIO) et du directeur général (CEO), qui sont responsables en dernier ressort des performances globales de l’équipe et du fonds.

Facteurs qualitatifs

Un autre groupe de conditions préalables au succès des fonds souverains est constitué de facteurs qualitatifs.

Leadership et volonté politique

Le leadership et la volonté politique sont les premières conditions préalables à la création d’un fonds souverain. En effet, il s’agit d’un fonds d’investissement appartenant à l’État, responsable des actifs appartenant à l’État, qui se heurte souvent à la réticence des personnes qui ne comprennent pas les mérites d’une telle initiative historique. Cette situation exige des dirigeants et une volonté politique pour donner une vision et une orientation au fonds, obtenir le soutien du public en veillant à ce que les citoyens comprennent les avantages et les objectifs d’un tel instrument, surmonter des difficultés telles que les contraintes budgétaires et les obstacles bureaucratiques, maintenir un engagement en faveur des objectifs à long terme du fonds sans interférer avec ses opérations pour des gains politiques à court terme, et atténuer les risques politiques en le protégeant de l’influence et de l’interférence d’intérêts politiques et particuliers.

Un cadre réglementaire clair, détaillé et transparent

Un cadre réglementaire clair, détaillé et transparent est une autre condition préalable essentielle à la mise en place d’un fonds souverain et à l’évaluation de son efficacité. Il s’agit notamment de clarifier le mandat et la gouvernance du fonds, de fournir des lignes directrices claires sur les types d’investissements qui peuvent ou ne peuvent pas être réalisés, et de respecter les exigences en matière d’information, de communication et de transparence.

Alignement sur le mandat et les objectifs du fonds souverain

Un premier indicateur de l’efficacité d’un fonds souverain est son adéquation avec son mandat et ses objectifs. Les mandats et les objectifs les plus courants des fonds souverains sont de gérer une partie des actifs financiers du pays, constituer une épargne intergénérationnelle, attirer des co-investisseurs internationaux, réussir l’indépendance financière du pays, promouvoir la stabilité financière et améliorer les performances économiques.

Une stratégie d’investissement solide

Une stratégie d’investissement solide est essentielle pour maximiser les rendements tout en gérant des risques informés et mesurés et en atteignant les objectifs globaux d’un fonds souverain. Cette tâche est accomplie par le biais d’un portefeuille bien diversifié, composé de plusieurs catégories d’actifs, de plusieurs secteurs et de plusieurs zones géographiques. En tant qu’instruments d’investissement à long terme, les fonds souverains doivent se concentrer sur les objectifs à long terme et le capital patient, tout en gérant les attentes à court terme des principales parties prenantes telles que les gouvernements et les citoyens. Les principales catégories d’actifs sont généralement : (1) les actions (cotées et privées), (2) les titres à revenu fixe (cotés et privés), (3) les infrastructures (si elles ne font pas partie du portefeuille de capital-investissement d’un fonds souverain), (4) l’immobilier, (5) les matières premières (en particulier l’or comme protection contre l’inflation et les risques croissants associés à la monnaie fiduciaire) et (6) les liquidités et les équivalents de liquidités.

En fonction des ressources et des compétences de l’équipe d’investissement interne, l’exposition à ces catégories d’actifs se fera par le biais d’une combinaison d’exposition directe et de gestionnaires de fonds externes spécialisés dans ces domaines sous la forme de fonds : fonds ‘‘simples’’, ‘‘hedge funds’’, fonds spéculatifs, fonds à rendement absolu, fonds d’actions, fonds obligataires, fonds multi-stratégies, fonds-de-fonds et fonds négociés en bourse (ETF). Les stratégies d’investissement typiques des fonds souverains comprennent une combinaison de gestion active des investissements pour profiter des opportunités et des changements dans les conditions du marché, ainsi que de gestion passive des investissements pour les avantages évidents de la rotation réduite des portefeuilles et l’aptitude à l’investissement à long-terme.

Gouvernance et facteurs ESG

Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont devenus la norme dans le monde de l’investissement. Cette situation est d’autant plus vraie pour les fonds souverains qui doivent donner l’exemple, intégrer le cadre ESG dans leur processus d’investissement et fixer les normes les plus élevées dans leur pays et au niveau international avec leurs pairs, y compris au sein d’organisations telles que l’IFSWF (l’organisme international des fonds souverains) qui a adopté les principes de bonne gouvernance de Santiago. La bonne gouvernance conduit en fin de compte à des investissements socialement responsables, impactants, éthiques et respectueux de l’environnement. Au cours des 20 dernières années, l’investissement socialement responsable (ISR) a évolué vers l’investissement ESG et l’investissement d’impact, la tendance récente étant d’ajouter les 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies à l’équation de l’investissement mondial.

La bonne gouvernance comprend aussi l’absence d’ingérence politique et la séparation des rôles et des responsabilités exécutives du Directeur Général et de l’équipe de direction de ceux du Président du conseil d’administration et du conseil d’administration qui doivent être non-exécutifs. Idéalement, 50 % des membres du conseil d’administration devraient être des administrateurs internationaux indépendants ayant une expérience pertinente par rapport au mandat et aux objectifs du fonds souverain. La bonne gouvernance doit également s’appuyer sur les meilleures pratiques internationales en matière d’éthique, de transparence, de transparence et de communication d’information. La bonne gouvernance nécessite également une communication régulière et efficace avec l’ensemble des parties prenantes telles que le gouvernement et les citoyens afin de gagner et de conserver la confiance du public. Enfin de compte, les fonds souverains représentent la richesse des citoyens à court, moyen et long-terme et doivent être gérés dans cette optique.

Ressources humaines

Dans un avenir proche, l’intelligence artificielle (IA) ne pourra pas remplacer l’intelligence humaine dans la gestion des fonds souverains. Bien que le capital financier soit important pour constituer une épargne intergénérationnelle grâce à un portefeuille d’investissement bien diversifié, un capital humain compètent et expérimenté est la clé d’une gestion efficace et réussie. Par conséquent, la mise en place d’une équipe de direction efficace, compétente et stable, dirigée par un Directeur Général doté d’une expertise de classe mondiale en matière d’investissement, de leadership et de gestion, et d’une équipe d’investissement dotée d’une expérience pertinente et suffisante, est essentielle pour qu’un fonds souverain puisse atteindre ses objectifs.

L’équipe d’investissement, dirigée par un responsable des investissements, est le principal moteur de tout fonds souverain et de toute institution de gestion des investissements (c’est-à-dire “buy-side”). Cette équipe doit être composée de personnes compétentes qui présentent une diversité complémentaire et qui possèdent une expérience de haut niveau en matière d’analyse financière et d’investissement. Le recrutement et la fidélisation des meilleurs talents sont des tâches essentielles. Pour ce faire, il faut offrir des rémunérations et des incitations compétitives au niveau international, investir dans la stabilité et la formation continue du capital humain et assurer la profondeur des équipes d’investissement et de services d’appui d’un fonds souverain.

Impact sur l’ensemble du pays

L’efficacité d’un fonds souverain peut également être évaluée en fonction de son impact général sur le pays, l’économie et les citoyens. En fonction des priorités du fonds souverain, cet impact peut varier d’un pays à l’autre. Toutefois, les fonds souverains des pays en développement et des pays émergents sont censés :

• Contribuer à la diversification et à la stabilité de leur économie et réduire le risque de leur pays en s’éloignant des secteurs dominants tels que les ressources naturelles et les activités portuaires.

• Stimuler les investissements, notamment par le biais de co-investissements dans le cadre de l’IDE, afin de rehausser l’image internationale du pays et de stimuler la croissance économique.

• Créer de nouveaux secteurs comme moteurs de la croissance future.

• Augmenter les exportations.

• Créer de nouvelles opportunités d’emploi (directes et indirectes).

• Renforcer la résilience budgétaire et la solidité financière afin d’assurer l’indépendance financière du pays.

• Promouvoir une prospérité et un développement socioéconomique inclusifs et durables.

ÉTUDE DE CAS : LE FONDS SOUVERAIN DE DJIBOUTI

Comme Singapour, Djibouti n’est pas doté de ressources naturelles connues et abondantes. Pourtant, le premier est bien connu pour avoir, entre autres, créé deux des institutions souveraines d’investissement les plus efficaces et les plus performantes au monde au cours des 50 dernières années, à savoir Temasek en 1974 et GIC en 1981. Les deux pays partagent d’autres similitudes, comme leur situation géographique exceptionnelle, l’un en Asie et l’autre dans la Corne de l’Afrique, qui leur a permis de construire une infrastructure portuaire de classe mondiale. Singapour a plusieurs décennies d’avance sur Djibouti en matière de développement social et économique. Le modèle économique de Djibouti s’inspire dans une certaine mesure de celui de Singapour, puisqu’il vise à réduire sa dépendance excessive aux activités portuaires et à diversifier son économie dans le cadre de la “Vision 2035” de Son Excellence Monsieur Ismail Omar Guelleh, son président. Ce modèle inclut le lancement d’une institution d’investissement souveraine (Le Fonds Souverain de Djibouti), comme Singapour l’a fait avec Temasek en 1974. Le gouvernement a créé le Fonds Souverain de Djibouti (FSD) en mars 2020. Il bénéficie de l’avantage de pouvoir prendre du recul et apprendre des expériences de la plupart des fonds souverains du monde qui ont été créés au cours des dernières décennies. Il n’est donc pas nécessaire de “réinventer la roue” pour Djibouti. Il s’agit de regarder l’histoire des autres pays sur ce sujet et de tirer les leçons des erreurs et des réussites pour structurer son fonds souverain.

En ce qui concerne la transparence et le cadre réglementaire, la loi sur le Fonds Souverain de Djibouti du 29 mars 2020 présente de façon transparente tous les détails de ce fonds souverain, ce qui permet aux observateurs nationaux et internationaux de comparer ce qui a été promis sur le papier à la réalité. La FSD communique publiquement et régulièrement sur tous les développements. Tous ces éléments contribuent à la création d’un fonds souverain efficace. La loi sur la FSD s’est inspirée des fonds souverains existants et performants dans le monde entier et a posé les bases essentielles nécessaires à l’efficacité du fonds souverain du pays, comme nous le verrons ci-dessous.

Objectif et mandat

Le FSD est un fonds d’investissement national qui sert d’instrument d’épargne à long terme, préservant et augmentant la valeur de la richesse du pays pour les générations futures.

Objectifs

La FSD a un double objectif : le développement et l’investissement. Son objectif de développement est de promouvoir (1) la croissance économique par le biais de divers projets dans des secteurs prioritaires, conduisant à un impact positif sur l’économie et à sa diversification, (2) la création d’emplois et (3) le développement économique durable. Les secteurs prioritaires comprennent la technologie et l’économie numérique, les services financiers, la logistique, l’industrie manufacturière, l’énergie renouvelable, les infrastructures, l’immobilier, le tourisme, la santé, l’agriculture, la pêche et les ressources naturelles. Cependant, la FSD n’investira pas dans les jeux d’argent, les armes et la défense, le tabac et l’alcool. Son objectif est de constituer un portefeuille d’investissement diversifié au niveau national et international dans toutes les catégories d’actifs, tous les secteurs et toutes les zones géographiques. Les classes d’actifs comprennent l’ensemble des actifs tangibles tels que l’immobilier et les infrastructures, et les actifs financiers tels que les actions cotées et privées, la dette cotée et privée et les fonds.

Ressources financières

La FSD a d’abord été dotée de certaines des principales entreprises publiques du pays, telles que le champion national des télécommunications, Djibouti Telecom. Cette approche était similaire à la manière dont Temasek de Singapour a commencé avec un actif vital dans Singapore Telecom en 1974. Ces actifs représentent environ 30 % du PIB de Djibouti en valeur comptable, mais beaucoup plus en valeur de marché. Ces actifs très rentables du fonds fournissent des revenus récurrents inestimables sous forme de dividendes. La FSD reçoit également 20 % des revenus annuels de diverses bases militaires étrangères basées à Djibouti, ce qui reflète la situation géographique exceptionnelle du pays, sa sécurité et sa stabilité dans la Corne de l’Afrique. En outre, la FSD est chargé de gérer 60 % des fonds de la caisse nationale de sécurité sociale du pays en échange de frais de gestion annuels. Ces flux de revenus annuels récurrents, comme les revenus du pétrole et du gaz pour les pays riches en hydrocarbures, mais non-volatiles et stables par rapport aux revenus des matières premières, sont vitaux pour l’existence et le succès du FSD. Le FSD doit utiliser ces fonds pour diversifier l’économie du pays et accroître l’épargne intergénérationnelle grâce à un portefeuille bien diversifié.

Ressources humaines

La loi sur le FSD est axée sur l’importance, le rôle et les responsabilités du Directeur Général en tant que leader, gestionnaire et porte-parole du fonds souverain de Djibouti en tant qu’institution, et en tant que gestionnaire d’investissement et de personnel expérimenté. Les hautes autorités de Djibouti ont souligné que le capital humain est vital pour le succès du FSD et qu’il est important d’attirer et de retenir les meilleurs talents djiboutiens et panafricains pour développer, gérer, diriger et réussir le FSD.

Cette vision des ressources humaines est conforme à celle de la plupart des fonds souverains qui ont réussi. Par exemple, l’équipe de l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) de renommée mondiale gère environ 850 milliards de dollars et emploie près de 2 000 personnes. Environ 25 % des employés sont des Émiratis, le reste étant constitué de compétences internationales et d’un faible taux de rotation du personnel. Les autorités djiboutiennes ont fait le choix de la transparence et de la méritocratie et se sont appuyées sur des cabinets de recrutement internationaux pour attirer les meilleurs talents nationaux et internationaux afin de garantir et d’accélérer l’efficacité et le succès de la FSD.

Leadership, volonté politique, contrôle et gouvernance

Contrairement à de nombreux fonds souverains dont la tutelle incombe au ministère des finances ou à la banque centrale d’un pays, c’est la Présidence de Djibouti qui assure le leadership, la volonté politique et la tutelle du FSD. Cette approche permet d’éviter la bureaucratie du secteur public et favorise un processus de prise de décision beaucoup plus efficace et efficient pour un fonds souverain. La Présidence s’appuie sur la gouvernance et le retour d’information fournis par le conseil d’administration du FSD, un commissaire aux comptes indépendant et l’inspection générale de l’état.

Outre ce niveau élevé de contrôle, la FSD dispose d’un conseil d’administration, y compris d’un comité d’audit. Le conseil d’administration est composé de huit membres, dont cinq fonctionnaires clés tels que le ministre des finances et de l’économie et le gouverneur de la banque centrale. Les trois autres administrateurs non exécutifs sont des personnes indépendantes et expérimentées au niveau international.

La FSD dispose d’un commissaire aux comptes indépendant qui vérifie et approuve ses comptes annuels. Cet audit est suivi d’un audit externe annuel supplémentaire réalisé en collaboration avec l’inspection générale de l’état.

Gestion des performances et des risques

Le management du FSD a été recruté à l’issue d’un processus de sélection national et international approfondi mené par un cabinet de recrutement de premier plan. Cette compétence internationale apporte les meilleures pratiques mondiales, une crédibilité immédiate et une expérience pertinente dans le secteur de la finance internationale et de l’investissement. Djibouti n’a pas de marchés financiers, à l’exception d’une douzaine de banques commerciales. Les compétences internationales accélèrent la réussite du FSD et lui permettent d’être au même pied d’égalité avec les acteurs internationaux tels que les investisseurs directs étrangers et les autres institutions d’investissement souveraines.

RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS

Ce chapitre examine comment structurer un fonds souverain efficace. Plusieurs pays ont créé de nombreux fonds souverains au cours des huit dernières décennies. On dispose donc de nombreux éléments pour étudier ce secteur important et recommander la manière de structurer un fonds souverain efficace. Les fonds souverains représentent la richesse des citoyens à court, moyen et long-terme et doivent être gérés en conséquence pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés, tels que la réalisation et le maintien de l’indépendance financière d’un pays. Les fonds souverains ont changé la donne pour un meilleur avenir de leurs pays, de leurs économies et de leurs populations.

Plusieurs dénominateurs communs caractérisent les fonds souverains efficaces. Il s’agit de facteurs quantitatifs tels que des ressources financières relativement importantes, des performances financières et une gestion des risques, et de facteurs qualitatifs tels qu’une stratégie d’investissement solide, un capital humain compètent et stable, une bonne gouvernance et un impact important sur le pays.

Ce chapitre a présenté le fonds souverain de la République de Djibouti, un pays africain en développement relativement petit, comme une étude de cas pratique qui comble le fossé entre la théorie et le monde réel. Certains pays pourraient s’inspirer de ce fonds pour créer leurs fonds souverains.

QUESTIONS DE DISCUSSION

1. Identifier les raisons de la création d’un fonds

souverain.

2. Identifier plusieurs facteurs quantitatifs qui contribuent à structurer un fonds souverain efficace.

3. Identifier plusieurs facteurs qualitatifs qui contribuent à structurer un fonds souverain efficace.

4. Expliquer pourquoi le Fonds souverain de Djibouti est efficace.

Biographie du Dr. Slim Feriani

Dr. Slim Feriani est le Directeur Général du Fonds Souverain de Djibouti et Président du Conseil d’Administration de Djibouti Télécom.

Il a été Ministre de l’Industrie, de l’Énergie, Mines, Énergies Renouvelables et PME de la Tunisie (2017-2020).

Dr. Feriani a travaillé dans plusieurs institutions de services financiers au Royaume-Uni, telles que la banque d’investissement Nomura International et les sociétés de gestion d’actifs Martin Currie Investment Management (rachetée par Franklin Templeton), Advance Emerging Capital (rachetée par Aberdeen Asset Management) et GCA Asset Management (devenu ensuite Gulf Central Merchant Bank).

Dr. Feriani a occupé des postes de direction, notamment ceux de Chairman, CEO (Directeur Général) et Chief Investment Officer (Responsable des Investissements), ainsi que des postes de membre du Conseil d’Administration de sociétés cotées en bourse et privées.

Hautement multiculturel, ayant la double nationalité Britannique et Tunisienne, Dr. Feriani a vécu et travaillé aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Tunisie. Il a couvert et investi dans environ 90 pays et visité plus de 60 d’entre eux.

Parlant couramment l’anglais, le français et l’arabe, Dr. Feriani est titulaire d’un MBA et d’un Ph.D. (Doctorat d’État Américain) en finance, investissement et finance internationale de l’université George Washington à Washington D.C., où il a donné des cours dans ces domaines et a siégé au conseil consultatif de son école de commerce.