Nous nous sommes entretenues avec l’ingénieur Abdoulkadir Mohamed Djama sur le projet d’aquaculture du site de Douda. Abdoulkadir Mohamed Djama est ingénieur en pêche et aquaculture au ministère de l’Agriculture, de l’Eau, de la Pêche et de l’Elevage, chargé des Ressources Halieutiques.

La Nation : L’aquaculture et la production de poissons sont  souvent pratiquées en Asie. Pourquoi cette activité  aujourd’hui chez nous ?

Ingénieur Abdoulkadir Mohamed Djama : L’aquaculture est le terme générique qui désigne toutes les activités de production animale ou végétale en milieu aquatique. L’aquaculture se pratique dans des rivières ou dans des milieux artificiels (cas de notre ferme), en bord de mer. On parle dans ce cas de «cultures marines» ou de “ mariculture”.

L’aquaculture est une source vitale de nourriture, de nutriments et d’emplois pour des millions de personnes, dont beaucoup parviennent difficilement à en tirer des moyens d’existence décents. La production aquacole ayant considérablement augmenté, en particulier ces 20 dernières années, il est devenu plus facile d’avoir des apports alimentaires nutritifs et diversifiés. Source précieuse de nutriments et de micronutriments essentiels pour des régimes sains et variés, les produits aquacultures sont indispensables pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle nationale.

Djibouti a validé en 2012 sa première stratégie nationale de développement de l’aquaculture marine et de la pêche. L’élaboration de cette stratégie, qui a bénéficié de l’expertise et du soutien financier de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a pour objectif d’orienter les interventions de l’Etat et des partenaires au développement dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture au cours des prochaines années. Pour le ministère de l’Agriculture, de l’Eau, de la Pêche et de l’Elevage et Chargé des Ressources Halieutiques, il s’agit surtout de compléter les initiatives du gouvernement pour le développement de l’agriculture et la sécurité alimentaire avec son plan national d’investissement agricole.

Imaginez une production alimentaire qui contribue à la santé des écosystèmes et non à leur dégradation. Imaginez une ferme verticale peu encombrante, qui utilise l’intégralité de la colonne d’eau pour produire simultanément des crustacés et des algues. Si cette ferme est implantée à proximité de l’embouchure d’un estuaire, les bivalves filtrent les impuretés tandis que les algues absorbent le surplus d’azote résultant de la pollution côtière, comme les ruissellements. La ferme est conçue de sorte à procurer une zone de frai aux espèces locales de poissons et de crustacés qui peuvent ainsi se développer. Elle s’acquitte ainsi en partie de la fonction écologique autrefois remplie par les récifs de coquillages. Un recours accru aux principes écologiques peut également améliorer la conception et la localisation des fermes piscicoles marines.

Quelles sont les espèces de poissons que vous privilégiez pour l’élevage mais aussi quelle est la qualité nutritionnelle du poisson d’élevage?

L’élevage d’un poisson ou d’un crustacé s’adresse à un nombre relativement restreint d’espèces. Tous les poissons ou crustacés ne peuvent convenir à un élevage. Nous élevons des mérous pour le moment. Les mérous sont très largement répandus dans les eaux chaudes et tempérées de toutes les mers et océans, mais c’est en Asie que leur élevage est le plus avancé. Cela tient d’abord à leur haute valeur commerciale pour la consommation avec, un marché demandeur de poissons vivants pour la restauration chinoise haut de gamme. Par exemple, un poisson de deux kilos, préparé, peut coûter 230 €. Les qualités organoleptiques des mérous ne sont pas les seules qui soient appréciées.

En élevage, leur robustesse en milieu surpeuplé et leur croissance rapide à température élevée en font de bonnes espèces pour l’aquaculture. Mais c’est surtout l’insuffisance des apports de la pêche pour répondre à la forte demande du marché qui motive l’élevage. Pour qu’ils se prêtent à l’élevage, il faut :

– Une bonne adaptation au climat : l’adaptation au climat est une condition qui limite l’emploi des espèces d’eau froide ou d’eau chaude. Il doit supporter le climat de la région où on désire l’élever.

– Un taux de croissance élevé : l’espèce destinée à la consommation doit atteindre rapidement une taille suffisante.  Son taux de croissance doit être suffisamment élevé. Il en résulte que les petites espèces de poissons ne conviennent pas à l’élevage, même si elles se reproduisent facilement et si elles acceptent le nourrissage.

– Un régime alimentaire plastique : Il est avantageux que l’espèce ait une chaîne alimentaire courte, afin de réduire au maximum les pertes d’énergie résultant du passage d’un chaînon de la production au suivant. Les poissons les plus intéressants à cet égard sont les poissons phytophages, plancton phages, microphages ou se nourrissant de détritus. Ces mêmes poissons présentent en outre l’avantage d’être tolérants à l’égard d’autres espèces et de permettre ainsi le mélange des espèces.

– Une reproduction facile : Afin d’assurer un approvisionnement facile et certain, il est hautement souhaitable que l’espèce se reproduise en captivité, qu’elle puisse le faire sans demander des conditions particulièrement difficiles à remplir et qu’elle donne un nombre assez élevé d’œufs. L’espèce ne peut être réellement domestiquée que si elle en est ainsi.

– L’aptitude à l’alimentation artificielle : Afin d’obtenir des productions quantitatives élevées, il est nécessaire que les sujets d’élevage acceptent en abondance une alimentation artificielle à bon marché. L’utilisation d’espèces remplissant cette condition est particulièrement intéressante car elle permet d’obtenir des productions très élevées.

– Une bonne valeur de la chair pour la consommation : Il est indispensable que l’espèce d’élevage soit au goût du consommateur.

–  L’acceptation d’une bonne densité d’élevage : La possibilité de pratiquer un élevage suffisamment dense est requise. Les meilleures espèces sont celles à mœurs sociales ou grégaires

– Une bonne résistance : Les animaux d’élevage doit être résistants aux manipulations et au transport et ne pas être trop vulnérables aux maladies d’élevage.Peu d’espèces de poissons et crustacés répondent à l’ensemble et même à la plupart de ces exigences.

 Pensez-vous qu’un jour l’aquaculture constituera ici une des réponses apportées à la surpêche et au besoin croissant en poissons ?

Depuis 40 ans, les ressources de la mer surexploitées régressent de façon inquiétante. Selon les estimations de la FAO, 75 % des stocks maritimes de poissons sont surexploités ou en passe de l’être. A cette surpêche, viennent se superposer les problèmes liés au réchauffement climatique et à la pollution des océans. Pour les plus alarmistes, la mer sera vide en 2050.

Oui, l’aquaculture est l’une des réponses apportées à la surpêche et au besoin croissant en poissons. Capturer une tonne de poissons coûte de plus en plus cher. Il faut des navires de plus en plus performants, capables de longs déplacements, fortement équipés…l’effort de pêche va en s’intensifiant… Les stocks naturels sont soit surexploités dangereusement, soit en diminution. Et ce recul touche d’abord les espèces à forte valeur commerciale, qu’il s’agisse de la morue atlantique, du lieu, du thon rouge tropical, du vivaneau, du mérou ou des crevettes…Dans le même temps, la croissance démographique mondiale est telle, que l’on sait que la pêche sans possibilité de progression ne suffit plus à satisfaire la demande en produits halieutiques.

L’aquaculture et la pisciculture constituent une réponse à cette demande croissante. L’aquaculture est donc une activité encore jeune qui se développe  de plus en plus rapidement, parallèlement à l’évolution de la demande de poisson en fonction du nombre de consommateurs, de leurs habitudes de consommation, de leur revenu disponible et du prix du poisson.

Selon la FAO, la part de l’aquaculture devra impérativement croître au cours des prochaines décennies pour faire face à l’évolution démographique.

 Propos recueillis par Djibril Abdi Ali