La combinaison des chocs – les réactions en chaîne déclenchées par la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et les graves catastrophes naturelles ont érodé les gains de développement de l’Afrique, avec pour conséquences 149 millions d’Africains auparavant non pauvres désormais confrontés au risque de basculer dans la pauvreté. Le nombre croissant de nouveaux pauvres et de personnes vulnérables rend la tâche de réduire l’écart entre les riches et les pauvres plus difficile. L’Afrique représente désormais la plus grande part de pauvres du monde. Cela a inévitablement un impact considérable sur la réalisation des Objectifs de développement durable et la vision de l’Union africaine : «l’Afrique que nous voulons ».

Les crises, aussi décourageantes soient-elles, offrent une opportunité aux ministres africains des finances, de la planification et du développement économique réunis à Addis-Abeba du 15 au 21 mars 2023, de fournir des efforts concertés pour trouver des solutions concrètes. La Conférence des Ministres africains des finances, tenue sous le thème, « Favoriser la reprise et la transformation en Afrique pour réduire les inégalités et les vulnérabilités », devrait déboucher sur des actions à long terme qui propulseront le continent sur la voie de la prospérité.

Dans un premier temps, il est nécessaire de prendre des mesures concrètes pour réduire le coût élevé du commerce, et ce, afin de faciliter l’accès à des biens abordables pour les ménages pauvres durement touchés qui perdent des avantages en matière de santé, d’éducation et d’opportunités.

Il est également temps d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en tant que levier puissant de réduction de la pauvreté. Les promesses de la ZLECAf concernent tous les secteurs économiques, et ouvrent une nouvelle voie vers une croissance généralisée.

D’après les estimations de la CEA, le secteur agroalimentaire, essentiel pour surmonter les vulnérabilités associées à l’insécurité alimentaire pour plus de 300 millions d’Africains, générera 43,3 milliards de dollars américains supplémentaires de revenus commerciaux d’ici 2045, si la mise en œuvre de l’Accord était accélérée.

Les opportunités abondent également dans les secteurs des produits pharmaceutiques, des véhicules et matériel de transport, des métaux et produits textiles, ainsi que dans l’habillement et le cuir.

 De plus, tous les efforts doivent être faits pour intégrer l’action climatique actuelle dans l’élaboration et la mise en œuvre de toutes les politiques. Nous vivons les effets dévastateurs des évènements climatiques qui ont entraîné la migration et le déplacement de quelque 85 millions de personnes dans la région. La hausse des températures a déjà contribué à réduire d’un tiers la croissance moyenne de la productivité agricole, tandis que les économies bleues des 38 pays côtiers du continent sont confrontés à des menaces liées au climat.

La crise climatique n’est pas une question marginale. Elle accentue la pauvreté par son impact sur les vies, les moyens de subsistance et les économies.

Les gouvernements peuvent financer le développement par le biais de financements verts innovants, tels que l’investissement dans la séquestration basée sur la nature, cette dernière pouvant fournir jusqu’à 30 % des besoins mondiaux de séquestration. À 120 dollars américains par tonne de carbone, près de 82 milliards de dollars américains par an peuvent être mobilisés à partir de crédit carbone basés sur la nature en Afrique.

Avant tout, sortir le continent des crises nécessitera de résoudre les erreurs fondamentales qui sous-tendent l’architecture financière internationale et d’agir sur des réformes durables. Selon les termes du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, « les multiples crises d’aujourd’hui aggravent les chocs sur les Pays en développement – en grande partie à cause d’un système financier mondial injuste, à court terme, sujet aux crises et qui exacerbe encore les inégalités ». La réforme du système est essentielle pour réduire le rétrécissement de l’espace budgétaire et permettre aux pays africains d’accéder à un financement à long terme abordable avec de meilleures conditions de prêts des banques multilatérales de développement, dans un contexte de risques croissants de surendettement.

Ces fonds sont nécessaires à un nouveau cycle de croissance durable et à un climat d’affaires et d’innovation revigoré. Ils sont également nécessaires pour répondre aux besoins les plus urgents des pauvres, par exemple par le biais de mesures de protection sociale. En outre, l’allégement du service de la dette et la restructuration des pays les plus pauvres les plus touchés et l’extension de l’Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) du G20 contribueront à créer l’espace budgétaire pour les dépenses urgentes nécessaires.

Plaider en faveur d’un cadre commun du G20 modifié est un travail long et complexe dont les ministres africains ne doivent pas se lasser. Le continent a besoin d’une restructuration de la dette efficace, accélérée et à grande échelle. L’augmentation du volume des prêts par les banques multilatérales de développement, y compris celui des prêts concessionnels, pourrait changer la donne pour les pays en difficulté.

Et cela en augmentant leurs fonds propres, en tirant mieux parti des capitaux existants et en mettant en œuvre les recommandations de l’Examen du régime d’adéquation des fonds propres du G20, et en réorientant les Droits de tirage spéciaux (DTS) via les Banques multilatérales de développement (BMD). En outre, tant que les pays africains auront besoin de ressources urgentes, la Relance des ODD du Secrétaire général nécessitera également une nouvelle émission de DTS, ce qui entraînera des taux de rendement économique élevés sur le développement durable.

Les décideurs politiques africains peuvent s’inspirer de cette 55e session de la Commission économique pour l’Afrique, en vue des réunions au printemps de la Banque mondiale et du Fond monétaire international, et ce pour faire pencher la balance vers un changement significatif et durable pour des millions de personnes auparavant non pauvres et pour les pauvres risquant la vulnérabilité chronique.

Antonio Pedro, Secrétaire exécutif

par intérim de la Commission économique pour l’Afrique