
Dans ce numéro, La Nation Focus consacre un dossier spécial à un fléau qui continue de faire des ravages : le tabac. Présent depuis des siècles, il tue, appauvrit et asservit des millions de personnes à travers le monde. Dans nos sociétés, il séduit toujours, malgré les avertissements. Entre dépendance, maladies et illusions marketing, ce poison silencieux frappe toutes les générations. Pour mieux comprendre ses dangers, nous avons aussi interviewé un médecin spécialiste.

« Le tabac tue à petit feu, mais vide aussi les poches »
Il se glisse entre les doigts, se consume en quelques minutes, libère une fumée bleue… et s’en va, laissant derrière lui une trace bien plus tenace : celle d’un poison lent qui ronge la santé, ruine les budgets familiaux et sème la mort silencieusement. Le tabac, présent dans nos sociétés depuis des siècles, continue de faire des ravages malgré les avertissements clairs, les campagnes de prévention et les images chocs imprimées sur les paquets. Aujourd’hui, plus qu’hier, les chiffres sont implacables : le tabac tue un fumeur régulier sur deux. Mais au-delà de la mortalité qu’il engendre, il appauvrit, il asservit et il trompe même les plus jeunes, séduits par ses versions modernes : la cigarette électronique et le narguilé nouvelle génération. La Nation Focus est consacré à ce poison.

Un poison ancien, des connaissances modernes
Pendant longtemps, fumer relevait d’un geste de convivialité ou d’un simple effet de mode. Autrefois, peu savaient que la fumée grise qui s’échappait des cigarettes était chargée de substances chimiques hautement nocives : monoxyde de carbone, goudron, arsenic, ammoniac… Au total, plus de 5 000 substances chimiques sont présentes dans la fumée d’une cigarette. Parmi elles, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) en identifie au moins 70 comme cancérigènes avérés : benzène, formaldéhyde, arsenic, cadmium, hydrocarbures aromatiques polycycliques ou encore nitrosamines spécifiques du tabac.
Il n’existe pas de seuil de consommation « sans danger ». Une seule cigarette contient déjà suffisamment de nicotine pour déclencher une dépendance physique et psychologique qui, elle, est bien réelle et difficile à briser. Pourquoi est-il si difficile d’arrêter ? Parce que la dépendance est multiforme. La première, la plus connue, est physique : elle est causée par la nicotine. Cette substance agit comme un narcotique, stimulant le cerveau, provoquant un plaisir immédiat, mais rendant l’organisme rapidement dépendant. Privé de sa dose, le corps réagit : irritabilité, nervosité, troubles du sommeil, déprime, difficultés de concentration, et ce besoin irrépressible de « tirer une bouffée » pour calmer le manque.
À cela s’ajoute la dépendance psychologique. Pour beaucoup, la cigarette devient un refuge, un moyen de gérer le stress, la colère, la fatigue ou même l’ennui. Elle est associée à une pause, un moment de réconfort, parfois même à une image de convivialité.
Enfin, il y a l’aspect comportemental et social : l’habitude de fumer en groupe, à certaines heures, dans certains lieux, avec certaines personnes. Le fumeur associe inconsciemment la cigarette à un café, une sortie, une fête, une discussion entre amis. C’est pourquoi arrêter de fumer ne consiste pas seulement à renoncer à la nicotine, mais aussi à désapprendre tout un rituel.
Première cause de mortalité évitable
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le rappelle : le tabac est aujourd’hui la première cause de décès évitable dans le monde. Chaque année, plus de 8 millions de personnes meurent des suites du tabagisme. À lui seul, il est responsable d’un cancer sur trois. Le plus redouté est le cancer du poumon : 90 % des cas sont dus à la consommation de tabac, qu’elle soit active ou passive. Mais la liste est longue : gorge, bouche, lèvres, pancréas, reins, vessie, utérus, œsophage… Quand le tabac rencontre l’alcool, les effets se multiplient, décuplant les risques de tumeurs.
Mais le danger ne s’arrête pas aux cancers. Le tabac est un facteur majeur de maladies cardiovasculaires : infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux (AVC), anévrismes, artérite des membres inférieurs, hypertension artérielle. Sur le plan respiratoire, il provoque bronchites chroniques, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), emphysème, pouvant évoluer vers une insuffisance respiratoire irréversible.
Et ce n’est pas tout : ulcères, gastrites, diabète de type II, troubles de la fertilité, complications pendant la grossesse, vieillissement prématuré de la peau, dents jaunies, mauvaise haleine, affaiblissement de la vision et de l’ouïe… La liste est interminable.
Si ses effets sur la santé sont catastrophiques, le tabac est aussi un fléau économique, surtout pour les plus pauvres. Dans de nombreux pays en développement, le tabagisme est plus répandu parmi les populations les plus modestes. Un paradoxe terrible : malgré des revenus faibles, une part non négligeable est consacrée à l’achat de cigarettes, au détriment des besoins essentiels : nourriture, logement, éducation, soins médicaux.
C’est un cercle vicieux : fumer rend malade, et la maladie coûte cher. Elle prive les familles de revenus lorsque le fumeur tombe malade ou meurt prématurément, laissant souvent derrière lui une famille démunie. L’argent gaspillé en cigarettes pourrait nourrir, soigner ou instruire ; à la place, il brûle au bout d’un mégot. Des études ont montré que dans certaines familles pauvres, les dépenses liées au tabac dépassent celles consacrées à certains produits alimentaires de base. Pour les ménages vivant au jour le jour, cela peut même conduire à la malnutrition.
Malgré ces vérités connues, la cigarette continue de séduire. Dans les rues, les cafés, aux abords des écoles, elle se transmet comme un rite, une mode, une image de liberté trompeuse. Et si les campagnes antitabac ont fait reculer la consommation dans certains pays, de nouvelles menaces apparaissent : la cigarette électronique et le narguilé électronique.
Cigarette électronique : le faux allié des jeunes
Depuis quelques années, une nouvelle génération de fumeurs a vu le jour. Adolescents et jeunes adultes se tournent de plus en plus vers les cigarettes électroniques et les narguilés électroniques. Vantés comme « moins nocifs » que la cigarette classique, ils séduisent par leurs goûts fruités, leurs arômes sucrés, leur design attractif et leur discrétion.
Mais la réalité est bien différente : la vape n’est pas sans risque. Elle expose toujours à la nicotine, qui crée la même dépendance que le tabac classique. Pire : certains arômes et liquides inhalés contiennent des substances irritantes, parfois toxiques pour les poumons.
Témoignages : Yasmine, Mariam et Ali
Yasmine a 16 ans, brillante élève de première au lycée d’État. Pour gérer son stress avant un devoir ou après une dispute, elle vapote le narguilé électronique. Un geste anodin, pense-t-elle, mais qui révèle déjà une dépendance psychologique bien ancrée.
Mariam, 15 ans, a intégré le vapotage à sa routine du soir. Elle retrouve ses amis, chacun avec son appareil, dans un coin de rue ou sur les réseaux sociaux. « C’est mieux que la cigarette normale », dit-elle. Une idée reçue largement répandue chez les jeunes, mais dangereuse.
Ali, 19 ans, fume sa cigarette électronique toute la journée. Aux pauses, entre deux dossiers, il enchaîne les bouffées. Il dit vouloir arrêter, conscient du risque. Ses parents lui rappellent souvent qu’il brûle sa santé, mais aussi une partie de son salaire.
Sortir du piège
Lutter contre le tabac, qu’il soit roulé, vapoté ou inhalé dans un narguilé, demande une prise de conscience individuelle et collective. Les substituts nicotiniques, les accompagnements psychologiques, les politiques publiques de prévention, les hausses de prix… tous ces leviers doivent être activés ensemble. Car derrière chaque cigarette, c’est une vie qui s’écourte, un foyer qui s’appauvrit, une jeunesse qui se trompe de liberté. Fumer n’est pas un acte anodin, c’est céder à un poison sournois.
En finir avec le tabac, c’est reprendre le contrôle de sa vie, protéger sa santé et préserver celle de ses proches. C’est aussi choisir d’investir son argent dans l’essentiel : nourrir, soigner, éduquer.
Le tabac est peut-être ancré dans nos sociétés depuis des siècles, mais il n’est pas une fatalité. Chaque fumeur qui éteint sa dernière cigarette rallume une flamme : celle de la vie.
Mohamed Chakib