En matière d’autisme comme pour d’autres particularités du développement intellectuel ne rentrant pas dans les cadres normatifs de nos sociétés, les a prioris sont difficiles à combattre. Il faudrait une lente mais nécessaire évolution de la perception de l’autisme. Des campagnes de sensibilisation et d’information sont indispensables.
Le 2 avril coïncide avec la célébration de la journée mondiale de sensibilisation sur l’autisme. Elle vise à mieux informer le grand public sur les réalités de ce trouble du développement neuronal et à dénoncer toutes les formes de discrimination que subissent les personnes qui en sont atteintes.
L’autisme n’est pas une maladie car il n’y a pas une altération d’une bonne santé ou des fonctions par rapport à une condition initiale. L’autisme n’est pas causé, non plus, par un problème psychologique ou par l’éducation des parents. Il s’agit d’une particularité neuro-développementale. Les personnes autistes naissent avec un fonctionnement différent. La société doit accepter le comportement social autistique, un comportement différent de la norme.
Première entrave à Djibouti, l’autisme est un des handicaps le plus mal connu dans notre pays, y compris au sein du corps médical. Les représentations des personnes autistes oscillent entre des extrêmes paradoxaux : d’un côté, l’image d’une personne avec une lourde déficience intellectuelle ou celle d’un génie. En France, on parle « d’idiot savant ».
De l’autre, celle d’une personne possédée par un esprit maléfique mais sain d’esprit ou celle d’une personne complètement folle…
En matière d’autisme comme pour d’autres particularités du développement intellectuel ne rentrant pas dans les cadres normatifs de nos sociétés, les a prioris sont difficiles à combattre. Il faudrait une lente mais nécessaire évolution de la perception de l’autisme. Des campagnes de sensibilisation et d’information sont indispensables.
Les familles djiboutiennes ont subi des années d’incompréhension et d’errance médicale. Or, le temps est précieux car une intervention ciblée et précoce permet d’en atténuer les effets, de favoriser le développement de l’enfant et d’améliorer la qualité de vie de la famille. Les plus chanceux se rendent à l’étranger pour poser un diagnostic sur l’état de leur enfant et bénéficient d’une prise en charge adéquate.
Le deuxième problème est l’inexistence de statistiques. Aucune étude n’a, jusqu’à aujourd’hui, été réalisée pour repérer et analyser la population autiste. Au niveau mondial, les études épidémiologiques montrent dans tous les pays un taux de prévalence de l’autisme entre 1 et 1,5 % de la population.
Enfin, les enfants atteints d’autisme sont discriminés. Malgré tout l’arsenal juridique existant dans notre pays pour protéger les enfants, en particulier les plus vulnérables, et la scolarité obligatoire, aujourd’hui encore, il y a encore trop d’établissements scolaires, publics comme privés, qui refusent de scolariser les enfants autistes.
C’est la volonté d’atténuer tous les problèmes que soulève l’autisme qui a poussé des parents à se constituer en association, dénommée « Vaincre l’autisme à Djibouti », qui a vu le jour en septembre 2018.
L’une des plus belles réalisations de cette association est la mise en place d’un groupe de parole, qui offre aux parents des enfants autistes un cadre de soutien où ils peuvent interagir avec d’autres parents et partager leurs expériences. Quand un parent témoigne, il met au profit des autres les connaissances qu’il a acquises. Par ce partage, il enseigne souvent comment éviter les écueils pour aider leur enfant à développer son plein potentiel. Tous les quinze jours, le groupe se retrouve dans les locaux de SOS Village d’enfants ou au CDC de quartier 5. On traite à chaque fois d’un thème différent.
Au premier groupe de parole, ce sont les stratégies éducatives et pédagogiques qui ont été abordés par deux parents. Ces stratégies se basent très fortement sur les particularités cognitives et neuro-sensensorielles des enfants atteints d’autisme. On sait aujourd’hui que le traitement actuellement le plus efficace contre l’autisme est l’éducation. Le deuxième groupe de parole a été l’occasion d’aborder le lien entre l’autisme et le système digestif. La troisième séance a été consacrée à la communication avec des pictogrammes.
Enfin le quatrième groupe de parole a été l’occasion de témoigner de l’évolution positive des enfants atteints d’autisme lorsqu’ils sont stimulés par les parents.
En dehors des échanges sur l’autisme, le groupe de parole est l’occasion de libérer le verbe. Pour le bien de leur enfant et leur propre apaisement, les parents brisent l’isolement en partageant aussi leur vécu et leur questionnement. Le sentiment d’être enfin compris et accepté prédomine sur celui de la gêne d’échanger avec des inconnus. Certains parents n’hésitent pas à verbaliser le sentiment d’incompréhension de leur famille et de l’entourage des difficultés qu’ils endurent au quotidien. « Durant ma grossesse, raconte une mère, j’avais pour mon enfant des rêves qui ne se réaliseront pas. C’est difficile à accepter. Ce n’est pas l’autisme en soi qui est difficile à accepter. C’est l’appréhension des embûches que mon garçon devra affronter au cours de sa vie qui me peine énormément». « Parfois, quand je sors avec mon fils dans un lieu public, il se fait dévisager par les passants. Les uns le regardent comme un enfant malpoli, les autres comme un enfant avec des problèmes psychiatriques, se confie une autre maman. Je rêve du jour où il ne sera plus nécessaire d’expliquer la différence de nos enfants et de justifier leur comportement». Une troisième maman rajoute « Le meilleur moyen de s’en sortir, c’est de parler et de ne pas garder tout pour soi. Nous ne sommes pas seuls à vivre avec un enfant autiste. Partager reste le meilleur moyen d’améliorer notre sort et celui de notre famille! ».
Safia Siyad
Présidente de l’Association
« Vaincre l’autisme à Djibouti »