La Nation : Quel bilan faites vous du forum mondial sur l’éducation équilibrée et inclusive qui s’est déroulé à Djibouti du 27 au 29 janvier dernier ?

Cheikh Mansour Bin Moussalam : D’ores et déjà, nous pouvons être fiers et heureux de la forte participation des pays d’Afrique, d’Asie, du Pacifique et des Caraïbes. C’est un immense succès d’avoir pu réunir tous ces gouvernements,  ces organisations de la société civile et ces universités pour partager des expériences et des défis auxquels nous devons faire face ensemble mais aussi pour apprendre des uns et des autres et concrétiser nos aspirations collectives. Le Sommet est aussi un grand succès car il a abouti à la signature de la Déclaration universelle de l’éducation équilibrée et inclusive et la Charte constitutive de l’Organisation de Coopération Educative. Cette déclaration est historique et importante car nous renforçons nos anciens engagements et nous en prenons de nouveaux. Mieux encore, nous avons un document qui définit nos termes et nous assure un cadre de dialogue confortable qui rompt avec les anciens monologues qui se croisaient sans se rencontrer lors des conférences où on utilisait des termes semblables pour dire des choses complètement différentes. Nous avons défini nos aspirations, et je pense que cette organisation de coopération éducative et sa charte sont les instruments qui vont nous assurer que cette déclaration universelle ne demeure pas uniquement une déclaration d’intention mais qu’elle se transforme aussi et de manière concrète en réalisation collective.

Comment se fera la désignation des membres du bureau de l’organisation de coopération éducative et quel sera son mandat ?

La charte constitutive de l’organisation de coopération éducative entrera en vigueur une fois qu’un minimum de dix Etats fondateurs et signataires l’auront ratifié. Puis la première assemblée générale sera convoquée. Cette charte prévoyait la désignation d’un secrétaire général dès le 29 janvier 2020 et j’ai été très honoré d’avoir été élu premier Secrétaire général de l’OCE.

Un comité préparatoire, qui sera désigné et présidé par  le Secrétaire général entrant, conformément aux termes de la Charte, agira en qualité de Proto-Secrétariat et va travailler aux sessions de la première assemblée générale de l’OCE. Aussi, ce comité devra rédiger tous les documents liés aux réglementations, aux programmes et à la structure même de l’OCE qui seront soumis à la considération et à la décision de l’Assemblée générale constituée des Etats membres. Ces personnes devront représenter et même refléter les Etats membres de cette Organisation, ce qui nous obligera à respecter une certaine diversité géographique, mais aussi un équilibre de genre, et c’est le plus important, compter des experts de secteurs et d’expériences différentes qui puissent réellement apporter à ce comité préparatoire la connaissance, l’expertise et la volonté ainsi que la détermination nécessaire afin d’être à la hauteur des attentes des Etats membres et des membres associés lors de la première Assemblée générale.

Nous devrons répondre aux attentes des peuples que ces gouvernements représentent. Il y aura aussi de manière simultanée la création d’un comité virtuel constitué des Etats signataires et fondateurs qui devra superviser les travaux du comité préparatoire, afin de s’assurer que ce comité avance et progresse réellement pour que la première assemblée général soit à la hauteur des attentes. 

Dans quel délai de temps pensez vous pouvoir tout mettre en place pour la première assemblée générale de l’OCE et quelles seront ses premières actions ?   

Dans l’immédiat, et d’ici un mois et demi voire deux mois au plus tard, je me suis fixé l’objectif d’identifier et de nommer les membres du comité préparatoire. Ce calendrier nous est dicté par l’urgence et l’importance de ce défi et c’est bien une détermination intransigeante qui est requise de notre part, à nous tous qui participeront à ce voyage exaltant. Nous avons aussi l’obligation de nous assurer de la ratification des Etats signataires qui devra se faire le plus rapidement possible. J’ai eu l’honneur et le privilège en ma qualité de Secrétaire général de l’OCE de remettre au ministre des Affaires étrangères, Mahamoud Ali Youssouf, la Déclaration universelle et la Charte constitutive de l’Organisation de Coopération sur l’Education, puisque celle-ci identifie que le Gouvernement de la République de Djibouti est dépositaire de la Charte jusqu’à la première Assemblée générale où le siège de l’OCE sera identifié. Bien entendu, je compte après cela voyager éventuellement dans tous les pays signataires de cette Charte non seulement afin de pouvoir nous baser sur les priorités nationales et régionales qui sont absolument essentielles pour le développement de l’OCE, mais aussi afin d’accompagner le processus de ratification pour sa réalisation dans les meilleurs délais. Le Comité préparatoire, une fois constitué, sera chargé, sous ma direction, de préparer les premiers programmes, les premiers budgets et les réglementations, et cela dans une approche systémique. Car, il faut dire que, nous ne pouvons plus,  en tant que pays, et en tant qu’humanité, travailler selon une approche fragmentée, avec de petits projets qui font de très bons résultats, mais qui ne transforment pas le système dans son ensemble. Pourquoi ? Parce que le développement durable pour peu qu’il soit prospère et équitable, n’est jamais compartimenté, car nous ne pouvons parler d’éducation pour le développement, si nous ne parlons pas de santé, de travail et d’environnement, pour m’en tenir à ces exemples. Et c’est bien pour cela que l’approche systémique sera une série d’interventions qui renforcent, améliorent et soutiennent les systèmes éducatifs mais aussi le développement durable, prospère et équitable de nos sociétés. Et cela passe aussi par une transformation de la dynamique internationale qui soutienne ces systèmes éducatifs.

Tout cela semble assez ambitieux.

Pensez vous que vos projets vont faire bouger les lignes en une génération (20 à 25 ans) ou il faudra un peu plus de temps pour voir aboutir ces idéaux supérieurement humains et nobles ?

Au-delà de l’éducation équilibrée et inclusive et de l’OCE, je ressens cette sensation de désillusion collective et le fatalisme ambiant par rapport à toutes nos ambitions et nos rêves collectifs d’un mieux dans notre conditions d’humains. Et  cela a causé d’une certaine manière le fait que nous ayons accepté un cadre de pragmatisme extrême, voire de résignation.

Mais je pense qu’il est crucial de se rendre compte d’une chose, c’est que l’être humain a besoin de plus que du simple pragmatisme, il a besoin de poésie, de courage, d’emballement et d’idéal, qui signifie avant tout la conscience de l’aspect transgénérationnel de notre lutte. Nous devons avoir conscience que nous peut être nous n’atteindrons pas notre destination final et notre but ultime dans notre vie biologique, mais notre lutte demeure transgénérationnelle. Nous  commençons aujourd’hui, et c’est un premier pas ! Maintenant, je ne pense pas du tout que les premiers résultats prendront vingt ans, car nous parlons d’une amélioration dans l’urgence mais avec la conscience et une vision du futur qu’il s’agit d’un investissement dans l’avenir.

Si nous travaillons que dans l’urgence, nous ne serons plus dans l’action mais dans la réaction, et le résultat de la réaction c’est que nous ne construisons jamais rien. Alors même que nos défis collectifs, depuis les pays du sud en particulier, c’est de construire en sachant là où nous voulons être dans vingt ans. C’est là tout l’intérêt du projet, c’est-à-dire construire le monde dans lequel nous voulons vivre dans vingt ans.  Et selon la réponse à cette question, nous devons penser ce que nous allons faire aujourd’hui.  Et au-delà des résultats immédiats, la maturation et le fruit de nos efforts, nous les récolterons dans vingt ans. Le vrai embarras n’est pas la peur de l’échec, mais c’est de rester dans la même situation dans vingt ans.

Là nous construisons l’avenir qui n’est pas une promesse abstraite et inévitable, nous forgeons l’avenir aujourd’hui même, sinon nous serons forgé par le cours des choses, et nous risquons d’être dépossédé de notre destin !

Propos recueillis par MAS