
Si des progrès réels ont été réalisés, le basket djiboutien peine toujours à se frayer un chemin sur la scène des activités sportives nationales. Pour en apprendre un peu plus sur les obstacles qui freinent le développement de ce sport sous nos cieux, le président de la fédération djiboutienne de Basket-ball M. Djilani Mohamed Doualeh nous a accordé une interview au cours de laquelle il nous donne des éclaircies sur le sujet.
ENTRETIEN.
La Nation : Pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs, en nous donnant un bref aperçu de votre parcours ?
Djilani Mohamed Doualeh : Je suis marié et père de deux enfants. Ma passion pour le basketball remonte à mon enfance, même si j’ai véritablement commencé à pratiquer ce sport de manière structurée à partir de 1990. Le basket a toujours occupé une place importante dans ma famille : avant moi, mon grand frère Steve évoluait déjà sur les terrains, et c’est en grande partie grâce à lui que j’ai suivi cette voie.
J’ai eu la chance d’être formé par notre professeur de sport, Hassan Hachi, ancien joueur de l’équipe nationale, qui dirigeait à l’époque une école de basket-ball. Sous sa direction, j’ai affiné mes bases techniques et développé mon esprit d’équipe. Par la suite, j’ai été sélectionné au sein de l’équipe de Massida, une expérience décisive dans mon parcours.
Quelques années plus tard, j’ai eu l’opportunité de partir aux États-Unis, où j’ai pu perfectionner mes techniques de jeu et évoluer dans plusieurs clubs américains. Cette expérience à l’étranger a été déterminante dans ma vision du sport, tant sur le plan tactique que dans la rigueur et la discipline qu’exige le haut niveau.
De retour à Djibouti en 2011, j’ai constaté que le niveau national du basketball avait considérablement baissé. Déterminé à y remédier, j’ai fondé une école de basketball au gymnase du Lycée de Djibouti, avec pour objectif de former les jeunes et de relancer la dynamique sportive locale. J’y ai encadré de nombreux jeunes talents, que j’ai répartis en plusieurs équipes selon leur âge et leur niveau.
À cette époque, le colonel Ahmed présidait la Fédération Djiboutienne de Basketball. Ensemble, nous avons œuvré à redresser la discipline et à lui redonner ses lettres de noblesse. Cet engagement constant pour le développement du basketball national m’a conduit, en 2014, à être élu président de la Fédération Djiboutienne de Basketball. Depuis lors, je continue à œuvrer pour structurer ce sport, former la relève et promouvoir la culture du basket à Djibouti.
Monsieur le Président, comment décririez-vous l’état actuel du basketball à Djibouti ?
: Aujourd’hui, le basketball à Djibouti est dans une phase de reprise et de promotion sur l’ensemble du territoire national. Bien que ce sport souffre encore d’un manque de motivation et d’intérêt de la part de certains joueurs, il connaît une dynamique de croissance constante depuis plusieurs années. Avec plus de 400 licenciés et 12 000 pratiquants, le basketball est désormais le deuxième sport collectif du pays.
Le principal défi reste l’état critique de nos infrastructures. Nous faisons de notre mieux pour continuer à jouer notre rôle en encadrant nos athlètes et en promouvant le basketball à Djibouti. Cependant, nous manquons d’un terrain aux normes officielles, indispensable pour organiser des compétitions nationales et internationales. Pour le moment, nous utilisons le terrain Aouled, en attendant de récupérer le seul terrain de compétition du gymnase du Lycée et le complexe Roi Fahad.
La Fédération Djiboutienne de Basketball (FDBB) joue un rôle central dans le développement de ce sport. Elle organise, développe et promeut la pratique du basketball sous toutes ses formes, en collaboration avec ses structures déconcentrées et les clubs locaux. Notre mission principale est de faire vivre le basketball à Djibouti et d’augmenter le nombre de pratiquants dans tout le pays.
Sur le plan financier, nous rencontrons une insuffisance de trésorerie importante. Le manque de sponsoring pour le championnat national impacte négativement le développement du basketball. Je suggère que l’État djiboutien encourage les entreprises privées à sponsoriser les fédérations sportives, afin de soutenir l’avenir du basketball et du sport en général.
Les frais de fonctionnement, les dépenses administratives, le manque d’équipements sportifs, les frais d’arbitrage et la participation à des compétitions régionales et internationales représentent des obstacles majeurs. Tous ces manques affectent notre capacité à fonctionner correctement et à développer la pratique du basket. Sans déplacements et représentations, il est difficile de plaider notre cause auprès des instances internationales de basketball. Le manque d’infrastructures de qualité reste l’une des difficultés majeures pour organiser les compétitions dans des conditions adéquates. Bien que le sport occupe une place importante dans la politique nationale, il existe un écart entre les subventions annoncées et les ressources réellement attribuées aux fédérations sportives.
Grâce à des partenariats avec des promoteurs locaux, nous avons réhabilité 11 terrains de basketball, mais cette réhabilitation doit se faire de manière continue, ce que nous ne pouvons pas assurer pour le moment. Nous espérons que, grâce à des décisions politiques en matière de sport, cette situation s’améliorera progressivement, inchaAllah.
Enfin, nous sommes en contact avec des organisations internationales qui nous ont promis la fourniture d’équipements et la rénovation de deux terrains aux normes internationales, ce qui représenterait un grand pas en avant pour le basket-ball djiboutien.
Depuis 2014, vous êtes à la tête de la Fédération Djiboutienne de Basketball. Qu’est-ce qui, selon vous, vous a valu cette confiance renouvelée ?
Depuis mon élection à la présidence de la Fédération en 2014, j’ai toujours cherché à concilier passion et professionnalisme. La confiance que nos membres m’ont renouvelée à plusieurs reprises, notamment lors de ma réélection en 2018, repose sur des résultats concrets et une vision claire du développement du basketball djiboutien.
Dès le départ, nous avons œuvré à structurer ce sport autour de bases solides : création de clubs officiellement reconnus, mise en place de ligues de première et deuxième divisions, et amélioration progressive des infrastructures sportives. Aujourd’hui, nous comptons douze équipes en première division, dix en deuxième division et huit équipes féminines, preuve du dynamisme croissant de la discipline.
La formation a également constitué un pilier essentiel de notre action. Nous avons lancé plusieurs programmes destinés à encadrer et perfectionner non seulement les jeunes joueurs, mais aussi les entraîneurs et les arbitres, dans un souci de professionnalisation globale du milieu.
En parallèle, nous avons développé la pratique du basketball 3×3, qui connaît un engouement particulier chez les jeunes, et organisé de nombreux championnats nationaux ainsi que des sorties internationales. Notre équipe nationale a ainsi représenté Djibouti dans plusieurs tournois régionaux, notamment en Somaliland et plus récemment aux Seychelles , une expérience enrichissante pour nos athlètes.
Enfin, notre politique d’inclusion reste au cœur de notre démarche. Nous avons ouvert une école de basketball au Centre des sports des femmes, près du deuxième arrondissement, afin de favoriser l’accès des jeunes filles à la pratique. Nous travaillons également à renforcer la présence du basketball dans les régions de l’intérieur, car nous croyons en un développement équilibré et équitable sur tout le territoire.
En somme, c’est cette combinaison d’organisation, de transparence, de formation et d’ouverture qui, je pense, a permis de consolider la confiance des clubs, des institutions et de tous les passionnés de basketball à Djibouti.
Djibouti a récemment participé aux Jeux de la CJSOI aux Seychelles avec des équipes de basketball féminin et masculin. Comment évaluez-vous le développement du basketball féminin djiboutien ? Quelles sont vos ambitions pour ces compétitions et comment cette participation s’inscrit-elle dans votre stratégie nationale, particulièrement pour les jeunes filles ?
La participation de Djibouti aux Jeux de la CJSOI 2025 constitue une étape majeure pour le basketball féminin national. Pour la première fois, une équipe complète de 5 contre 5 représentait notre pays lors d’une compétition régionale officielle, après plusieurs décennies d’absence. Cette expérience a permis aux joueuses de se mesurer à un niveau compétitif régional et de montrer leur vivacité, leur audace et leur esprit collectif.
Le développement du basketball féminin à Djibouti progresse, mais il reste encore limité par des contraintes structurelles et logistiques. Notre objectif est de créer un écosystème durable : offrir aux jeunes filles des opportunités de pratiquer, former des encadreurs spécialisés et organiser des compétitions régulières. Les résultats obtenus aux CJSOI confirment que la discipline a un réel potentiel et que la jeunesse djiboutienne répond favorablement lorsqu’elle est encadrée et motivée.
Cette participation s’inscrit pleinement dans notre stratégie de développement national du basketball, en particulier pour les jeunes filles. À travers des programmes tels que « Her World, Her Rules », nous voulons renforcer la formation, la compétition et l’accès aux infrastructures pour qu’un nombre croissant de filles puissent s’engager durablement dans le basketball, contribuant ainsi à l’égalité des chances et à l’émancipation par le sport.
Comment la Fédération Djiboutienne de Basketball (FDBB) forme-t-elle les acteurs du basketball et détecte-t-elle les talents prometteurs ? En quoi les programmes continentaux, tels que la Basketball Africa League ou la NBA Academy Africa, influencent-ils vos projets de formation et de détection ?
La formation de l’ensemble des acteurs de l’écosystème basketball — dirigeants, entraîneurs, officiels de match et journalistes sportifs — est au cœur de la stratégie de la FDBB. Nous considérons cette démarche comme le socle du développement et de la croissance durable du basketball à Djibouti.
Le basketball africain est en pleine transformation grâce aux programmes de coopération initiés par la FIBA et la NBA Academy Africa. En tant que membre de la FIBA, la FDBB participe activement à ces programmes, ce qui nous permet d’accéder à des formations, des échanges techniques et des compétitions continentales. Pour détecter les talents, nous nous appuyons sur un système structuré de compétitions régionales et nationales, où les entraîneurs évaluent les compétences techniques, tactiques et mentales des jeunes joueurs. Les critères sont précis et visent à identifier ceux qui pourront progresser au plus haut niveau. La jeunesse djiboutienne est passionnée par le basketball. Ce qu’il leur faut, ce sont des terrains, des ballons et des encadreurs qualifiés. Si ces conditions sont réunies, la pratique se développera naturellement et massivement.
L’émergence de la Basketball Africa League et des programmes NBA Academy Africa transforme le paysage continental. La FDBB s’inspire de ces modèles pour structurer ses propres filières de formation et détecter les talents dès leur plus jeune âge. Nous explorons également des partenariats avec ces organisations, afin de permettre à nos jeunes basketteurs de bénéficier d’une formation de qualité et de vivre des expériences compétitives comparables à celles des écoles de basket-ball du Sénégal ou du Nigeria.
Comment évaluez-vous la place du basket-ball djiboutien dans la région de la Corne de l’Afrique ?
Le basketball djiboutien est en progression, mais nous restons encore derrière certains pays voisins qui disposent de structures plus solides et d’un historique compétitif plus long. Cependant, grâce à la formation, aux infrastructures et à l’organisation de compétitions régulières, nous avons commencé à rivaliser lors des tournois régionaux et à faire reconnaître nos équipes. Notre objectif est de devenir un acteur respecté et compétitif dans toute la Corne de l’Afrique.
Pour clôturer, quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse djiboutienne et notamment à la nouvelle génération de basketteurs et basketteuses ?
Je voudrais dire à la jeunesse djiboutienne que le basketball est une véritable école où on enseigne le respect, la solidarité, le dépassement de soi et le goût de l’effort. À tous les jeunes, garçons et filles, qui rêvent de jouer un jour sous les couleurs nationales, je dis : croyez en vous, persévérez et ne craignez pas le travail. Rien n’est impossible à celui qui s’entraîne avec passion et discipline. Le basketball peut être un formidable tremplin pour s’épanouir, voyager, apprendre et se construire. Alors, plutôt que de rester spectateurs, je les invite à rejoindre les clubs, à venir jouer, à s’impliquer, à grandir sur le terrain comme dans la vie.
De notre côté, à la Fédération Djiboutienne de Basketball, nous continuerons de créer les conditions nécessaires pour que cette jeunesse talentueuse puisse s’exprimer pleinement : plus de formations, plus de compétitions, plus d’opportunités. Le Basket Ball est à portée de main, il suffit de croire en lui et de s’en donner les moyens.
Propos recueillis par Said Mohamed Hallato