“Aujourd’hui, nous honorons la mémoire des victimes directes d’une barbarie sans nom”. C’est en substance ce qu’a déclaré le président de la République, M. Ismaïl Omar Guelleh, en inaugurant dimanche  dernier le Mémorial du Barrage de Balbala. “Il n’y a pas que notre mémoire collective qui porte le deuil de cette tragédie, car il y a aussi les familles et les descendants des victimes dont la trajectoire existentielle à complément été bouleversée”, a indiqué le chef de l’Etat. Selon lui, ce mémorial n’a pas  vocation toutefois à réparer les dommages infligés à l’ensemble de notre Nation. L’ADI reproduit ci-après le discours du président Ismaïl Omar Guelleh dans son intégralité.

Mes chers compatriotes,

L’événement qui nous réunit aujourd’hui évoque sans doute une des périodes la plus sombre de l’Histoire de notre pays. Il s’agit d’une tragédie insondable dont notre mémoire collective reste à jamais marquée. Aujourd’hui, nous honorons la mémoire des victimes directes d’une barbarie sans nom. Nous prions le plus Haut et le plus Miséricordieux pour qu’il les accueille dans son paradis. Amin. Les survivants blessés sont aujourd’hui avec nous et méritent notre admiration et notre gratitude. Ils seront honorés.

Mes chers compatriotes,

Il n’y a pas que notre mémoire collective qui porte le deuil de cette tragédie, car il y a aussi les familles et les descendants des victimes dont la trajectoire existentielle a complètement été bouleversée. Nous pensons à nos frères et nos sœurs, à ces hommes et ces femmes ou à ces enfants qui ont basculé, du jour au lendemain, dans la situation d’orphelinat ou de veuvage. Ces hommes, ces femmes et ces enfants ont grandi, portant avec eux ce lourd fardeau de douleur et de désespoir. Le mémorial qui se dresse devant vous, mes chers compatriotes, ne rendra pas justice à ces innocents dont la vie a brutalement été enlevée. Ce mémorial n’a pas non plus vocation à réparer les dommages infligés à l’ensemble de notre Nation. Malheureusement, on ne refait pas l’Histoire, et on ne peut pas réparer l’irréparable. Lorsque l’administration coloniale, dans la foulée des événements politiques d’août 1966, décide d’ériger un double barrage long de 14,5 Km pour encercler la presqu’île de Djibouti, il crée de facto une séparation aussi brutale qu’arbitraire du territoire. Il établit une discrimination aussi abjecte que répugnante parmi les autochtones, parmi cette population dont le nomadisme, c’est-à-dire la liberté de circuler est un mode de vie ancestral. Naturellement, ce barrage, truffé de mirador, des mines, de fils de barbelés, pouvait ne pas faire écho au mur de Berlin. Ils ont d’ailleurs été qualifiés tous les deux « du mur de la Honte » à l’époque. Sauvegarder les intérêts politiques et économiques de la puissance coloniale, telle était la raison d’être de ces barbelés. Ce barrage était aussi un défi lancé à tous les indépendantistes qui avaient osé avec courage réclamer la souveraineté nationale avec des banderoles et des pancartes à l’arrivée du général de Gaulle sur le territoire en août 1966, pour l’administration coloniale, alimenter et entretenir la division entre les communautés ne suffisait pas.

Il fallait aussi endiguer la marche en avant vers l’indépendance en triant la population en autochtones, en allogènes, en indigènes, en français de papier et je ne sais quoi encore.

Au fur et à mesure, que le désir d’indépendance se transformait en une volonté et une détermination inébranlable dans la conscience populaire, l’administration répondait par des rafles, des expulsions, des refoulements. Ceux qu’elle considérait comme des activistes et des leaders étaient soient emprisonnés, soient assassinés.Mais la population n’était pas dupe et ne se laissait pas intimider. Le référendum truqué du 19 mars 1967 a donné lieu à des manifestations et des émeutes meurtrières. L’administration coloniale et les légionnaires, manifestement débordés par l’ampleur de la contestation populaire, n’avaient d’autres choix que de faire usage d’une violence répressive et dissuasive.

A cela s’ajoutait également les tracasseries administratives et les falsifications d’identité qui tendaient à présenter les indépendantistes comme des alliés objectifs des puissances étrangères. Dans ce contexte de tension sociale et politique, le barrage, présenté par l’administration coloniale comme un dispositif de sécurité, était en réalité censé contrecarrer voir étouffer les velléités indépendantistes. Mais paradoxalement ce barrage n’a fait qu’intensifier la lutte populaire.

Malgré les souffrances endurées, des familles séparées, certaines mêmes déportées, le barrage ne pouvait ni dissuader, ni contrôler et encore moins stopper la soif de la souveraineté qui émanait du peuple.