COVID-19
Dans cet entretien exclusif qu’il nous a accordé hier, un pharmacien djiboutien vivant en Italie depuis 19 ans, Dr Mouktar Ismael Ali, évoque la détresse, en ce moment même, de ce grand pays européen face au Covid-19. Cet homme, confiné dans son appartement depuis une dizaine de jours, pense tous les jours à son pays, la République de Djibouti, à sa famille, à ses amis et à ses voisins. Il est inquiet, très inquiet pour Djibouti parce qu’il sait de quoi est capable ce monstre invisible qu’est le Coronavirus. « Il fait souffrir, puis il tue. La seule arme contre ce monstre, c’est de rester à la maison. Ne pas sortir », nous confie Dr Mouktar qui compte plusieurs collègues contaminés. « Svp, dit-il, ne faites pas les mêmes erreurs que les italiens. Ils ont, au début, minimisé la dangerosité de ce virus. Et voilà, aujourd’hui, c’est la catastrophe ». Interview exclusive …
Bonjour Docteur, comment vous portez-vous ?
Je vais bien. Je ne suis pas sorti de chez moi depuis plus d’une dizaine de jours. Je suis confiné à la maison. Je travaille depuis ici.
Pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Mouktar Ismail Ali. Je vis en Italie depuis 19ans. Je suis pharmacien et travaille à l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Je suis par ailleurs président de l’Association des Djiboutiens en Italie.
Pouvez-vous nous parler de la crise sanitaire causée par le COVID-19 en Italie. Comment est la situation à l’heure actuelle ?
La situation générale en Italie est tragique. En l’espace d’un mois, le pays a subi une transformation radicale. Les italiens, avec la peur au ventre, vivent ce moment comme un cauchemar. C’est comme un film d’horreur et ils espèrent tous voir apparaître le mot “fin” mais hélas avec un lourd tribut. C’est la triste réalité quotidienne et le confinement est une lueur d’espoir qu’ils acceptent, au bout du compte.
On dénombre déjà plus de 6000 décès. Comment cela a-t-il été possible en Italie qui est pourtant un grand pays européen ?
Il faut préciser que la propagation du virus a fait le plus de victimes dans une région du nord, la Lombardie où se trouve Milan (la capitale économique). Dans le reste du pays, la situation est sous contrôle pour le moment. La Lombardie, c’est l’une des régions les plus riches de l’Italie et ses structures hospitalières sont bien équipées par rapport au reste du pays.
Au début nous pensions que le virus n’était rien de plus qu’une grippe banale. L’ensemble du pays a négligé la situation. Les premières précautions n’ont pas été prises tout de suite parce qu’il n’y avait encore aucun cas déclaré. Pendant que nous attendions le patient zéro, le virus se propageait dans la société, à une vitesse impressionnante. Le jeudi 20 février 2020, le premier cas a été détecté. À partir de cette date, la course contre la montre a commencé mais les dégâts ont déjà été faits. La population s’était déjà exposée au virus.
Comment ça. Soyez plus explicite… ?
Tout est parti d’un homme de 38 ans qui se rend à l’hôpital dans une petite ville du nord de l’Italie, dans la région de Lombardie. Il s’appelait Codogno.
Après la visite médicale, les médecins n’ont pas fait le test Covid-19 et l’ont invité à retourner chez lui et à se reposer. Après quelques jours, exactement le 20 février, l’homme est revenu à l’hôpital mais cette fois dans un piteux état. Après le test Covid-19, il fut positif au virus. Entre-temps, il avait contaminé sa femme enceinte et son père mais aussi certains médecins et infirmiers de l’hôpital. Dans la foulée, une vieille femme qui s’était rendue à l’hôpital ce jour-là, a été aussi contaminé. Par-ci et par-là, se sont formé des foyers pandémiques dans tous les environs de Codogno.
Le reste vous le savez : la propagation du virus à la vitesse de la lumière, la croissance vertigineuse du nombre des contaminés et des victimes. Aujourd’hui l’Italie est le pays où la pandémie de Covid-19 a fait le plus de victimes dans le monde entier et c’est le deuxième pays par nombre de personnes contaminées. Entre-temps, le premier patient est guéri, sa femme aussi mais il a laissé derrière lui plus de 5500 morts et parmi eux, son père.
Est-ce que des djiboutiens vivants en Italie figurent parmi les victimes ?
D’après nos informations, aucun cas de djiboutien n’est à compter parmi les personnes contaminés ni parmi les victimes jusqu’au jour d’aujourd’hui. Quelques médecins djiboutiens qui poursuivent leurs études de spécialisation dans divers secteurs de la médecine sont dans les tranchées, dans la prise en charge des malades du covid-19.
Comme vous le savez, Djibouti a détecté deux cas positifs au COVID-19. Vous êtes entrain de nous parler de la détresse de l’Italie face à ce virus, un grand pays européen. Comparé à Djibouti, l’Italie est une puissance économique. C’est un pays très avancé en matière de santé. Mais malheureusement, tous ces avantages ne lui ont pas permis de stopper l’hémorragie. Quel genre de stratégie, selon vous, notre pays, Djibouti, peut adopter pour combattre cet ennemi redoutable ?
Aucun système sanitaire dans le monde n’est en mesure de combattre le virus aujourd’hui pour la simple raison qu’il n’y aucun vaccin ou aucune thérapie officielle contre le monstre Covid-19. Djibouti est un petit pays africain avec ses difficultés et si le virus se propage comme en Chine et en Italie, il y a des fortes chances qu’il y ait une catastrophe. Néanmoins avec plus de précautions, de sensibilisations et surtout des testes en nombre important, on peut arrêter l’hémorragie si il y a lieu, avant que cela impact beaucoup de personnes.
Quels conseils pouvez-vous donner à la population djiboutienne ?
Je conseillerais aux djiboutiens de ne pas faire les mêmes erreurs des italiens, à savoir : ne pas négliger la maladie. Le mot clé, c’est “d’exagérer”. Mettre la barre haute. Il faut exagérer dans le confinement, dans l’hygiène du corps et surtout dans les lavages de mains. Il faut considérer que quiconque peut être atteint du virus. La propagation s’est produite surtout entre les gens de la même famille et entre les amis. Certaines rumeurs racontent que seules les personnes âgées risquent d’être contaminées. C’est complètement faux.
Enfin, l’erreur des italiens provient du fait que les premiers contaminés se sont rendu à l’hôpital dès qu’ils ont reçu les premiers symptômes. Avec ce geste inconscient, ils ont contaminé le personnel de santé.
Il faut savoir qu’une personne normale peut contaminer deux personnes au minimum tandis qu’un médecin sans équipement de protection individuel peut contaminer dix personnes au minimum. Tout cela explique le nombre très élevé des contaminés (presque 60 000 personnes) et des victimes (plus de 6000 personnes) en Italie. Donc, il faut munir tout le personnel de santé (médecins, infirmiers, pharmaciens….etc), de l’équipement de protection individuel (gants, masques…etc).Si le personnel de santé n’est pas protégé, la propagation peut être plus rapide que prévu et cela pourrait provoquer une hécatombe.
Propos recueillis par MAAS