” L’Adieu à un ami “

Tu es de ma famille,

De mon ordre et de mon rang,

Celle que j’ai choisie,

Celle que je ressens,

Dans cette armée de simples gens “,

chante Jean-Jacques Goldman.

Un message fracture la nuit, à l’heure de Morphée, en sachant qu’il n’est pas le bienvenu …

Quelques mots décousus, sonnants creux, à posteriori, pour dire brutalement à chacun qu’Abdourahman Cheick, un ancien collègue, et ami, n’est plus …

De mots que chacun craignait de voir arriver, depuis deux semaines, malgré les vœux, malgré les prières.

Des mots que chacun voulait garder à distance, à jamais, pour essayer de conjurer le mauvais sort.

Personne n’avait envie d’entendre quelqu’un dire, en effet, un soir, un matin, qu’Abdourahman Cheick, le colosse à l’âme d’enfant du Palais de justice, n’avait pas eu la force de se réveiller du sommeil où il avait été plongé pour retrouver la santé.

J’ai croisé Abdourahman Cheick à la Cour Suprême, il y a, aujourd’hui, dix-sept ans, déjà.

Nous étions, alors, tous les deux conseillers.

Nous avons gardé en commun dix ans d’audiences, de délibérés, et d’échanges sur le droit, en particulier, et  la vie, en général, l’un ne va jamais vraiment sans l’autre.

Dix ans de fous rires partagés, jusqu’à tard dans l’après-midi (16h ou 17h), souvent, à une époque où la journée de travail se terminait à 13h, pourtant.

Abdourahman Cheick avait à la bouche une histoire drôle ou une anecdote, à chaque rencontre, et à la main une cigarette, souvent, pour rendre à la vie qu’il a toujours pris du bon côté la moindre bouffée d’air frais.

Je le croisais un chapeau sur la tête, et une veste sur le dos, ces dernières années, fidèle à lui-même …

Un peu gentleman, un peu nomade, nonchalant, et espiègle, comme le sont tous les enfants de Djibouti (un peuple qui se distingue des autres), en somme, humbles et désinvoltes, en permanence. 

Il a été greffier, juge d’instruction, procureur de la République, procureur général, conseiller à la Cour Suprême, et président de cette juridiction, sans bousculer la vie, un instant.

Il a même été entrepreneur, un temps, m’avait-il dit, un jour, lointain, pour occuper ses journées lorsque sa carrière de magistrat avait, momentanément, connu une parenthèse.

Un joli parcours humain et professionnel pour un jeune homme sorti, un jour, exceptionnellement du greffe, sans avoir eu la chance de fréquenter les bancs d’une Faculté.

Un joli parcours humain et professionnel pour un enfant, issu d’un milieu modeste, et d’un quartier populaire (le quatre, qui a, toujours, incarné, à mes yeux d’enfant, hier, le paradis sur terre parce que ma grand-mère maternelle y a vécu presque toute sa vie), qui s’est intéressé à tout.

” La grandeur de l’homme est dans sa décision d’être plus fort que sa condition “, dit Albert Camus.

Abdourahman Cheick a été enterré, samedi, à Djibouti, quelques jours seulement après son anniversaire.

Triste journée pour rendre à la terre un homme, qui avait le rire généreux.

Triste journée pour dire Adieu à un ancien collègue, un ami.

Aller à la Cour Suprême n’aura plus la même saveur malgré tous les ami(e)s, qui s’y trouvent encore.

Une prière, hier, une prière, aujourd’hui, une prière, demain, pour demander à Dieu de lui accorder sa miséricorde, et de l’accueillir en son paradis éternel.

Une prière, hier, une prière, aujourd’hui, une prière, demain, pour demander à la terre, qui l’a vu naître, un jour, grandir et vivre le sourire aux lèvres, de lui être légère, à jamais.

Maître Mohamed Abdallah Ali Cheik, Avocat