Il fut un jour, au cours d’une de nos conversations, où lui et moi, unis par une amitié indéfectible, avions évoqué la promesse solennelle de rédiger le portrait nécrologique de celui de nous deux qui quitterait ce monde en premier.
“Aujourd’hui, ô Omar, le poids de cette tâche douloureuse me revient. Un fardeau que nos cœurs avaient envisagé mais que nos âmes espéraient ne jamais endurer. Dans l’amertume de cette réalité implacable, je trace les contours d’un adieu…une épitaphe triste et empreinte de nostalgie, tandis que nos mots d’hier se transforment en larmes aujourd’hui. Les promesses, comme des feuilles d’automne, s’envolent avec le vent du temps, laissant place à la tristesse qui accompagne cette plume, forcée d’écrire la mélancolie du départ d’un ami cher.
Tu t’en es allé, ô toi qui m’as fait propulser dans l’univers du journalisme !
Omar Ali Egueh, directeur émérite, véritable limier de l’information, s’est éteint, laissant derrière lui l’ombre d’une figure qui a façonné mes premiers pas dans cet océan tumultueux de vérités entrelacées.
C’était bien plus qu’un directeur. Il fut un guide qui m’a initié aux arcanes du verbe, qui m’a enseigné que chaque mot est une clé pour déverrouiller des portes inexplorées de la réalité. Ses yeux pétillants reflétaient toujours la passion d’un homme qui croyait en la puissance de la plume et en la responsabilité qui pesait sur nos épaules en tant que journalistes.
Il avait cette capacité unique de faire surgir la quintessence d’une histoire, de dénicher la vérité dissimulée sous les couches d’ambiguïté… Chapeau bas l’artiste ! Tes leçons ont été des voyages captivants à travers des méandres d’idées, éclairant des perspectives que je n’aurais jamais imaginées sans ton éclairement intellectuel.
Je garde de toi, Omar, comme ces après-midis qui s’étiraient jusqu’au crépuscule, nos marathons de discussions infinies sur la politique, l’expérience, et surtout, l’histoire profonde de notre cher pays. Toi, muni d’une cigarette dont la fumée ondulait dans l’air comme des volutes de pensées, et ces feuilles de khat, ces bronches verdoyantes qui révélaient ton fétichisme pour cette plante aux mille vertus.
C’était une épopée de la pensée, nos dialogues tissés de réflexions profondes, de débats enflammés, comme si chaque mot était une pièce de ce puzzle complexe que constituait notre existence commune. Les volutes de fumée semblaient emporter nos pensées vers des horizons inexplorés, et le khat, avec sa saveur amère, ajoutait une note d’audace à nos échanges.
Je garderais de toi, ô Omar, maître du verbe, ta maîtrise inégalée, ta plume sculptait l’air et les idées avec une précision chirurgicale. Les feuilles de khat, tes compagnons de nos après-midis de réflexion, semblaient être une extension de tes pensées, une source intarissable d’inspiration qui alimentait le flux constant de tes idées.
Les heures défilaient, mais le temps semblait s’étirer comme une étoffe infinie. Les cigarettes et les feuilles de khat s’éparpillaient, mais nos discussions persistaient. Chaque argument était une pierre ajoutée à l’édifice de notre compréhension mutuelle. Les plis de l’histoire de notre pays se dévoilaient à mesure que nous déchiffrions ensemble les pages jaunies du temps.
Le fétichisme du khat, c’était ton rituel, une cérémonie silencieuse qui précédait chaque exploration intellectuelle. Ces feuilles, comme des parchemins, portaient en elles les secrets de nos échanges, une alliance entre la tradition et la modernité, une danse entre l’ancien et le contemporain.
Aujourd’hui, alors que tu t’en es allé, les volutes de fumée et les feuilles de khat demeurent dans l’air, reste des témoins silencieux de nos marathons de pensée. Ton esprit persiste dans ces discussions sans fin, comme une mélodie qui continue de résonner dans ma mémoire.
Il fut un homme qui, malgré sa stature éminente, n’hésitait pas à s’engager dans des discussions passionnées. Il encourageait le débat, la remise en question, et il ne ménageait jamais ses critiques constructives. Chaque échange avec lui était une aventure intellectuelle, une plongée profonde dans la mer des idées où l’on émergeait toujours plus riche de connaissances.
Sous sa direction, la salle de rédaction était un sanctuaire d’apprentissage, un lieu où les erreurs étaient des opportunités de grandir, où chaque histoire était une invitation à explorer et à dévoiler l’inattendu. Il ne se contentait pas de diriger, mais plutôt inspirer. Il était le gardien des mots.
Son départ laisse un vide incommensurable, un sentiment d’orphelinat intellectuel. Nos locaux résonnent de silences, et les claviers semblent hésiter, cherchant la direction que seule sa sagesse pouvait insuffler. Mais même dans son absence physique, aujourd’hui son esprit persiste, murmurant à travers les archives, les écrits et les pensées de ceux qui ont eu la chance de le connaître.
Adieu, Omar Ali Egueh ! Ton départ est un trébuchement douloureux, mais je m’efforcerai de poursuivre le chemin que tu as tracé, portant les leçons de ton verbe éclairant dans chaque récit que je forgerai. Que les étoiles guident ton voyage vers l’inconnu, comme tu as guidé les nôtres à travers le labyrinthe de la vérité.
Que les brises du savoir orchestrent avec délicatesse ton périple vers l’éternité. Que chaque souffle du vent porteur de paix et tranquillité caresse ton âme. Dans cette étreinte d’adieu, puissent les éléments eux-mêmes être tes guides, dessinant une trajectoire qui transcende le temps et nous rappelle que ta présence, telle une plume légère portée par le vent, puisse perdurer éternellement dans le livre de nos souvenirs.
Avec une profonde gratitude pour tout ce que tu m’as appris.
Said Mohamed